André MOISAN

La mort de Roland selon les différentes versions de l'épopée

Eginhard, dans le chapitre de la Vita Karoli (819-829-835)1 qui traite des conquêtes et de la politique de Charlemagne, en bon annaliste qu'il est, fait un bilan qui se veut objectif des diverses expéditions de l'empereur. Or, tout à coup, la page s'anime, au retour de l'expédition d'Espagne, un peu comme une fresque de Froissart. La topographie se fait précise. Le site pyrénéen prend relief et couleur, l'annale devient narration, le sentiment paraît, dramatique, comme si l'auteur avait vécu les événements. On voit une longue colonne d'arrière-garde étirée à travers les étroits défilés d'un chemin de montagne (cum agmine longo, ut loci et angustiarum situs permittehat, porredus iret exercilus). L'épaisseur des forêts (quarum ibi maxima est copia) rend les lieux sinistres et propices pour de mauvais coups (insidiis ponendis locus opportunus). Précisément, des Basques (Wascones), sans doute des pillards, ont pris position sur les hauteurs, et les voici qui fondent sur les derniers convois et sur les troupes d'arrière-garde qui couvraient le gros de l'armée. Ils les refoulent dans une vallée (in subjedam vallem dejiciunt) et massacrent les Francs jusqu'au dernier. Comme dans une opération des guerrilleros, la légèreté de leurs armes, le terrain où ils sont rois et la surprise de l'attaque ont joué en leur faveur. Après le pillage, ils se dispersent rapidement dans toutes les directions, à la faveur de la nuit qui tombe (nodis beneficio quae jam instabat proledi). Comment Charles pourrait-il se venger? L'ennemi s'est volatilisé. Parmi les cadavres, celui du sénéchal Eggihard, d'Anselme, comte du Palais, et de Roland (Hruodlandus), préfet de la Marche de Bretagne2.