LA PRODUCTION DE REMORQUES

Un film dans la tourmente

par Jean-Pierre Berthomé

En ce début de juillet 1939, l'animation est inhabituelle aux abords du port de commerce de Brest.

Dès huit heures du matin, en haut du grand escalier qui dégrin¬ gole du cours Dajot vers le port, la crête de la promenade s'est gar¬ nie de curieux qui tendent le cou pour mieux voir. D'autres Brestois, plus fortunés, seront aux premières loges et en tremblent déjà. Ce sont de simples gens, un marin, une femme chargée de pro¬ visions, un homme portant sur la tête un panier de poissons, bien d'autres encore qui écoutent, attentifs, les instructions d'un Parisien en casquette qui leur explique comment descendre le fameux escalier.

Autour d'eux, des techniciens s'affairent à dérouler des câbles, à mettre en place les rails d'un travelling qui suit la pente des marches, à disposer les grands écrans circulaires argentés qui diffu¬ seront également la lumière.

Quand tout est prêt, enfin, un homme en casquette bleue de marin envoie son assistant chercher Monsieur Gabin qui attend «bien tranquillement assis sur un pliant, au pied de l'escalier, cas¬ sant la croûte, sans se soucier de l'intérêt qu'il provoque». Jean Grémillon, le metteur en scène, donne au comédien ses instruc¬ tions, s'assure que tout est en ordre. Son imperméable sous le bras, le plus célèbre acteur du cinéma français gravit l'escalier, accompa¬ gné par la caméra qui filme aussi les Brestois anonymes croisant son chemin.

Les deux plans tournés ce matin-là dureront treize secondes dans le film, treize secondes précieuses où se révèle, derrière Gabin, le souvenir d'un port qui allait bientôt être ravagé par la guerre.

Le journaliste de La Dépêche, lui, prend des notes et s'étonne : «Tout simple que cela paraisse, on ne réussit pas du premier coup. Il est déjà onze heures et pour la dixième fois il faut recommencer l'ascension pour reprendre la scène. Entre temps il faut attendre le

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