Albert В AÏBOURINE
La symbolique de l'isba russe
L'isba paysanne russe est un tout symbolique complexe. Outre une affectation pratique, utilitaire, toutes les parties de la construction et de l'espace habité ont des fonctions et des significations autres, extra-utilitaires. Certains éléments, la sculpture décorative par exemple, ont une signification évidente ; d'autres, en particulier les éléments de la construction, en ont une moins claire, mais qui apparaît d'une façon ou d'une autre dans différents contextes (les interdits, les prescriptions réglementant la conduite des humains) ; d'autres encore ont une signification profondément cachée que l'on ne peut déceler qu'au moyen de recherches particulières.
Dans l'imaginaire du paysan russe l'isba est un être vivant. Â l'instar d'un être humain, elle voit, elle entend, elle a des sensations. Les noms de ses différentes parties sont tirés des noms des parties du corps humain (okno « la fenêtre » vient de око « l'œil », oust'ie « la bouche du poêle » vient de ousta « la bouche », cf. également : le front, le visage, le crâne, la moustache, les pieds : cette liste des termes descriptifs communs au corps humain et à l'habitation est loin d'être exhaustive). Visuellement déjà, l'isba, en particulier dans la Russie du Nord, avec sa représentation d'une tête de cheval en bois sculptée au faîte du toit, évoque des associations avec le corps humain. Cette idée a été de tout temps une source d'inspiration pour le folklore. Les devinettes dont la réponse est « isba » sont à cet égard caractéristiques, comme celle-ci : « Un énorme taureau aux flancs tout percés, qu'est-ce que c'est1 ? » Enfin, l'isba, comme tout ce qui est vivant, a sa durée de vie, son « siècle ». Dans de nombreuses régions de Russie, on estimait que la durée de vie de l'isba était de cent ans. Ce laps de temps écoulé, on en construisait une autre.
Les racines de ces croyances sont très profondes. Outre l'idée universelle d'anthropomorphisme du milieu artificiel, ces racines se sont
A. K. Baïbourine dirige le secteur Théorie de l'ethnographie de l'Institut d'ethnographie de l'Académie des sciences de Russie à Saint-Pétersbourg.
LA REVUE RUSSE, Paris, 8, 1995, p. 61-70.
