Des archives enfin accessibles

Les archives de l’Entente internationale anticommuniste

de Théodore Aubert (1924-1950) Michel CAILLAT, Mauro CERUTTI, Jean-François FAYET, Jorge GAJARDO UNE SOURCE INÉDITE DE L’HISTOIRE DE L’ANTICOMMUNISME

P armi la multitude des organisations qui occupent le terrain de la lutte anticommuniste durant l’entre-deux-guerres, «un seul regroupement politique,

note Sophie Coeuré, se distingue par un projet d’action et de propagande systématiquement dirigé contre l’Internationale communiste, assimilée à l’Union soviétique. Il s’agit de l’Entente internationale contre la IIIe Internationale 1 » , plus connue dans les années trente sous le nom d’Entente internationale anticommuniste (EIA), fondée en 1924 par l’avocat genevois et homme politique Théodore Aubert, avec le concours du représentant à Genève de l’ancienne Croix-Rouge impériale russe, le docteur Georges Lodygensky.

Les archives de l’EIA ont été déposées à partir de novembre 1945, sous forme de dépôt, à la Bibliothèque publique et universitaire de la ville de Genève par Théodore Aubert et Alexandre Lodygensky, frère de Georges, qui était le responsable de la section russe. Ce dépôt a ensuite été transformé en don en décembre 1950 par Aubert lui-même 2. Deux parties distinctes le composent. La première — quelque 2 200 cartons — constituait la bibliothèque de l’organisation. Elle renferme les publications, rassemblées ou produites par l’EIA. Elle a fait l’objet d’un inventaire, établi en 1960. Accessible au public dès l’origine du dépôt, avec cependant de sévères restrictions de consultation, cette partie a été répertoriée sous la cote Aa 3855. La seconde — les archives proprement dites — contient les procès-verbaux des réunions du Bureau de l’Entente et des conférences tenues par son Conseil international, ainsi que la correspondance échangée avec les sections nationales ou des particuliers. Ces milliers de pièces sont stockées au sous-sol de la Bibliothèque dans 162 classeurs et cartons, munis chacun d’un titre qui en indique le sujet et les bornes chronologiques. Frappées d’interdiction de consultation par les légataires pour une période de vingt-cinq ans, prolongée jusqu’en 1991 par les descendants de Théodore Aubert en 1976, ces archives sont, depuis cette date, restées quasiment à l’abri de la curiosité des chercheurs. Cependant plusieurs contemporains et historiens mentionnent l’EIA. Jules Humbert-Droz, figure centrale du Parti communiste suisse et de l’Internationale communiste, en parle dans ses Mémoires, et sa femme Jenny y a consacré quelques pages 3. Parmi les travaux d’historiens, citons Le Troisième Reich et la Suisse, 1933-1941, de Daniel Bourgeois (1974), la thèse de Brigitte Studer sur le Parti communiste suisse (1994) 4,

qui tous deux évoquent les liens entre l’Entente et l’Antikomintern, une officine de propagande du IIIe Reich, et Le Tessin, la Suisse et l’Italie de Mussolini de Mauro Cerutti (1988), directeur du projet en cours, qui signale les subventions versées par l’Italie fasciste à l’organisation d’Aubert 5. Brian Crozier dans Franco, A biographal history (1967) et, à sa suite Paul Preston dans son volumineux Franco, A biography (1993), évoquent les relations entre l’Entente et le général, notamment l’influence que les publications du Bureau de Genève ont exercé sur la formation idéologique de ce dernier 6. En 2002 paraissait le livre de l’historien américain Herbert Southworth (Conspiracy and the Spanish Civil War: the Brainwashing of Francisco Franco), dont une partie importante analyse en détail cet aspect 7.

Herbert Southworth, qui n’a pu consulter les papiers de l’Entente déposés à Genève, s’est en revanche fondé sur les mémoires inédites de Georges Lodygensky, déposées à la Hoover Institution of War, Revolution and Peace de Standford, texte qui offre des informations de première main sur l’organisation interne de