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La Preuve Par la Lettre pratiques juridiques au tribunal révolutionnaire de Paris (1793–1794)

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Carla Hesse*
Affiliation:
Université de Californie, Berkeley

Extract

” L'écriture est un témoin qui est difficilement corrompu ». (Montesquieu)

La guerre idéologique est terminée… Voilà un peu plus de quinze ans, avec Penser la Révolution française, François Furet assenait à l'ensemble de l'historiographie antérieure de la Révolution un coup dont elle ne devait pas se relever : l'histoire politique de la Révolution française, disait-il, se confond avec l'événement qu'elle s'efforce de relater. En finir avec cette historiographie « commemorative », c'était la tâche assignée à une histoire conceptuelle, une histoire dont les catégories ne fussent pas le reflet des catégories et positions politiques de la Révolution elle-même. Il fallait pour ce faire jeter les bases d'un nouveau mode d'appréhension de la Révolution : d'époque à ressusciter, à la Michelet, elle devait devenir un problème à analyser. Un problème défini, sur les pas de Tocqueville, comme celui de la tradition démocratique en France.

Summary

Summary

This article examines the workings of one central mechanism for the adjudication of political differences in modem European political culture: the Paris Revolutionary Tribunal of 1793-1794. The Revolution marked a transformation of the key political institution by which the nation drew the line between citizen and traitor, replacing the confessional practices of the old regime courts with a trial procedure aimed at producing objective material proof of subjective political allegiances. The “seized letter, ” through its unintended revelation of private sentiment, became the most powerful means to arrive at proof of the authentic political intentions of suspects. These letters still serve as the crucial historical evidence of revolutionary legitimacy to this day. The history of the political practices, rather the political discourses, of the French Revolution, suggest that the French Revolutionaries may have taken more from Rousseau's Nouvelle Héloïse than from his Social Contract in inventing the politics of republican transparency.

Type
Les Pratiques de la Justice, 16e-19e Siècles
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1996

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References

* Pour Bernard Lepetit.

1. Charles Louis de Secondat, baron de Montesquieu, L'esprit des Lois, sixièmepartie, livre XXVIII, chap. 44, « De la preuve par témoins », dans Œuvrescomplètes, Paris, Gallimard,« La Pléiade », p. 862.

2. Furet, François, Penser la Révolutionfrançaise, Paris, Gallimard, 1978 Google Scholar. Voir en particulierpp. 13-46.

3. Voir les interventions des députés à la fin de l'assembléeconstituantedans Richet, Denis, « Assembléesrévolutionnaires », Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988, pp. 456457.Google Scholar

4. Voir en particulier, Baker, Keith Michael, Inventing the French Revolution, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 CrossRefGoogle Scholar.

5. Ceschiffresont pour origine les statistiquesfournies par Walter, Gérard éd., Actes du tribunal révolutionnaire, Paris, Mercure de France, 1986, pp. XXVIIIXXXI.Google Scholar

6. Pour une vision globale des statistiquessurce point, se reporter à Greer, Donald, The Incidence of the Terror : A Statistical Interpretation, Cambridge, Ma., Harvard University Press, 1935 Google Scholar ; Godfrey, James Logan, Revolutionary Justice. A Study of the Organization, Personaland Procedures of the Paris Tribunal, 1793-1975, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1951 Google Scholar ; Bouloiseau, Marc, La républiquejacobine, août 1792-1799 thermidor an II, Paris, Éditions du Seuil, 1972 et 1989, en particulier pp. 233235.Google Scholar

7. Sur le courant du droit naturel dans les théoriesjuridiques de la preuve, et sur la preeminence croissante de la preuveécritesurl'oralité, témoignageouaveudans la doctrine dudroit et de la jurisprudence au 18esiècle, on se reportera à Langbein, John H., Torture and theLaw of Proof, Chicago, University of Chicago Press, 1977 Google Scholar, en particulier p. 68 ; Foriers, Paul, « La conception de la preuvedansl'école du droit naturel », dans La preuve. Recueil de lasociété Jean Bodin pour l'histoire comparative des institutions, t. XVII, Bruxelles, 1965, enparticulier pp. 173174 et 186-189Google Scholar ; Robert VILLIERS, « Les preuvesdansl'anciendroitfrançaisdu XVIeau XVIIIesiècle », ibid., pp. 345-356 ; John GILLISEN, « La preuve en Europe du XVIeau début du XIXesiècle, Rapport de synthèse », ibid., pp. 757-833 ; Daston, Lorraine, ClassicalProbability in the Enlightenment, Princeton, Princeton University Press, 1988, p. 321 Google Scholar.

Concernant l'opinion de Cesare Beccaria sur le contraste entre preuvematérielle ettémoignage oral quant aux difficultéssuscitées par leurinterprétation, voir Des délits et despeines, Paris, Flammarion, 1991, particulièrement chap. XIII, «Des témoignages», pp. 89-90.Consulter aussi Foriers, Paul, « Introduction au droit de la preuve », dans Perelman, Chaim et Foriers, Paul (sous la direction de), La preuve en droit, Bruxelles, Bruylant, 1981, pp. 725 Google Scholar ; J.-P. Levy, « Les classifications des preuvesdansl'histoire du droit », ibid., pp. 27-58 ; Robert le Gros, « La preuve en droitpénal », ibid., pp. 149-173 ; Georges Levasseur, « Le droit dela preuve en droitpénalfrançais », ibid., pp. 175-195 ; Perelman, Chaim, « La spécificité de la preuvejuridique », dans La preuve. Recueil de la société Jean Bodin pour l'histoire comparativedes institutions, t. XIX, Bruxelles, 1965, pp. 517 Google Scholar ; Jean Hemard, « La preuve en Europe occidentalecontinentale aux xixeet xxesiècles », ibid., pp. 19-48 ; Gabriel Lepointe, « La prevue judiciairedans les codes napoléoniens », ibid., pp. 141-185 ; Jean Royer, « L'évolution du droitdes preuves en France depuis les codes napoléoniens », ibid., pp. 187-209.

8. En ce qui concernel'influence de l'utilitarisme de Beccariasur les rédacteurs du code, voirle Rapport sur le projet du code pénal fait au nom des comités de constitution et de législation, parMichel Le Peletier de Saint-Fargeau, à l'Assembléenationaleconstituante (séance des 22 et23 mai 1791), publiédans Lascoumes, Pierre, Poncela, Pierrette, Lenoël, Pierre, Au nom del'ordre. Une histoire politique du code pénal, Paris, Hachette, 1989, pp. 327353 Google Scholar, etparticulièrementp. 331.

9. L'analyse du déclin de la torture et de l'aveuproposée par John Langbeinprésente à monsens la faiblesse de surestimerl'aspectutilitaire et profane, négligeantainsi, au profit de la dialectiquede la preuve, celle de l'expiation et de la réintégrationdans le corps politique. Pour unevision extrêmement aiguë des implications juridiques et politiques de la trahison, on verra Foucault, Michel, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975 Google Scholar, et van Kley, Dale, The DamiensAffair and the Unraveling of the Ancien Régime, 1750-1770, Princeton, Princeton University Press, 1984.Google Scholar

10. Sur l'importance accordée par les tribunaux révolutionnaires à la preuve matérielle, onverra James Logan Godfrey, Revolutionary Justice…, op. cit., en particulier pp. 121-129. Lesconclusions de J. Logan Godfrey se fondentsur les résultats des recherches de Roblot, René, La justice criminelle en France sous la Terreur, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1937 Google Scholar, et Seligman, d'Edmond, La justice en France pendant la Révolution (1789-1792), Paris, Pion, 1901.Google Scholar

11. Concernant les difficultés récurrentes posées par le transport des témoins, on se reportera à Archives nationales W 158, décret du 13 brumaire, an II, ordonnant au général Favart, commandant à Lille, « de faire parvenir à l'accusateur public une déposition écrite indiquant tout ce qu'il sait des délits du ci-devant général La Marlière » ; AN W 158, décret du 18 nivôse, an II, portant « que ceux de ses membres qui pourraient être appelés à déposer commetémoins devant les tribunaux, soit à la réquisition des accusateurs publics, soit pour les affaires civiles seront entendus dans l'heure portée par la signification, laquelle leur sera faite à domicile » ;AN W 510, décret du 7 pluviôse, an II, portantque : « Aucun représentant du peuple ne pourraêtrecité pour déposer comme témoin, tant en matière civile qu'en matière criminelle, dans les tribunaux d'icy ni hors de Paris, qu'en vertu d'un décret de la Convention nationaleou duCorps législatif » ; AN W 158, décret du 20 messidor, an II, qui prescrit aux « directeurs des voitures nationales de donner préférence des places aux personnes assignées pour venir en deposition au tribunal révolutionnaire ».

Sur la question du témoignage in absentia, voir AN, AA 50 (1439-1441), doc. 12, Lettre de De Veau, Commissaire du Roi, Tribunal militaire du dépt d'Indre et Loire, au comité de Législation, datée du 24 mars 1792. De Veau s'inquiète de savoir si les notes issues d'un interrogatoi repeuventvaloir pour témoignage. AN ADIII 53, n° 7, Rapport et projet de décret presents au nom du comité de législation par Delaunay jeune… sur la question de savoir comment seront instruites les procédures criminelles dans lesquelles les témoins nécessaires sont à l'armée, Paris, Imprimerie nationale, s. d. [1792] ; AN ADIII 53, n° 8, Projet de décret sur l'audition des témoins en matière criminelle, par Ph. Ant. Merlin de Douai, Paris, Imprimerie nationale, s. d. [1793-94]; AN ADIII 53, n° 19, Second projet de loi pour remédier aux inconvénients qui résultent des déplacements multipliés et fréquents des militaires assignés pour déposer comme témoins devant les tribunaux, présenté au nom du comité de législation par Ph. Ant. Merlin de Douai, Paris, Imprimerie nationale, s. d. [18 prairial an II].

12. En ce qui concerne la question des faux témoignagesdevant le tribunal révolutionnaire, voir : AN ADIII 53, n° 22, « décret de la Convention nationale du 5 pluviôse, an II de la République… relatif aux faux témoins » ; AN W 158, décret du 5 pluviôse, an II : « La convention nationale après avoir entendu le rapport de son comité de législation décrète ce qui suit : art. 1 :La peine de mort prononcée par l'art. 48 de la section du titredeux de la seconde partie du code pénal, contre les faux témoins entendus sur des accusations capitales, aura lieu quoique les accusés à la charge desquels ils auront été déposés ayant été acquittés ; art. 2 : Les faux témoins qui auront déposé à décharge, soit que les accusés de crime même capitaux ayant été acquittésou condamnés, seront punis de vingt années de fers conformément à la première partie del'article du code pénal, cy dessusmentionné ; art. 3 : Si néanmoins les accusations capitales sur lesquelles il aura été déposé à descharges, ont pour objet des crimes contre-révolutionnaires ;les faux témoins seront punis de mort comme s'ils avoient été déposé à charges ; art. 4 : La présente loi sera lue publiquement aux témoins assignés pour déposer dans chaque procès immédiatement après l'accusation ; art. 5 : le décret rendu dans la séance d'hiersur le crime de faux témoignage est rapporté. » AN W 511, décret du 14 germinal, an II portantque la loi du 16 septembre 1791 sur le faux témoignage dans les tribunaux criminels ordinaires sera appliquée sans distinction dans les procès militaires et non militaires ; AN ADIII 53, n° 18, Projet de loisur lamanière de faire le procès aux faux témoins, présenté au nom du comité de législation par Ph.Ant. Merlin de Douai, Paris, Imprimerie nationale, s. d. [1793-94].

13. Voir James Looan Godfrey, Revolutionary Justice…, op. cit., p. 60.

14. Voir Shapiro, Barry M., Revolutionary Justice in Paris, 1789-1790, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, pp. 4855.CrossRefGoogle Scholar

15. Walzer, Michael, RégicideetRévolution, le procès de Louis XVI. Discoursetcontroverses, trad. frse Paris, Payot, 1989, pp. 5657.Google Scholar

16. Voir Jordan, David P., The King's Trial. Louis XVI vs the French Révolution, Berkeley, University of California Press, 1978.Google Scholar

17. Pour une vue d'ensemble de la controverse sur ce point, on consultera Hampson, Norman, Danton, Oxford, Basil Blackwell, 1988 Google Scholar, en particulier pp. 166-173 ; Georges Lefebvre, « Sur Danton », Annales historiques de la Révolution française, 1932 ; Becker, Cari, « A Letterfrom Danton to Marie-Antoinette », American Historical Review, XXVII, 1921-1922, pp. 2426 Google Scholar; Palmer, Robert R., The Twelve who Ruled, Princeton, Princeton University Press, 1969, p. 303.Google Scholar

18. AN W 400, Dossier de Stanislas Vuibert, président du tribunal de district de Rethel. Lettre de Vuibert à Mogne, homme de loi à Mézière, 23 janvier, l'an second de la République.

19. Voir par exemple AN W 400, Dossier Pichard, 2e partie doc. 3 : Interrogation de Mme Pichard, épouse d'un ancien président du parlement de Bordeaux, par le comité de Sûreté Générale le 28 floréal an II, oùelleavoueavoirrenoncé à signer seslettres, et avoir reçu des lettres non signées, dans le dessein de se protégerelle-même et d'éviter que quiconque fût compromis par un autre.

20. Sur l'histoire de ces sous-comités au cours de la révolution, on consultera, pour les premières années, Barry Shapiro, Revolutionary Justice in Paris…, op. cit., pp. 48-55 ; James Logan Godfrey, Revolutionary Justice…, op. cit., en particulier pp. 77 et 93 ; pour tout ce qui concerne la mise au point progressive des opérations de recherche et de saisie par la police, ainsi que l'extension des activités des comités de surveillance, on verra aussi Caron, Pierre, Lefonds du Comité de Sûreté Générale, Paris, Imprimerie nationale, 1954, p. 11, 67, et 71Google Scholar ; et Belloni, Georges, Le Comité de Sûreté Générale de la Convention nationale, Paris, Arnette. 1924, pp. 7991.Google Scholar

21. AN W 400, dossier Vuibert, documents 35-37.

22. AN W 400, dossier Véhembre.

23. Pour l'origine du fonds des séries R, S, T et W des Archives nationales, voir Les Archives nationales. État général des fonds, tome premier, L'Ancien Régime, Paris, Archives nationales, 1978, pp. 519-586, ainsi que Les Archives nationales. État général des fonds, t. II, 1789-1940, Paris, Archives nationales, 1978, pp. 437-448. Pour les « papiers saisis » conservés dans les archives du Comité de Sécurité Générale, voir Caron, Pierre, Le fonds du Comité de Sûreté Générale (AFII*, F7, DXLIII), Paris, Imprimerie nationale, 1954, en particulier pp. 11, 67 et 71.Google Scholar

24. Les éditions du contenu de l'Armoire de ferfurent fort nombreuses, mais pour la publicatio officielle du procès-verbal du procès, on se reportera à : France, Convention nationale, Recueil des pièces justificatives de l'acte énonciatif des crimes de Louis Capet, Paris, Imprimerie nationale, s. d. [1793], 64 p.

25. Publié à Turin en 1795, conservé à la Bibliothèquenationale : Res. Lb39 4282. Nombreuses autres éditions, par exemple :Vie privée et politique de Louis François Joseph de Conti, prince du sang et sa correspondance avec ses complices fugitifs. Orné de son portrait, grave d'après nature, par J. P***, Turin, Garin, 1795 ;ou encore les Lettres de Conspiration envoyées àtoutes les armées de la République, et grand complot découvert des conspirateurs d'Artois, Condé, Provence… sur la mort de Louis XVI, contre Louis-Philippe Egalité (16 janvier 1793)…, Paris, Imprimerie Siobel [Lebois], s. d. ; ou encore la Correspondance secrète de Charette, Stofflet, Puisaye, Cormartin, d'Autichamp, Bernier, Frotte, Scepeau, Botherel ; du prétendant, du cidevantComte d'Artois, de leurs ministres et agens, et d'autres…, Paris, F. Buisson, an VII de la République française

26. Paris, Buisson ; à Lyon chez Bruyset frères ; à Marseille chez Mossy ; à Londres, chez J.de Boffre, 1793. Pour une autre édition, voirCorrespondance générale des émigrés, ou les émigréspeints par eux-mêmes, Genève, Cabinet littéraire, 1793. Uneautreédition parut à Nurembergen 1793

27. L'exemplaire des Archives nationalesporte la référencesuivante : AN ADXVIII (C)335.

28. Id.

29. Rapport fait au nom du Comité de Salut Public, le 1eraoût 1793, an II de la République, par Barère. Imprimé par ordre de la Convention nationale. Texte et nouvelle traduction des lettres et notes anglaises trouvéesdans un portefeuille anglais, déposé au Comité de Salut Public et depuis aux Archives nationales, par décret du dimanche 4 août…, Paris, Imprimerie nationale, 1793.

30. Guiffrey, Jules, Catalogue sommaire du Musée des Archives nationales, Paris, Librairie Ch. Delagrave, 1893, p. 41.Google Scholar

31. Ibid., p. 88.