2. STYLISATION

Expression poétique et conscience linguistique

Christiane Seydou

Si l'attachement des peuples à leur langue est ce qu'il y a de plus commun, l'intérêt que portent les Peuls à la leur se manifeste sans cesse à travers leurs comportements discursifs, socio-linguistiques et à travers non seulement la richesse de leur création littéraire mais dans leurs choix rhétoriques mêmes. Certaines de leurs légendes d'origine sont à cet égard particulièrement révélatrices puisqu'elles font de la langue le motif premier de l'apparition de ce nouveau peuple. Si bovin et nomadisme sont, pour caractériser les Peuls, les références identitaires le plus couramment évoquées tant par les autres que par eux-mêmes, il va sans dire que, excepté pour les groupes qui pratiquent l'élevage nomade ou transhumant, ces traits relèvent plus des représentations que de la réalité du vécu. En revanche, la langue, elle, est pratiquée d'un bout à l'autre de l'aire peule par nomades ou sédentaires et même par des communautés non-peules assimilées. La primauté accordée à la langue s'explique peut-être par le fait que, d'une part, leur dispersion à travers toute l'Afrique de l'ouest et jusqu'au Cameroun et au Tchad, et la diversité des situations ainsi engendrées n'ont laissé aux Peuls comme seul point commun constant que la conscience de partager une même langue et que, d'autre part, leur contact avec de multiples autres langues et autres cultures a pu favoriser la cristallisation du réflexe identitaire sur la langue, seul "bagage" inaliénable que migrant ou pasteur peut transporter avec lui.

La création littéraire est évidemment le domaine où se manifeste le mieux l'attention portée à la langue; c'est donc à ce niveau de l'activité discursive que nous examinerons un certain nombre de faits qui illustrent la conscience aiguë qu'ont les Peuls des structures et du système de leur langue, mais surtout leur talent à faire de ces traits linguistiques une exploitation esthétique, trouvant dans la langue leur matériau artistique privilégié. N'ayant ni statuaire ni architecture, et laissant la pratique de la musique instrumentale aux "gens de caste", ils n'ont en effet que celui-ci sur lequel exercer pleinement leur