PALÉORIENT, vol. 11/2 - 1985

SUŠE, MARCHÉ AGRICOLE OU RELAIS DU GRAND COMMERCE SUSE ET LA SUSIANE À L'ÉPOQUE DES GRANDS EMPIRES

R. BOUCHARLAT

Aux périodes correspondant aux grands empires, la ville de Suse, après avoir été une des capitales de l'empire achéménide, paraît participer plus activement et plus largement qu'elle ne l'avait jamais fait au grand commerce oriental. On cherche ici à reconnaître les rôles respectifs qu'ont joué d'une part la ville elle-même, en tant que centre politique, administratif et économique, et d'autre part la Susiane, qui était une grande région agricole mais aussi, par sa position géographique, un territoire traversé par de grandes routes sur lesquelles voyageaient les produits locaux et des marchandises en transit. Dans un deuxième temps, on recherche l'interaction entre ces deux entités, qui, semble-t-il, évoluent différemment, à cause de relations complexes et d'éléments extérieurs.

Le hasard et les choix des équipes de chercheurs qui ont travaillé dans la région ont conduit les archéologues français à fouiller principalement à Suse et les archéologues américains à prospecter en Susiane. Ces différences dans les lieux de travail et dans les méthodes — et peut-être dans les objectifs — conduisent à des appréciations parfois divergentes dans les reconstructions proposées par les uns et les autres. Les choix et les méthodes ne sont pas discutés ici malgré l'intérêt que présenterait cette analyse. Le but est tout autre. R.J. Wenke (1) a proposé un modèle du développement de la Susiane entre l'époque achéménide et l'époque islamique. Il faut donc brièvement donner un tableau de l'évolution de la ville de Suse, objectif ambitieux, lorsqu'on sait la pauvreté des publications qui résultent de quatre vingts ans de fouilles. Ce tableau sera donc schématisé, selon le découpage chronologique traditionnel, pour donner une image de la ville à partir des données archéologiques d'une part (cf. fig. 1) et d'autre part à partir d'autres ensembles de sources (textes anciens, inscriptions, numismatique). La seconde partie résume les propositions de R. Wenke.

Dans la troisième partie, certaines de ces données sur Suse sont comparées à celles que R.J. Wenke a réunies pour la Susiane; il est alors possible d'apprécier les rôles respectifs de Suse et de la Susiane, la nature et l'intensité des relations entre la ville et sa région, d'observer les divergences dans les courbes que dessine l'évolution des deux blocs. Trois exemples suffisent : Suse est l'une des capitales achéménides et sa région ne connaît apparemment que quelques petits sites fortifiés; à l'époque séleu- cide Suse est une ville florissante et le peuplement de la Susiane est réduit par rapport à celui de l'époque parthe; à l'époque sasanide, tandis que Suse décline, l'agriculture dans le Khuzistan est l'objet d'une mise en valeur qui est restée célèbre. Au-delà des erreurs probables dues à l'insuffisance des données et aux choix que nous avons faits, les décalages et les divergences nous paraissent correspondre à des réalités différentes. Les causes en sont multiples et, parmi celles-ci, on s'attache à quelques phénomènes extérieurs à la région, par exemple, la vitalité du commerce international dont Suse bénéficie largement, puisqu'elle est sur l'une des routes entre le Golfe Persique et la Mésopotamie, malgré la rivalité des autres cités de Characène ou de Mésopotamie centrale.

L'hypothèse proposée ici est qu'il n'y a pas de relation simple ou directe entre l'importance politique et économique de la ville de Suse et l'expansion du peuplement en Susiane, entre la fortune du commerce international et l'extension de l'agriculu- tre en Susiane. Plus concrètement, il ne semble pas que les profits retirés du commerce international aient été systématiquement réinvestis dans l'amélioration de l'agriculture, comme le suggère R.J. Wenke <2), bien que celle-ci soit une des bases du commerce par les exportations. On en vient même à se demander si parfois ce n'est pas quand le commerce leur était moins profitable que les

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