L'HONNEUR DE RÉGULUS
Yann Le Bohec"
* Université Lyon III - CEROR, 16 rue Chevreul, 69007 Lyon.
1. Le Bohec Y., Histoire militaire, 1996, p. 93-95.
2. Pais E., Tormenti, 1921, p. 411-437, et en particulier, sur ce point, 411.
3. Les sources ont été bien rassemblées par Klebs E., M. Atilius Regulus, 1896, col. 2086-2092, n° 51 ; on y trouvera l'essentiel de la bibliographie connue en 1896. Pour un complément : Mix E.R., Marcus Atilius Regulus, 1970, en particulier p. 56-67 (sources) et p. 68-72 (bibliographie).
4. Sur sa carrière : Mix E.R., Marcus Atilius Regulus, 1970, p. 14-21 ; Broughton T.R.S., Magistrates, 1, 1951, p. 200, 209-210, et 2, 1952, p. 534; Deikmann-Merten M., Der kleine Pauly, 4, 1975, 1368-1369, n° 5; Fantar M., Régulus en Afrique, 1989, p. 75-84.
5. Cicerón, Off, III, 99-100, et Fin., V, 82.
6. Periochae, XVIII.
Le récit des circonstances dans lesquelles Régulus a trouvé la mort, jadis bien connu, même des écoliers, l'est beaucoup moins de nos jours 1. Les spécialistes eux- mêmes n'attachent plus guère d'intérêt à un épisode de l'histoire de Rome et de Carthage qui ne leur paraît pas crédible. C'est que le scepticisme n'a pas cessé de progresser depuis le xviie siècle 2, au point qu'en général on oublie l'existence de quelques voix discordantes.
Ce dossier n'en présente pas moins un grand intérêt, et c'est la raison pour laquelle nous souhaiterions l'ouvrir de nouveau et en faire l'hommage à Monsieur Georges Souville. En effet, du point de vue historique, d'abord, se posent deux questions distinctes, trop souvent liées et confondues par les narrateurs, questions dont l'apparente banalité cache, comme nous le verrons, des réalités sociales et culturelles essentielles : Régulus était-il courageux, et les Carthaginois étaient-ils cruels? Du point de vue méthodologique ensuite, la critique se heurte à deux autres problèmes : les sources de cette affaire sont-elles fiables 3, et le récit qu'elles rapportent est-il crédible ?
Ces interrogations peuvent paraître superflues, car les derniers travaux manifestent une assez belle unanimité. Ils admettent en général que les Romains ont inventé un fait divers incroyable pour déconsidérer leurs adversaires, et ils laissent entendre que ces af fabulateurs étaient tellement sots qu'ils n'ont pas pensé à s'accorder sur les détails. En effet, l'historien éprouve des difficultés pour trancher sur quelques points précis d'un récit qui, pourtant, dans ses grandes lignes, conserve une cohérence certaine.
Marcus Atilius Regulus 4, qui vainquit une flotte carthaginoise au large d'Ecnome en 256, fut à son tour, près de Tunis, en 255, vaincu et capturé par des soldats puniques que commandait un officier de mercenaires, Xanthippe ; commença alors pour lui une période de captivité. Après la victoire de Métellus à Palerme, en 249, Carthage, épuisée, décida d'engager des négociations, pour échanger des prisonniers selon Cicerón 5, pour cette raison ou pour obtenir la paix aux meilleures conditions d'après l'abréviateur de Tite-Live 6. Là se
Antiquités africaines, t. 33, 1997, p. 87-93
© CNRS ÉDITIONS, Paris, 1998
