L'INDUSTRIALISATION DES COLONIES :

AFFAIBLISSEMENT OU RENFORCEMENT

DE LA PUISSANCE FRANÇAISE ?

par JACQUES MARSEILLE

Réfléchissant a posteriori sur l'évolution économique de la Tunisie depuis la crise des années 1930, J. Vibert, sous-directeur chargé du Flan au Secrétariat général du Gouvernement tunisien, écrivait :

A partir de 1930, les perspectives se modifient. Tandis que la démographie, favorisée par l'amélioration des conditions d'existence et de l'état sanitaire, monte en flèche, l'économie donne des signes d'essoufflement... Désormais l'effort privé ne suffit plus, à lui seul, à imprimer à l'économie un mouvement comparable à celui de la démographie...

Il peut paraître surprenant aujourd'hui que cette rupture dans l'évolution de la Tunisie soit passée inaperçue à l'époque. Mais il faut d'abord observer qu'une étude statistique comme celle que nous avons menée n'est possible qu'avec du recul, lorsque les recensements sont dépouillés, les chiffres centralisés et publiés. Il faut dire surtout que les années trente sont les années de la grande crise mondiale; les difficultés de conjoncture, d'une gravité jamais connue, ont, en Tunisie comme ailleurs, masqué les déséquilibres de structure ; que la crise ait fait apparaître des déséquilibres cachés, qu'elle les ait surtout aggravés, c'est indéniable; mais ce qui compte plus encore, c'est qu'elle ait fait attribuer, bien à tort, un caractère temporaire, accidentel, à des déséquilibres qui étaient dans le fond durables et qu'elle ait fait croire à l'origine externe de problèmes qui étaient avant tout d'ordre interne1.

Ce diagnostic lucide n'est pas isolé. H s'inscrit dans une série d'analyses identiques émanant d'experts dressant pour la première fois «les comptes de la puissance»2. Mais, contrairement à ce que pensait J. Vibert, ces déséquilibres structurels internes ont bien été perçus dans les années 1930. Ils sont l'objet du débat sur l'industrialisation des colonies qui divise à la fois les milieux d'affaires et les instances gouvernementales.

. Ce débat est au cœur du problème de la puissance française. Pour les partisans d'une transformation radicale de la mise en valeur, l'industrialisation permettrait tout d'abord de s'adapter à terme à une évolution jugée inéluctable. Et, surtout,

Rev. franc. d'Hist. d'Outre-Mer, t. LXIX (1982), n" 254.