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« Et moi, dit bibi, dit mézigue, dit ma pomme, dit mégnace ». L'argot et les pseudo pronoms chez San-Antonio

[article]

Année 2007 115 pp. 11-16
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L’argot authentique étant une forme voilée au profane, il laisse peu de trace dans les textes et dans les dictionnaires. Il est attesté cependant dans des textes anciens (Sainéan et Hesnault sont des dictionnaires de l’argot ancien) et plus récents (Vidocq) 1. On connaît généralement les études sur l’argot de Balzac, ou sur l’argot de Hugo, on connaît moins les études sur l’argot de F. Dard, elles existent cependant. Elles sont dues au philologue allemand Kurt Baldinger 2.

Sans développer ici une problématique détaillée, on précisera seulement que San-Antonio utilise un argot tourné vers le passé qu’il tient d’une culture écrite plus que d’une culture orale, c’est d’autre part un argot qu’il personnalise, la suffixation parasitaire laissant une très grande latitude à ses utilisateurs, San-Antonio est un créateur de langage. C’est enfin – les lois de l’écriture paralittéraire le lui imposent – un argot tout à fait transparent qui tire le langage vers des formes lexicalisées qui se sont intégrées au parler populaire. L’argot, au sens étroit, est une manière de parler qui touche la langue par un vocabulaire parasite qui substitue ses mots au lexique courant. Les transformations atteignent les parties de langue prédicatives, porteuses de sens (essentiellement les noms et les verbes) et ne concernent pas la grammaire ni les parties de langue non prédicatives 3, termes grammaticaux au sémantisme plus ou moins ténu (articles), instruments logiques (prépositions et conjonctions), outils de reprise (les pronoms sont des formes incomplètes qui ont un mode d’assignation de la référence particulier). Le jargon de l’ancienne pègre englobe des mots touchant à des activités illicites ou à des objets que l’on veut cacher : ainsi peut-on désigner les choses tout en les dissimulant, car l’argot a pour vocation originelle de permettre de s’entendre sans être compris du monde extérieur. San-Antonio donne une illustration inattendue de cette finalité. Dans

Laissez pousser les asperges (1985), l’argot retrouve sa fonction première de langue secrète : en effet, le commissaire San-Antonio (se sachant suivi par des Irlandais qui parlent français et téléphonant de la poste d’une petite ville d’Irlande) va encrypter sa communication avec le président François Mitterrand (entré dans la fiction où il devient un personnage par la vertu d’une métalepse narrative) en utilisant un niveau de langue inusité dans ce genre de dialogues :

[…] mais il m’est difficile de parler, monsieur le… Une idée me vient. – Je sais que vous êtes trop doué en français pour parler d’autres langues, du moins devez-vous comprendre l’argot, monsieur le. Un amoureux de la sémantique comme vous, bien qu’il s’exprime mieux que Montaigne ne peut rester indifférent à la prolifération de sa langue originelle et se plaît, j’en suis convaincu, à en étudier la mauvaise herbe ? (p. 141)

Le texte joue alors sur le contraste entre les sociolectes, le commissaire sautant sans transition du plus soutenu au plus populaire :

– Eh bien ! parlez ! me lance le président. – J’ai renouché la vioque, monsieur le. Elle compte se goinfrer. Elle exige une brique de Washington. Et pas des talbins de la sainte farce, mais du bon auber avec pedigree. Son gadget est planqué de première car elle a du chou. Pour l’empailler, Césarine, faut se lever tôt.

Cet emploi pittoresque du langage ne surprend pas dans la bouche de San-Antonio qui fréquente les durs et pourchasse les voyous, mais détonne de manière comique lorsque le président de la République, François Mitterrand, personnage considérable, prend le relais de la crudité grossière et du vocabulaire inconvenant et parle en langage gueux :

– Non mais, Santonio, y a du mou dans la corde à noeuds, mon pote ! Carmer un bouquet pareil à votre vieille vachasse, en pleine crise du Trésor ! Vous roulez sur la jante ! Faut vous faire rechapper les méninges si elles sont poreuses ! Ah ! j’en ai les feuilles qui se fissurent ! […] (p. 141)

L’argot est donc une langue cryptée qui va d’abord déguiser les mots clés. Le gazage n’atteint pas les termes au hasard. De même qu’on crypte les négations et les affirmations (oui c’est gy et non c’est nib), déjà dans les textes les plus anciennement attestés, on recherche le flou sur les pronoms personnels (les mots les plus vides et les plus grammaticaux qui soient, mais qui désignent les actants du dialogue), de sorte qu’une oreille indiscrète ne puisse pas savoir qui accomplit l’action, ni qui la fait faire, ni qui la subit : on assure ainsi le secret de l’échange.

L’Information grammaticale n° 115, octobre 2007 11

(*) San-Antonio, L’année de la moule, 1982, Fleuve noir, Paris, p. 149. 1. San-Antonio employant l’expression «nous arquepinceront » ajoute cette note révélatrice : «C’est bon de se vautrer dans l’argot de Vidocq » ,

Tango chinetoque, p. 191. 2. Baldinger, Kurt (1988), «Le langage argotique moderne (San-Antonio) et les dictionnaires de langue » , p. 251-304, Travaux de linguistique et de philologie, XXVI. — (1990 a), «Les noms de personnes en ancien français et chez San-Antonio » , p. 138-172, dans Dictionnaire historique des noms de famille romans, Dieter Kremer (dir.), Tübingen, Niemeyer. — (1990 b), articles de Kurt Baldinger recueillis par George Straka et Max Pfister, Tübingen. 3. Moignet (1981), p. 14-26.

«ET MOI, DIT BIBI, DIT MÉZIGUE, DIT MA POMME, DIT MÉGNACE » *

L’argot et les pseudo pronoms chez San-Antonio

Françoise RULLIER-THEURET

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