En hommage à Abdelmalek el-Youbi Maître compositeur et interprète du Melhoun
el-werchan, une
expression
poétique
originale
sur le thème
delà
séparation
azzeddine kharchafi abdelghani maghnia
À l'instar de la littérature arabe classique où le voyage constitue depuis longtemps l'objet d'un genre autonome (adab al-rih'la/adab al-sifârâf), la tradition orale du melhoun2 au Maghreb n'a pas négligé un tel sujet. Rappelons, comme certains travaux n'ont pas manqué de le souligner, que le melhoun, qui est une poésie en langue dialectale, la seule langue véritablement parlée, a joui d'une audience considérable notamment en milieu citadin populaire. Il s'agit aussi d'un art musical puisque ces poèmes sont toujours chantés. Cet art se caractérise par la richesse et la diversité des thèmes abordés, mais tout autant par la sensibilité et la finesse des poètes auteurs des œuvres. Ce genre possède, en effet, de véritables chefs-d'œuvre. Il retient quelquefois l'attention comme une expression authentique du patrimoine culturel, mais on peut aussi le considérer comme un élément de la littérature universelle. En tout cas, l'on peut dire, depuis les travaux de Mohammed Ben Cheneb et de Mohammed El-Fassi notamment, que la valeur esthétique et l'intérêt historique de cet art se sont largement imposés à la recherche3. On peut ainsi se demander comment le thème du voyage a pu trouver une expression dans ce genre populaire.
La littérature écrite en langue classique a largement traité de ce thème du voyage. Elle a accordé une place à ses diverses formes, aux missions officielles à l'étranger, aux ambassades, comme au pèlerinage aux Lieux Saints (al-h'ajj), demeuré longtemps un thème central du genre. Ceux qui écrivent ces récits se trouvent parmi l'élite des oulémas, des lettrés de la jurisprudence, mais ce sont aussi des hommes de lettres, des ambassadeurs, etc. En revanche, dans la culture de tradition orale, ce thème du voyage humain ne semble pas, a priori, avoir eu la même importance ni suscité le même engouement intellectuel. Est-ce à dire que, de nature plus éphémère par rapport à la littérature écrite, la tradition orale n'a accordé à certaines questions qu'un intérêt secondaire ? Ou les sensibilités varient-elles selon les groupes sociaux? Ou les possibilités de voyager en dehors des espaces habituels étaient-elles plus réduites? Il faut donc examiner la culture du melhoun à travers la mémoire des Maîtres respectés, ceux qu'on nomme «le-chyakh». On constate alors que ceux-ci conservent, parfois jalousement, un répertoire intéressant sur le thème du voyage, mais il s'agit toujours du voyage d'un animal nommé el-werchan, le pigeon ramier4.
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