Socialisation adolescente et usages des médias sociaux : la question du genre

Aujourd’hui, en France, 98 % des adolescents âgés de 12 à 17 ans possèdent un ordinateur à domicile, parmi lesquels 97 % disposent d’une connexion Internet (Bigot et Croutte, 2014). Les jeunes ont également de plus en plus un accès individualisé et itinérant à Internet, puisque 59 % des 12-17 ans et 81 % des 18-24 sont équipés de

smartphone (ibid.). La généralisation des usages mobiles d’Internet est encore plus massive en Suisse, où 99 % des jeunes âgés, entre 12 ans et 19 ans, possèdent un téléphone portable en 2016 et, dans 98 % des cas, il s’agit d’un smartphone (Waller et al., 2016), tandis que 90 % des jeunes Québécois, âgés de 18 ans à 24 ans, possédaient en 2015 un tel outil(1). L’entretien de liens sociaux existants est la première activité juvénile connectée (Balleys, 2015) : «94 % des jeunes Suisses possèdent un compte sur au moins un réseau social » , dont 81 % sur Instagram et 80 % sur Snapchat (Waller et al., p. 47), et ils sont 87 % à les utiliser tous les jours, ou au moins plusieurs fois par semaine (ibid.). Les applications de messagerie, qui permettent de communiquer avec une sélection de personnes, souvent en mode d’échange instantané, sont utilisées quotidiennement par la quasi-totalité des 12-19 ans, soit 97 % de la population juvénile suisse. Ce rapide tour d’horizon permet de prendre la mesure de l’ampleur de la réalité connectée. En 2017, entretenir un réseau social pour un adolescent âgé de 14 ans ou 17 ans implique l’utilisation régulière des médias sociaux. Cette expression désigne ici tout type de réseau socionumérique et d’application de partage destiné à la mise en relation et en communication des individus. Les sites de réseaux sociaux comme Instagram ou Snapchat correspondent ainsi à cette définition, tout comme les applications de messagerie et les sites de partage, comme par exemple YouTube, le site préféré des jeunes Suisses et des jeunes Québécois (Waller et al., 2016 ; Steeves, 2014). Au-delà des fonctions pragmatiques de la mise en relation et en communication des adolescents avec leurs pairs, qu’en est-il de la question du sens des pratiques socionumériques, en particulier du point de vue de la socialisation adolescente au genre et à la sexualité ? Cet article est issu des réflexions menées lors de la rédaction d’une revue de littérature effectuée à partir de cent quarante travaux récents traitant de la socialisation adolescente et des usages du numérique, selon une perspective internationale(

2). Il intègre également, au dernier point traité, les résultats d’une enquête menée sur la mise en scène de l’intimité par les adolescentes et les adolescents sur YouTube (Balleys, 2016 a ; 2017). L’objectif de cette contribution est de répondre à la question suivante : qu’est-ce que les usages adolescents des médias sociaux apprennent des rapports sociaux de sexe à l’adolescence et des modes de socialisation contemporains aux appartenances de genre ? L’analyse porte plus particulièrement sur une dimension de l’affirmation médiatisée de l’individualité encore peu explorée en sciences sociales francophones : les performances de genre (Butler, 2006) et les actes déclaratifs d’appartenance de genre qu’elles contiennent. En effet, les médias sociaux représentent des plateformes inédites de présentations de soi en tant que fille ou en tant que garçon (Marwick, 2013 ; Wotanis, McMillan, 2014 ; Balleys, 2016 a, 2017). Sont ainsi explorées les pratiques qui permettent aux adolescents de «faire le genre » (West et Zimmerman, 1987) à travers la routine des échanges et des mises en scène de soi ayant lieu entre eux sur les médias sociaux. Autrement dit, la manière dont la fabrication du féminin et du masculin (Garfinkel, 1967 ; Berk, 1985 ; Deutsch, 2007 ; Connell, 2010) prend acte quotidiennement dans les relations sociales médiatisées. La première partie de l’article sera donc consacrée à la mise en contexte de la socialisation adolescente contemporaine : d’abord sous l’angle du genre et de la sexualité, puis à l’aune des pratiques de sociabilité médiatisée. Ce premier cadrage permettra d’offrir au lecteur des clés d’appréhension et de compréhension

Revue des politiques sociales et familiales n° 125 -3e et 4e trimestres 2017 33 Parcours adolescents : expériences et représentations