Le taoïsme du district de Cangnan, Zhejiang

Lu Chui-kuan et John Lagerwey

I. Introduction

II est rare qu'on parle de la province de Zhejiang lorsqu'on traite du taoïsme. C'est pourtant, et cela depuis plus d'un millénaire, l'une des pépinières les plus fécondes de la religion nationale. Lieu d'origine de grands maîtres comme Du Guangting (850-933), territoire aussi où se trouve concentré le plus grand nombre de « grottes-cieux » de toutes les provinces, c'est encore le Zhejiang qui a vu l'éclosion de plusieurs écoles taoïstes importantes à l'époque Song : celle de la Grande méthode du Joyau sacré (Lingbao dafa) notamment, et sa sœur rivale des monts Tiantai, dans le Nord-Est de la province; et, dans le Sud-Est, dans la région de Wenzhou, celle de l'Empyrée divine (Shenxiao) à la fin des Song du Nord puis, au début des Yuan, celle dite du Sud de l'eau (Shuinan). C'est cette dernière école taoïste qui était à l'origine de l'enquête dont nous rendons compte ici.

Cette enquête s'est surtout cantonnée au plus méridional des districts côtiers du Zhejiang, le Cangnan. Enserré entre les districts de Pingyang au nord et de Fuding, dans le Fujian, au sud, Cangnan, qui fut détaché de Pingyang en 1981 seulement, fait partie de la région municipale de Wenzhou. La plaine côtière, qui s'étend de la frontière provinciale jusqu'à Wenzhou, est très étroite au niveau du chef-lieu de Cangnan, Lingqizhen, mais s'élargit ensuite dans les districts de Pingyang et Rui'an. A une trentaine de kilomètres à l'ouest de Lingqizhen se trouve la montagne sainte Yandang-Sud (Yandang-Nord se situe le long de la côte, à environ quatre-vingts kilomètres au nord de Wenzhou). Les monts Taimu occupent une bonne partie de la côte très découpée de la région de Ningde, au sud de Cangnan.

Ces détails géographiques ne sont certainement pas étrangers à la particularité la plus saillante du district de Cangnan, à savoir le fait que la majeure partie de sa population parle la langue minnan1. Depuis quelle époque est-ce ainsi? La plupart de nos interlocuteurs se disaient établis dans la région depuis environ quatre siècles. Mais quelle que soit la date de la migration à l'origine de cette « poche » linguistique, le minnan de Cangnan est maintenant mélangé d'emprunts aux langues de Wenzhou et du Minbei, tant et si bien que quelqu'un parlant le minnan de Taiwan ne comprend qu'à peu près 70 % de ce qui se dit et doit s'appuyer sur le contexte pour le reste.

Mais, si cette particularité allait augmenter considérablement notre intérêt pour le taoïsme du sud-est de Zhejiang, avant de nous rendre dans le Cangnan, nous ignorions ce fait au demeurant peu connu des non-linguistes. L'origine de notre

BEFEO 79.1 (1992), p. 19-55