UNE DOUBLE RÉVOLUTION A LA ROCHELLE LA TOUR SAINT-NICOLAS
par Jean MESQUI
La tour Saint-Nicolas est bien connue, à la fois des touristes qui visitent l'ancien port de La Rochelle, dont elle constitue l'un des éléments majeurs, et des archéologues, en tant que tour d'entrée d'un port, sorte de porte d'eau au caractère altier, à peine entamé par l'âge. Et pourtant cette tour Saint-Nicolas n'a jamais encore fait l'objet d'une notice archéologique, ce qui peut étonner dès lors qu'on l'analyse même sommairement (1). Récemment néanmoins, un jeune archéologue régional, Daniel Chevraux, a consacré à cette tour un mémoire de maîtrise; qu'il me soit permis de rendre ici hommage à son initiative, tragiquement interrompue par un accident mortel (2).
Une étude définitive de cette fortification hors du commun dépasse largement l'objectif du présent article, d'autant que la matière historique manque de façon singulière, offrant ainsi un contrepoint aux interrogations purement archéologiques (3). Cependant, ce monument révèle tant d'éléments nouveaux dans le domaine de l'architecture militaire et civile de la fin du XIVe siècle qu'une première analyse s'impose, faisant apparaître ces éléments nouveaux, et formulant les questions que ceux-ci ne manquent pas de poser par rapport à la vision traditionnelle (4).
La porte d'entrée du port de La Rochelle
Quelques mots d'histoire urbaine
La tour Saint-Nicolas se dresse sur la rive sud de la passe d'entrée au port de La Rochelle. Bâtie à même le fond vaseux de la passe, elle avait pour double fonction de défendre celle-ci, et de servir de point d'attache à la chaîne tendue au travers de la passe pour en interdire l'accès, formant ainsi un arrêt entre les deux branches de l'enceinte urbaine se refermant ici. Cette chaîne était manœuvrée depuis la rive nord de la passe, où se trouvaient les treuils de relevage (fig. 3, 4, 5) (5).
Aujourd'hui superbement isolée, elle fut au Moyen Âge l'aboutissement d'un processus de colonisation urbaine. La ville primitive et son château s'étaient implantés sur la rive droite d'un petit fleuve côtier marécageux. Dès le début du XIIIe siècle, la réussite du port entraînait le développement de la ville en dehors de ses limites primitives, et en particulier au sud vers la rive gauche (fig. 1). La construction d'un pont dans les années 1200 pour relier les deux rives, grâce au recours à des aumônes et dons, est resté fameux dans les annales de l'histoire des ponts, d'autant que le promoteur en fut un ecclésiastique, Isembert écolâtre de l'église de Saintes, et que par surcroît le roi Jean d'Angleterre recommanda fortement Isembert aux édiles londoniens placés devant le problème de construction du pont sur la Tamise (6).
Dès lors, le développement au sud du fleuve, le faubourg Saint-Nicolas, n'allait cesser de s'affirmer (7). Ainsi apparaît une porte à ce faubourg, prouvant que la ville se préoccupait de l'enclore. Ce faubourg resta cependant contenu en une étroite bande de terrain, s'étendant autour d'un axe qui était la rue conduisant du pont à la porte Saint-Nicolas, dédaignant la rive gauche du port, dite la «Petite Rive». Les historiens ont restitué au moins deux tracés pour les enceintes du faubourg; aucune ne venait mordre sur cette «petite rive» dont on a dit qu'elle était domaine royal.
