Evelyne SORLIN
La croyance au droit du seigneur
dans les coutumes du Moyen Age
La croyance en l'exercice du droit du seigneur , ou droit de passer la première nuit avec la jeune mariée, a donné lieu à de nombreuses polémiques, sans compter les thèses les plus diverses énoncées par les partisans de son existence passée, afin de déterminer son origine. Trois thèses principales s'affrontèrent au cours du XIXe siè¬ cle.
L'une de ces hypothèses, de type psychologique, émise par Westermarck (1) et reprise ensuite par Freud (2), fait dériver l'usage — attesté dans certaines sociétés pré-industrielles — de la défloration des jeunes filles par un prêtre ou un chef, d'une crainte conçue envers le sang de l'hymen.
Les deux autres thèses, s'associant plutôt à une démarche de type évolution-niste, localisent le droit du seigneur à des stades historiques différents du développe¬ ment de la société. Ainsi Crawley (3) affirme que cette pratique est née dans une période de despotisme patriarcal. Il est rejoint en ce sens par Isidor Weil (4), qui en retrouve des traces dans l'Antiquité, où elle aurait été exercée à rencontre des Juifs.
La dernière hypothèse, axe central de conflit dès 1854, repose sur l'idée qu'il faut rechercher l'origine du droit du seigneur dans les mœurs féodales, cette prati¬ que se cachant au Moyen Age, selon Jules Delpit, sous des termes relatifs au mariage servile, comme formariage (5).
Cet article n'a pas pour objet d'établir si le droit du seigneur fut effectivement exercé ou non. En revanche, nous chercherons, en nous situant à l'intérieur même
(1) Edward WESTERMARCK, Histoire du mariage, trad. par Arnold Van Gennep, Paris, Mercure de France, 1934-1945, 6 vol., t. 1, La promiscuité primitive, p. 217.
(2) Sigmund FREUD, La vie sexuelle, Paris, P.U.F., 1969, chap. 3, «Du tabou de la virginité ».
(3) Alfred Ernest CRAWLEY, The Mystic Rose. A study of primitive marriage, augmenté par Théo¬ dore Besterman, Londres, Methuan, 1927, 2 vol., t. 2, p. 65.
(4) Isidor WEIL, «Bibliographie : Jus primae noctis. Eine geschichtliche Untersuchung von Dr Karl Schmidt », Revue des études juives, t, 7, 1883, pp. 156-159.
(5) Jules DELPIT, Réponse d'un campagnard à un parisien ou réfutation du livre de M. Veuillot sur le droit du seigneur, Paris, J.-B. Dumoulin, 1857, p. 119. En 1854, André-Marie Dupin, dit Dupin l'Aîné, fait à l'Académie des sciences morales et politiques un «Rapport sur un ouvrage de M. Bouthors intitulé Coutumes locales du bailliage d'Amiens » (Orléans, Impr. de Coignet-Darnault, 1854), qui véri¬ fierait l'existence du droit du seigneur. Louis Veuillot lui répond dans L'Univers et publie Le droit du sei¬ gneur au Moyen Age, Paris, Dumoulin, 1854.
LE MONDE ALPIN ET RHODANIEN
