Types et modèles d'héritage et leurs implications

Note liminaire

Cet article comprend trois ensembles qui peuvent être lus séparément : le corps du texte, les tableaux et les suppléments, sans parler de la bibliographie. Le corps du texte est rédigé de façon cursive et commente les trois tableaux ; il comporte peu de renvois bibliographiques que l'on trouvera dans les tableaux. Les suppléments sont précédés d'une liste de notations communes ; le premier est introductif et présente le modèle intertemporel de référence ; les suivants sont consacrés à quatre types spécifiques de legs : accidentel, paternaliste, altruiste et stratégique.

Economie et Prévision

n°100-101 1991-4/5

L'héritage intéresse un grand nombre de ménages. Deux Français sur trois sont en effet appelés à bénéficier d'un tel transfert au cours de leur existence. Et pourtant, l'héritage est rarement pris au sérieux par l'économiste, comme le sont par exemple la consommation, l'investissement ou l'épargne. Le fait qu'il est reçu à un âge plus avancé qu'auparavant en raison de l'élévation continue de l'espérance de vie ne contribue pas à changer cette opinion.

La réalité économique de l'héritage, facteur d'accumulation patrimoniale, affectant sensiblement la distribution de la richesse, est très différente de la représentation que l'on s'en fait. Témoin l'image d'Epinal de ces vieux parents qui se sont privés tout au long de leur vie de labeur pour laisser à chacun de leurs enfants un petit lopin de terre. La littérature en offre de fait une image anecdotique : le mythe de l'oncle d'Amérique que l'on voudrait aussi riche que Picsou, l'héritage moral que lègue le laboureur de La Fontaine à ses trois fils, l'héritage dont ne profiteront pas ces amants maudits oublieux de ce qu'un "facteur sonne toujours deux fois", le légataire des comédies de Labiche dont les principaux atouts sont des parents et des oncles à la fois fortunés et âgés. L'héritage ne serait-il qu'un événement de vie comme le mariage ou la retraite, ou un thème de roman policier, de fable moralisatrice ou de comédie boulevardière, sans grandes implications économiques ?

Cet article devrait montrer que cette vision réductrice est totalement inappropriée. L'héritage n'est pas un phénomène anecdotique ; à côté d'autres transferts intergénérationnels, tels l'éducation ou les donations, il a une fonction de première importance. Il occupe une place centrale dans le réseau complexe des relations familiales, et agit aussi bien, au sein de l'économie, sur le niveau d'accumulation que sur le partage des ressources ou des richesses.

De tous temps, la famille, prise au sens large de la parenté, a été un lieu privilégié de transferts et d'échanges, en concurrence ou en complément avec l'Etat ou le marché. Rappelons qu'en son sein le transfert est le plus souvent gratuit et bénévole, ne supposant pas a priori de contrepartie, alors que l'échange repose certes sur le principe du donnant, donnant, mais formulé en des termes généralement flous : "je t'aide aujourd'hui, à charge de revanche quand j'en aurai besoin".

On s'intéresse ici aux échanges ou transferts entre parents et enfants, qui peuvent être monétaires ou bien s'effectuer en nature. A côté des transferts patrimoniaux, tels les héritages et donations, il y a l'éducation que les agents procurent à leur progéniture et qui requiert de leur part un investissement en espèces et en temps, sans parler de la transmission d'un capital social intangible. Il y a aussi les différentes formes d'aides, qui prennent souvent la forme de services, tant dans le sens descendant (prêt d'un

31