POLITIQUE ÉTRANGÈRE 1 1075

Abraham F. LOWENTHAL *

L'Amérique latine : échec ou renaissance ?

L'image que le public a de l'Amérique latine évolue très rapidement. Il y a cinq ans, cette région était encore empêtrée dans la « décennie perdue », et les pays qui la composent étaient toujours considérés comme de « grands invalides », des cas désespérés. Il y a trois ans, au contraire, l'Amérique latine était présentée comme la région du « nouveau boom ». Cinq des six marchés boursiers qui, dans le monde, ont enregistré la plus forte croissance en 1991 étaient latino-américains. Certes, cette hausse effrénée des marchés boursiers ne pouvait être maintenue, mais un volume considérable de capitaux étrangers — 50 milliards de dollars par an en moyenne — a été investi dans la région, au cours des trois dernières années.

Une euphorie similaire caractérisait le débat sur les progrès politiques de l'Amérique latine — qui se tournait vers la démocratie. Des responsables américains affirmaient que l'Amérique latine serait, à bref délai, le « premier hémisphère entièrement démocratique de l'histoire de l'humanité ».

Ces derniers mois, cependant, de nouvelles inquiétudes ont surgi. Le soulèvement du Chiapas, le 1er janvier 1994, a malheureusement montré que l'ALENA n'a pas résolu tous les problèmes du Mexique. L'assassinat, quel-

aues semaines plus tard, du candidat du parti au pouvoir à l'élection prési- entielle mexicaine a suscité de profondes inquiétudes, qui se sont reflétées dans la chute précipitée des réserves du pays. L'impasse politique au Brésil, la nouvelle instabilité de la politique argentine, et la faiblesse sans précédent du gouvernement vénézuélien ont, elles aussi, fait naître le doute. « Le panorama s'assombrit », annonçait lugubrement le Financial Times du 11 avril 1994. Ce n'était là qu'un commentaire parmi d'autres de la même eau.

Je mets en question aussi bien l'optimisme généralisé, qui était de bon ton au début des années 90, que les prophéties de malheur que l'on commence à entendre. Les progrès politiques et économiques de l'Amérique latine sont réels mais fragiles, étendus mais irréguliers, notables mais encore limités, prometteurs mais en aucune manière assurés.