MICHEL HUMBERT
LE TRIBUNAT DE LA PLÈBE ET LE TRIBUNAL
DU PEUPLE : REMARQUES SUR L'HISTOIRE
DE LA PROVOCATIO AD POPULUM*
La tradition républicaine tardive l'affirme avec la conviction heureuse d'une foi inébranlable : la République est née le jour où le peuple découvrit la libertas, le jour où le pouvoir de décider la mort passa de l'arbitraire monarchique à la souveraineté du peuple. Unanimes, les philosophes, les historiens, les juristes de l'Antiquité placent dans la fameuse lex Valeria de 509 la pierre angulaire sur laquelle l'édifice républicain fut élevé. Cette loi, on le sait, aurait retiré au pouvoir consulaire juste né le droit de prononcer le châtiment suprême. L'appel au peuple, ou provocano ad populum, commençait alors une longue et glorieuse histoire, ponctuée d'élargissements et de surprenantes résurgences non parfaitement expliquées par les Anciens eux-mêmes; mais l'essentiel était acquis: le peuple n'avait pas raté son entrée dans l'Histoire. Dès la fondation du nouveau régime, il apportait la libertas, tandis que le Sénat offrait son auctoritas et les consuls joignaient leur potestas l. Une collaboration exemplaire marquait la constitution de Rome du sceau de l'équilibre, donc de la perfection.
Lorsque le tribunat de la plèbe vit le jour quelque quinze années après la fondation «constitutionnelle» de la République, il ne put introduire, selon l'idéologie conservatrice de la République finissante, que désordre et confusion. D'où l'image qui nous est donnée du tribunat,
* Le texte de cet article reprend le thème de trois conférences prononcées à l'École française de Rome, à la Freie Universität de Berlin et devant le Circolo toscano di diritto romano de Florence, et consacrées respectivement au tribunat de la plèbe, aux lois Valeriae Horatiae et à la provocano ad populum. Je remercie très chaleureusement Messieurs Charles Pietri, Gerhard Radke et Bernardo Santalucia pour leur invitation et de l'occasion qu'ils m'ont donnée de tirer le meilleur profit, je l'espère, des discussions qu'ils ont organisées.
1 Cic, de rep. 2, 56.
MEFRA - 100 - 1988 - 1, p. 431-503.
