Richard Vassakos, «Une revanche symbolique dans le Royaume du maréchal. La toponymie urbaine sous Vichy : premiers bilans d’une recherche » , Nouvelle Revue d’Onomastique, n° 61, 2019, p. 241-266. Richard Vassakos

Une revanche symbolique dans le Royaume du maréchal. La toponymie urbaine sous Vichy : premiers bilans d’une recherche

Les historiens ont compris depuis longtemps tout l’intérêt de l’étude des dénominations urbaines à travers une histoire culturelle, politique et même sociale. Dès les années 1970, Maurice AGULHON a posé les jalons de ce chantier dans une contribution portant sur la statuaire consacrée à Jaurès1. Dans les années 1980, Daniel MILO a suivi cette voie dans les Lieux de mémoire de Pierre NORA2, mais le champ s’est surtout largement développé dans les années 1990 avec un colloque important organisé par Jean-Marie GUILLON et Jean-Claude BOUVIER3. C’est dans ce contexte historiographique que des maîtrises d’histoire ou de sciences politiques étaient réalisées sur le sujet de l’odonymie à caractère politique4. C’est partir d’une première expérience de la sorte que nous avons découvert les problématiques et les enjeux de la toponymie urbaine à travers un travail sur l’enracinement de la République dans le Midi5. Cette première approche nous a amené à nous intéresser plus particulièrement à la période de Vichy et à nous lancer dans un chantier de recherche sur ce sujet6. Ce choix d’étudier l’odonymie sous Vichy répond à l’étude de l’enracinement de la République. En effet, la IIIe République a installé un paysage toponymique, un panthéon, conforme à ses valeurs et ses idéaux politiques. Les édiles républicains ont largement utilisé l’outil que sont les dénominations pour laïciser l’espace public, remplacer les saints et les dénominations féodales par des gloires savantes, des saints laïcs conformes aux canons du positivisme. Or, Vichy est bel est bien une réaction à ce processus plusieurs décennies après ces vagues de changements souvent massives qui ont touché les villes et les villages des territoires les plus ardemment républicains7. On a beaucoup écrit sur Vichy mais le champ était en l’occurrence neuf sur une grande échelle. L’outil d’analyse qu’est l’étude de l’odonymie permet d’envisager la France de Pétain sous un autre angle. L’observation des initiatives de l’État, de la réaction des corps municipaux, de la population, de l’attitude de certains groupes politiques permet de voir quelle est la dialectique qui s’est nouée entre l’État et la société autour de la symbolique politique et donc de comprendre l’emprise de l’un et la réaction de l’autre. Le choix d’un grand Midi comme terrain d’investigation est venu naturellement. La zone non occupée, dite zone libre, ce «Royaume du Maréchal » (DELPERRIÉ DE BAYAC 1975)