Extrême-Orient - Extrême-Occident 15 - 1993
Quelques aspects de la rectification des noms dans la pensée et la pratique politiques de la Chine ancienne
Jean Levi
1. Quand un cerf s'appelle un cheval
Le grand historiographe des Han, Sima Qian, relate de la façon suivante les menées du ministre Zhao Gao, un eunuque qui voulait s'emparer du trône :
Au pwjihai du huitième mois de la troisième année de règne, Zhao Gao, qui nourrissait des projets de sédition, mais n'était pas sûr d'être suivi par la foule des dignitaires, décida de se livrer à un test préalable. Il offrit un cerf à son maître en déclarant :
— Tenez, voici un cheval ! Le jeune souverain rit et dit :
— Ne faites vous pas erreur ? Vous êtes en train d'appeler cheval un cerf!
L'assistance fut prise à témoin. Nombreux furent ceux qui préférèrent garder le silence ou qui abondèrent dans le sens du ministre en assurant que c'était bien un cheval. Quant aux rares qui osèrent dire que c'était un cerf, l'eunuque conspira en secret à les faire tomber sous les coups de quelque inculpation, se rendant ainsi redoutable à la foule des fonctionnaires de la cour K
Si nous interprétions ce récit avec nos catégories et à la lumière de notre propre histoire, nous aurions tendance à y reconnaître (ainsi que le fait d'ailleurs D. Bodde) 2 un stratagème monté par Zhao Gao afin de compter ses partisans et de démasquer ses adversaires. Toutefois, il nous semble qu'une telle explication laisse de côté l'essentiel. Sima