Genèses 33, dec.
pp. ioy-i2j
VIOLENCE
GUERRIERE ET
FONDAMENTALISME
MASCULIN:
ERNST JÚNGER
a guerre de 1914-1918 est l'expérience la plus pré- gnante du xxe siècle1. De la crise d'août 1914 à la de la guerre froide en 1989, elle a constitué pour les contemporains un fond d'expérience unique - bien que dépassé par la rupture de civilisation que représente la Shoah - passé à la postérité sous la dénomination de Grande Guerre. Celle-ci constitue l'expérience de l'irruption de la violence guerrière de masse dans la société civile. Ce traumatisme a fait de la société européenne une société de survivants et de sa mémoire collective une communauté de souvenir précaire et nationale, dans laquelle la mémoire de la violence guerrière a certes été retranscrite, mais - un peu comme sur T« ardoise magique» de Freud -jamais vraiment gommée2.
Ce n'est pas un hasard si la mutation historiographique récente - de l'histoire sociale à l'histoire culturelle, d'une histoire du réel à l'histoire des représentations - a abordé cet objet avec un intérêt croissant. En Angleterre, la naissance de la «mémoire moderne» a depuis longtemps été fixée dans le no man's land de la guerre de tranchées, entre histoire militaire et histoire littéraire3. En Allemagne, la très problématique « expérience d'août 1914» se dissout lentement dans le courant d'étude des correspondances du front4. Dans tous les cas, l'approche historiographique de la confrontation à la violence de guerre semble légitimer la démarche herméneutique de la nouvelle histoire culturelle et, avec elle, les sources si longtemps négligées ouvrant accès à l'expérience humaine. Cela a par ailleurs sans doute été favorisé par une
Bernd Weisbrod
1. Le texte présenté ici prend sa source dans une étude générale donnée au département de Littérature allemande de l'université de Gôttingen et complétée à partir de quatre conférences prononcées respectivement à l'Institut historique allemand de Londres, au St Antony's College d'Oxford, à l'École doctorale de recherche sur les identités de l'université de Halle et au Séminaire . d'histoire sociale de l'université . de Bielefeld. 2. Sur les «souvenirs occultés», voir Maurice Halbwachs, La Mémoire collective. Paris. Puf, 1950, pp. 58 et passim, sans que, dans le cas général. . la sélection de la mémoire ait une telle dimension traumatique. 3. Voir en premier lieu Paul Fussel, The Great War in Modem Memory, New York. London, Oxford UP. 1975 : Eric J. Leed. No Man's Land. Combat and Identity in World War I, Cambridge, New York, Cambridge UP." 1979 : Samuel Hynes. A War Imagined. The First World War and English Culture, New York. Atheneum : Maxwell Macmillan International, 1991. Voir aussi Klaus Vondung. Kriegserlebnis. Der Erste Weltkrieg
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