LA CITOYENNETE INTERDITE OU LES ENJEUX DU SUFFRAGISME
Florence Rochefort
En avril 1944, les Françaises obtiennent le droit de vote grâce à une ordonnance signée du général de Gaulle. Pourquoi cette revendication séculaire du mouvement féministe a-t-elle mis si longtemps à aboutir? C'est en étudiant l'histoire du mouvement suffragiste que Florence Rochefort nous donne des éléments de réponse.
En avril 1944, une ordonnance du Comité français de libération nationale accorde aux femmes les droits politiques. Pionnière quand elle instaure en 1848 le suffrage prétendu «universel», la patrie des droits de l'homme est parmi les dernières, près d'un siècle plus tard, à en abroger l'exclusivité masculine. L'entre-deux-guerres voit la plupart des nations du monde occidental octroyer l'électorat et l'éligibilité aux femmes, bientôt rejointes par la Chine, le Brésil, le Japon, la Turquie ou encore les Philippines. Le retard de la France n'en paraît que plus singulier, d'autant qu'en 1994 elle détient avec la Grèce le plus faible pourcentage d'élues en Europe. À l'heure où l'on s'insurge de la moindre représentation des femmes dans les Assemblées, il n'est pas inutile de
peler comment le mouvement suffragiste de la première moitié du 20e siècle a posé la question de l'égalité politique dans la démocratie française. Comment s'est-il imposé dans l'espace républicain? Comment a-t-il contribué à faire évoluer les mentalités ? Quelles oppositions a-t-il rencontrées ? Comment a-t-il finalement obtenu gain de cause à un moment où il a été dispersé par la guerre? Autant de questions qui nous permettent de saisir les enjeux de la citoyenneté féminine dans la société contemporaine1.
1. Pierre Rosanvallon, Le sacre du citoyen, Paris, Gallimard, 1992 ; La démocratie à la française ou les femmes indésirables: 1793-1993, colloque des 9-10-11 décembre 1993, Paris, CEDREF-Université Paris VII, à paraître.
L'essor du mouvement suffragiste
La Révolution française, en dépit de ses principes égalitaires, refuse aux femmes les attributs de la citoyenneté: le port des armes et le droit de vote. Dès lors, l'exclusion des femmes fait partie intégrante des structures politiques françaises. Le suffrage censitaire ou «universel» est d'emblée masculin, sans qu'aucun texte constitutionnel ne prenne la peine
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