Figures mélanésiennes : u le grand chef Amane des Poyes de 1898 à 1917

par

R, H. LEENHARDT

La guerre dite des Poyes fait partie des événements de V histoire coloniale de la Nouvelle-Calédonie sur laquelle on sait bien peu de choses. En dehors des deux bien intéressantes photographies publiées par Maurice Leenhardt dans ses « Notes d'ethnologie néo-calédonienne », on ne savait pas de quoi avait été faite cette prétendue « guerre » et ce qui avait pu motiver l'exil du « grand-chef » Amane, mort par la suite au champ d'honneur au cours de la guerre 1914-1918. Grâce aux archives Feillet et aux documents laissés par son père, Raymond Leenhardt nous ouvre le dossier de manière aussi vivante qu'attachante. On y retrouve la querelle de prosélytismes, mais aussi la façon dont Maurice Leenhardt, comme beaucoup plus tard avec le voyant Pwagatch, avait su s'attacher le loyalisme de gens comme Amane, qui, après lui avoir donné leur parole, n'ont jamais varié dans leur position. On y voit aussi la petitesse et la mesquinerie de l'administration coloniale d'après Feillet, et ce dernier sous un jour qui équilibre d'autres aspects moins sympathiques.

Jean GuiART

Qui est Amane, ce grand chef du Nord de la Nouvelle-Calédonie, redouté à Nouméa comme « le Tonnerre des Poyes », exilé par l'Administration, et mort en France en 1917 comme Tirailleur volontaire du Bataillon du Pacifique?

« Un grand seigneur féodal du Moyen-Age » écrit Jacqueline Feillet.

« Un grand ami de Feillet et le plus vulgaire des brigands », répète Bernard Brou dans son Histoire de la Nouvelle-Calédonie, après Le Gou- pUs1.

« Un chef de guerre chevaleresque », dit Maurice Leenhardt.

Fils d'Athéa, Amane descend du guerrier Naa- cuwé venu de Tchamba à Poyes quand le chef cou- tumier était Poadela. Il se distingua par son rôle de chef de guerre dans l'Affaire des Poyes et fut « traité comme le chef authentique des Poyes, alors que l'autorité appartenait à son frère aîné Bouillan (Bwiliang) qui, à l'insu des Blancs, la conservait effective au milieu de son peuple »2.

A en croire les rapports, il serait un jeune chef ambitieux et dangereux et les plaintes contre lui couvrent des pages et des pages des registres de la maréchaussée. Les rassemblements pour les pilous inquiétaient les gendarmes quand il s'agissait de tribus qui n'étaient pas groupées autour d'un Père Mariste.

Après la dure répression de la révolte de 1878, les chefs indigènes avaient, dans l'ensemble, compris qu'il était plus sage de composer avec l'Administration et de chercher à défendre ses droits autrement que par la violence. Ils souhaitaient garder leur caractère de frère aîné qui anime les pilous : la parole du chef qui lance son verbe et évoque les généalogies est l'actualisation vivante de tout le passé et rend présent le long cortège des ancêtres. Dans leur milieu païen, leur enlever la liberté des pilous, c'est leur enlever le sens de leur existence ; c'est aussi, plus prosaïquement, les priver d'une occasion de se provoquer, de relever des défis et de se conquérir des femmes.

Le fier Amane n'était pas disposé à céder sur ce point, lui dont M. Leenhardt écrit dans Do Kamo : « J'entendais les doléances du grand chef Amane qui répugnait à porter les galons que le gouvernement colonial avait imaginé de donner à tous les chefs pour établir entre eux une hiérarchie et des