NATIONALISME

ET INTERNATIONALISATION

AU JAPON

Eric Seizelet

On sait que la référence à la tradition est une constante de la culture japonaise. Quels sont alors les fondements de l'actuelle résurgence traditionaliste dans ce pays ? En quoi ses formes spécifiques sont-elles une menace pour les institutions ? Pour répondre à ces questions, c'est toute la crise identitaire nippone qu'il faut aborder.

Le 3 mai 1987, un membre d'un Groupe patriotique pour l'indépendance de la nation japonaise attaquait à Nishi- nomiya le bureau régional du quotidien Asahi Shimbun, tuant un journaliste et en blessant un autre grièvement. Dans un communiqué particulièrement violent, ce groupe déclara ainsi punir les médias pour leur « antijaponisme » et menaça de mort tous les journalistes qui « dénigrent la culture et les traditions japonaises ». C'était la première fois depuis les affrontements sur le traité de sécurité, à l'aube des années 1960, qu'un attentat de cet ordre était commis contre un organe d'information à la réputation solidement établie. A deux jours de la commémoration du quarantième anniversaire de l'entrée en vigueur de la Constitution pacifique — bête noire de l'extrême droite —, l'événement avait valeur de provocation1.

L'émotion dans l'opinion n'en fut que plus grande. D'autant que l'attentat renvoyait à une autre « tradition » qui avait fait le lit du fascisme avant guerre, celle du « terrorisme patriotique », qui avait coûté la vie à trois Premiers ministres. Jusqu'à présent, l'extrême droite s'était surtout signalée par de voyantes parades dans le quartier des administrations de Tôkyô, qui faisaient davantage de bruit qu'elles ne rencontraient d'écho. Et si l'on évoquait parfois la violence politique, on faisait surtout allusion aux groupuscules d'extrême gauche.

L'attentat du 3 mai, froidement commis et prémédité, révéla à l'opinion qu'une frange, sans doute très minoritaire, de l'extrême droite était désormais décidée à passer à l'action directe. Le gouvernement annonça aussitôt sa détermination à « protéger la Constitution » en réprimant les atteintes à la liberté d'expression. Saine réaction devant un acte odieux ? La prudence s'impose. Car l'attentat du 3 mai dernier était loin d'être imprévisible. Il a au contraire bénéficié d'un climat favorable, entretenu par la renaissance du nationalisme dont tous les observateurs étrangers soulignent l'importance2. Depuis les années 1980 en effet, la « protection de la culture et des traditions japonaises » est

17