A TRAVERS LES ROYAUMES DE CHYPRE*

Vassos KARAGEORGHIS

Dans le peu de temps dont je dispose pour parler des royaumes de Chypre, je ne tenterai même pas de toucher à la question, souvent débattue et sujette à controverse, de la date à laquelle les royaumes de Chypre ont fait leur apparition. Plusieurs articles ont été écrits à ce propos, certains soutenant, d'autres niant que les "noyaux" de ces royaumes aient déjà pu être constitués à la fin du bronze récent. Il est vrai qu'au VIIIe s. avant notre ère, Chypre était prête à émerger "des siècles obscurs" (bien que ces siècles n'aient pas été aussi obscurs à Chypre que dans le monde égéen) et à jouer un rôle important dans les relations commerciales, politiques et culturelles qui allaient se nouer entre les différents peuples de la Méditerranée. Sans doute les Phéniciens jouèrent-ils un rôle considérable dans ce domaine, mais d'autres facteurs contribuèrent également à cette renaissance. Le VIIIe s. était une époque où il se passait beaucoup d'événements d'un bout à l'autre de la Méditerranée, avec les Phéniciens partant à la conquête de l'ouest et les puissantes cités grecques s'en allant fonder des colonies en Méditerranée centrale et orientale. Ce fut un siècle décisif pour le cours qu'allait prendre le développement politique et culturel de Chypre: l'île se trouvait prise entre l'Orient et l'Occident, situation que reflète fortement l'histoire de ses royaumes. Les changements successifs de domination politique et culturelle sur Chypre, soumise d'abord aux Assyriens, puis aux Égyptiens et, enfin, aux Perses définirent le scénario de ce développement. La situation où se trouvait l'île sous les Perses est celle qui nous intéresse plus particulièrement, car c'est sous la domination perse que les rois chypriotes frappèrent leurs premières monnaies.

Diverses opinions ont été exprimées concernant l'importance de la présence perse à Chypre à partir de la fin du VIe s. av. J.-C., époque à laquelle l'île était passée sous leur domination, jusqu'à l'année où Alexandre le Grand l'en libéra. A en juger par le nombre extrêmement limité d'objets d'origine perse trouvés à Chypre (quelques sceaux et dariques d'or), nous pouvons tenir pour certain que cette présence n'était pas une présence massive. Si elle l'avait été, une quantité plus importante d'objets perses aurait été découverte dans l'île. Certes, l'art achéménide a influencé le développement de l'art chypriote, principalement la sculpture et l'orfèvrerie, mais ces influences ne sont pas forcément dues à une présence importante des Perses à Chypre. La route de Suse était bien connue de nombreux Chypriotes et des Grecs en général, toujours prêts à jurer fidélité au Grand Roi pour qu'il les aidât à détruire leurs ennemis personnels ou politiques. Le cas de Gorgos, frère d'Évagoras, tel que nous l'expose Hérodote, en est un bon exemple. On peut se demander, certes, comment les Perses pouvaient avoir une telle emprise politique sur le pays s'ils n'y étaient pas massivement représentés. On peut supposer que le Grand Roi avait placé des garnisons dans l'île, qui pouvaient, en cas d'urgence (soit de rébellion ou