Philippe Mesnard

Y a-t-il encore une perspective pour l’homme ?

There are 360 degrees, so why stick to one ?

Zaha Hadid

Peut-être cette question aurait-elle pu émerger à partir de la littérature, qui, espace de prédilection des points de vue, a toujours été un lieu de résistance aux tentatives d’écrasement de la pensée – et qui le reste certainement. La littérature, où la multiplicité des focalisations, la présence de jugements explicitement subjectifs (et non masqués par ou pour un pseudo-objectivisme) et le jeu des voix croisant leur différence répondent à l’omniscience réaliste qui tente, avec insistance depuis le XIXe siècle, de s’instituer en hégémonie politico-esthétique. Cette question aurait tout aussi bien pu venir du cinéma, qui, sensiblement, applique à l’écran des procédés de vision que la littérature a éprouvés au long de son histoire. L’homme a-t-il encore une perspective ? L’énumération des expressions artistiques est déjà évidente : il n’en est pas une qui ne fasse, durant son histoire, l’épreuve de la perspective comme symbole de son rapport à ce qui lui est extérieur ou lui échappe ; il n’en est pas une qui ne porte en son centre l’énigme de l’altérité irréductible (que celle-ci prenne pour nom Dieu, le monde, l’autre avec ou sans majuscule, le Commandeur, la mort…) ; il n’en est pas une qui ne puisse se réduire à la reproduction du même (même le duplicat y échappe, l’oeuvre de son pape, Warhol, en témoigne 1). Je rappelle qu’à peine la perspective théorisée, entre les XVe

et XVIe siècles, l’anamorphose fait déjà signe à ceux que la maîtrise du visible rendrait trop vaniteux 2. Forme accomplie, mais jamais résolue, de cet avertissement, Les Ambassadeurs (1533) de Hans Holbein, avec leur tête de mort se faisant passer pour un os de seiche (Lacan 3), signifient au sujet non pas sa propre finitude, mais la nécessité d’être en mouvement 5