JEAN MARMIEH

LA PASTORALE DE CONLIE

Tristan Corbière et la Guerre de 1870

II est très rare que Tristan Corbière écrive un poème entier à la première personne du pluriel. Si nous commençons par relever cette particularité grammaticale dans la Pastorale de Conlie, qui clôt la section des Amours Jaunes intitulée Armor, ce n'est pas uniquement pour suivre la vague qui pousse la critique littéraire à fonder, voire à calquer sa démarche sur celle de la linguistique, et qui fait jaillir, au contact notamment des pronoms personnels, des gerbes étincelantes de significations, parfois inattendues. Ici, le « nous » constitue la marque incontestable d'une inspiration restée exceptionnelle, en plusieurs de ses aspects, chez le grand poète morlaisien. Seule la Pastorale représente dans son oeuvre l'actualité historique et politique — si l'on n'accorde pas ce degré d'honneur à la mise à la retraite d'un fort contingent de douaniers en l'an 1869, point de départ d'une Elégie d'ailleurs savoureuse (1).

Tristan a-t-il ressenti profondément les autres drames de la guerre ? On ne saurait le dire. Son état de santé excluait pour lui toute possibilité d'y participer sous les armes. Il ne quitta pas la Bretagne du printemps 1870 à mars 1872. D'autre part, dès le printemps de 1871, surgit en coup de foudre le grand amour de sa vie, pour celle qu'il nomme « Marcelle ». Leur rencontre se trouve être une conséquence indirecte de la guerre, car si « Marcelle » séjournait à Roscoff, c'était pour accompagner son amant en titre, Rodolphe de Battine, venu là en convalescence à la suite d'une blessure reçue près du Mans (2). La circonstance a pu contribuer à fixer l'intérêt de Tristan sur le camp de Conlie. Mais c'est avant tout comme