MARCEL MAUSS ET LES ORIGINES DE L'ANTHROPOLOGIE STRUCTURALE HOLLANDAISE

par

P. E. DE JOSSELIN DE JONG

Le titre même de cet essai peut ressembler à une confirmation un peu ironique des mots de Lévi-Strauss (1950 : ix), dans la phrase initiale de son introduction à l'œuvre du savant dont nous commémorons le centenaire : « Peu d'enseignements sont restés aussi ésotériques et peu, en même temps, ont exercé une influence aussi profonde que celui de Marcel Mauss. » La façon dont les anthropologues néerlandais, amateurs et professionnels, ont assimilé et appliqué les idées de Mauss au début du siècle est un sujet qui peut sembler trop « ésotérique » pour intéresser plus qu'un cercle très limité de spécialistes. En réalité, les travaux de ces chercheurs présentent un intérêt non négligeable, et qui d'ailleurs leur est reconnu ; ainsi, dans l'introduction citée plus haut, Lévi-Strauss se réfère aux travaux de G. J. Held, et, pour ne donner qu'un autre exemple, de Heusch (1968 : 32-33) commence sa récente étude de l'influence du structuralisme sur les théories anthropologiques par une évaluation de la contribution des « précurseurs hollandais ». Cet intérêt ne se limite d'ailleurs pas exclusivement, ou même principalement, au domaine de la théorie anthropologique comme telle. La valeur des travaux dont il sera question ici repose, à mon avis, sur la façon dont ils rendent intelligibles au lecteur occidental les croyances et les pratiques de cet ensemble de cultures particulièrement diversifié et complexe qu'on rencontre dans l'archipel indonésien.

Une part importante de ce travail d'analyse et d'interprétation ethnologique a été, et reste, commandée par ce qu'on pourrait appeler les classifications territoriales indonésiennes — que Paul Mercier (1968 : 960-961), parlant des études de Durkheim, de Mauss et d'Halbwachs, décrit ainsi : « Le problème des relations entre les groupes humains et l'espace [...] relations avec l'espace, mais aussi, de façon inséparable, conception de l'espace [...] La manière dont une société s'inscrit sur le sol, et dont elle fait de sa projection sur le sol un des moyens par lesquels elle s'explique elle-même et se justifie, devrait être un objet d'étude essentiel ; même si l'idée qu'elle se fait de sa structure spatiale ne correspond pas exactement à la réalité. » Dans ce qui va suivre nous nous limiterons à cette question, car c'est précisément dans la description de la « structure spatiale » et dans le problème, qui en découle,