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Le cercle de l'immondice : Postface anthropologique

[article]

Année 1991 53 pp. 109-116
Fait partie d'un numéro thématique : Le génie du propre
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Le cercle de l'immondice

POSTFACE ANTHROPOLOGIQUE

Colette Pétonnet

De mémoire d'homme il n'y eut que Job pour vivre sur son fumier, ce qui ne l'empêchait pas de glorifier Dieu, évitant ainsi la déchéance suprême que suggère le fumier. Pas plus que l'animal l'homme ne vit sur son fumier. Voués à la servitude de l'excrément, l'un et l'autre s'en écartent sauf quand la captivité impose à l'un et l'autre cette proximité. Mais, depuis le début de l'aventure humaine, les hommes se distinguent des animaux par une production d'autres déchets, débris et résidus de leur activité industrieuse, auxquels ils sont liés par nature et dont ils gèrent l'évacuation nécessaire. Depuis des temps immémoriaux, ils gardent libre d'im¬ mondices la place où ils se tiennent, dorment ou réflé¬ chissent, au centre de la case, et rejettent ceux-ci, en cercle, autour de leur habitat. Des chasseurs du paléoli¬ thique supérieur, on ne saurait rien quant à leur art de vivre si l'on n'avait trouvé qu'un outillage de silex dont l'emmanchement est perdu. Mais des débris de lames autour de l'enclume, les cendres du foyer compactées à une portée de bras vers l'avant, et les os des gibiers, tranchés pour en extraire la moelle, rejetés en arrière, ont permis aux préhistoriens de reconstituer le nombre, la disposition, la taille et la forme — circulaire — des tentes. Alors que les outils n'indiquent qu'un certain degré de civilisation matérielle, seules, comme une iro¬ nie du temps, les poubelles des Magdaléniens livrent un début de lecture de leur organisation.

Ce ne sont plus les os, si lents à disparaître, qui nous encombrent désormais, car il y a belle lurette qu'on les réutilise, réduits en poudre et carbonisés. Tant que la terre était peu peuplée, tant que les tribus étaient nomades, ces restes dérisoires comptaient peu dans l'es¬ pace sauvage. Mais 1 'homo faber sédentarisé s'est vite aperçu que toute innovation technique — l'emploi de la force animale par exemple — engendrait un accroisse¬ ment des déchets, que toute augmentation de population avait le même effet, et que cette responsabilité deman¬ dait, soit de réutiliser une partie des ordures pour en réduire le volume, soit d'agrandir le cercle en les portant plus loin, hors de vue et de nez. Les deux systèmes coexis¬ tèrent un peu partout sans doute. Que les ordures soient livrées aux bêtes sauvages et aux champs, aux confins du village, comme en Inde, ou que le crottin soit ramassé et que les coquilles d'huîtres, broyées sous les roues des

charrettes, soient picorées par les poules avant que la pluie entraîne le reste à la rivière, comme en France, tant que la vie fut agricole et la campagne proche, la terre absorba. L'économie rurale, économie de subsistance, recyclait tous les restes sans guère laisser de résidu. Toute concentration urbaine posa, au contraire, immé¬ diatement problème, car dans l'espace restreint des mai¬ sons accolées le cercle du dépôt domestique touche iné¬ vitablement le voisin. Les archives sont remplies de plaintes contre les infiltrations et les stagnations nauséa¬ bondes venues du voisinage. Où vider les cendres du foyer, les entrailles du poulet et le pot de chambre, sinon dans le seul espace non approprié, celui de la rue ? Pour l'habitant, à cette époque, l'absence de confort ne pro¬ vient pas du manque de baignoire mais de l'impossibilité de se délivrer efficacement de ses ordures excrémen¬ tielles et ménagères. Pour les édiles responsables, laisser celles-ci dans la rue, devenue impraticable, revient à accepter que la communauté vive presque dessus, ce qui est indigne de la condition humaine. Il faut les porter hors les murs, garder libre d'immondices l'espace collec¬ tif. Le problème se complique en outre du poids des déchets de la consommation communautaire. Que faire des carcasses et du sang des abattoirs ? On les jettera à la rivière dans l'eau salvatrice du courant qui les empor¬ tera au loin. Car les accumulations putrides sont dange¬ reuses, qui attirent mouches et rats. Quant aux ordures domestiques, dont l'accroissement de population aug¬ mente régulièrement le volume, elles feront l'objet d'une organisation collective : chaque tas individuel, déposé devant chez soi, sera ramassé par le tombereau munici¬ pal, lui-même vidé par les préposés. Au fur et à mesure de l'avancement des techniques, la ville est de mieux en mieux nettoyée, balayée, tandis qu'au-delà des murs ou des portes s'élargit le cercle de ses immondices. Les his¬ toriens nous ont largement conté la corvée des tinettes, les miasmes et la pestilence des champs d'épandage. Le problème reste entier. L'urbanisation croît, les cercles se rejoignent. Il faut recycler, réduire, «contrôler les décharges », sous peine d'empuantir les bourgs voisins.

Les Annales de la Recherche Urbaine n" 53, Ol 80-930-X11 191 1531 109/3 — © MELAIT

LE GÉNIE DU PROPRE 108-109

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