L'INDE FRANÇAISE EN SURSIS 1947-1954
par PATRICK PITOËFF
La décolonisation de l'Inde française reste une histoire méconnue en dehors de l'ouvrage de Georges Tailleur, administrateur de Chandemagor, qui raconta la fin de ce comptoir transféré à l'Union indienne en mai 1950, et de l'étude bien documentée que le journaliste Georges Chaffard publia en 1965 sous le titre L'abandon des comptoirs de l'Inde, où il retraçait avec talent les péripéties de sept années de négociations franco-indiennes et du jeu politique local qui devaient conduire à la cession de Pondichéry, Karikal, Mahé et Yanaon le 1er novembre 1954. Cet article lui doit beaucoup. Pourtant la consultation des archives permet aujourd'hui une remise en perspective mettant en lumière trois éléments capables d'expliquer le long sursis de l'Inde française : l'attitude des décideurs parisiens qui relève de l'inhibition politique et s'inscrit en faux contre toute interprétation d'abandon; le jeu politique du gouvernement de Nehru, présentant tour à tour maladresse et habileté dans un parcours sinueux plutôt que rectiligne ; le jeu politique local enfin, le plus remarquable, qui permit à une fraction des notables pondichériens de perdre la France pour gagner le pouvoir.
Tout d'abord, la situation de sursis est bien réelle et ressentie comme telle à l'époque : ainsi, dans une correspondance diplomatique du début de 1954, l'ambassadeur de France à New-Delhi, Stanislas Ostrorog, presse son de mettre un terme au long sursis de l'Inde française, sans tarder si l'on veut y parvenir dans l'honneur. Et, en effet, dès lors que les Britanniques s'étaient déchargés du pouvoir en 1947, il devenait clair que le sort des français était totalement suspendu au bon vouloir du gouvernement de l'Union indienne, qui manifesta très vite son intention de rattachement à une échéance rapprochée. Plusieurs témoignages évoquent cette conscience de l'inévitable : ainsi, l'archevêque de Pondichéry, Colas, bon connaisseur de l'Inde après cinquante ans de pastorale, écrit à un correspondant dans les mois
