EfimETKIND
Problèmes de métatraduction
Peu de temps avant sa disparition, Efim Etkind avait fait un exposé sur les « Problèmes de métatraduction » dans le cadre d'une conférence sur « La traduction à l'aube du XXIe siècle : théorie, pratique et méthodologie » à l'université de Kiev, exposé enregistré et traduit par Philippe Frison en mai 1998. Nous remercions M. le Recteur de l'Université de Kiev, organisateur de la conférence, de nous avoir donné l'autorisation de publier ce texte.
Ceux qui s'intéressent à la traduction savent que nous sommes victimes de l'extrême pauvreté de notre langue — et ils ne sont d'ailleurs pas les seuls. En effet, il nous manque toujours des mots. Le terme même de « traduction » ne convient pas pour décrire ce que nous évoquons en ce moment, car il recouvre trop de domaines à la fois, alors que ceux-ci ne sont guère reliés entre eux et qu'ils n'ont parfois rien de commun.
Les Allemands ont pour ce dont je veux parler un mot excellent : Nachdichtung. Ce qui étonnant, c'est que ce mot est intraduisible. Il désigne en quelque sorte une littérature, une poésie secondes. Quand, il y a bien longtemps, j'ai écrit un livre intitulé Поэзия и перевод ; c'était à l'époque préhistorique, en 1963 ; j'en avais choisi en fait le titre en allemand. Il devait s'intituler Dichtung und Nachdichtung et tout aurait été bien à sa place. Le titre « Poésie et traduction » ne rend pas ce que je voulais dire, si bien que même le titre d'un livre sur la traduction s'est révélé intraduisible. Pardonnez-moi cette boutade au début même de ma réflexion, mais elle est indispensable pour montrer ce que je pense du terme, des mots eux-mêmes.
Par « métatraductions », j'entends des textes qui sont des traductions sans en être véritablement. Ce sont des textes que l'on peut aussi qualifier autrement, en partant d'un autre point de vue, de pseudo-traductions, de traductions mensongères, voire de mystifications.
Un exemple classique de ce système si étrange de traduction est le petit livre de Prosper Mérimée publié en 1827 sous le titre la Guzla, dont la couverture représentait un Serbe aux longues moustaches fumant sa chibouque, comme le savent les lecteurs de Mérimée. Le dessin était censé représenter un certain Hyacinthe Maglanovich, auteur des poèmes repris dans la Guzla (ou gusla, vièle jouée en Illyrie). En fait, Mérimée s'apprêtait effectivement à noter les chants populaires de la future Yougoslavie, mais comme il n'avait pas d'argent, il a décidé de composer d'abord ces chants, puis d'aller vérifier ensuite s'ils correspondaient à ce que les Serbes