LA RÉPUBLIQUE DANS LES ÎLES DU VENT DÉCEMBRE 1792-AVRIL 1794
Selon une image encore répandue, la Révolution, phénomène d'importation pure, commence dans les îles du Vent le 15 septembre 1789 par les Blancs, avant d'intéresser les gens de couleur libres ou mulâtres — qui n'auraient revendiqué que l'égalité — , et enfin, les esclaves, dits nègres, intéressés seulement par la liberté (1). D'autres insistent sur les divisions entre planteurs royalistes, esclavagistes, autonomistes ou même sécessionnistes, et gens des villes ou ports, patriotes, puis montagnards, porteurs d'idéaux de liberté et d'égalité, farouchement attachés à la métropole, où ils seraient en général nés. Entre ces extrêmes, définis comme les partisans de l'immobilisme et du changement, des spectateurs passifs, les petits habitants blancs. Quant aux gens de couleur libres, prisonniers de leurs complexes, incapables d'un choix personnel, ils n'auraient apporté leur appui aux forces de progrès qu'à la fin de 1792, grâce à l'action déterminante d'un nouveau venu, un ci-devant noble, le capitaine de vaisseau républicain Lacrosse, dont l'intervention rappelle l'existence de la marine, alors que l'armée, agitée en 1790, semble alors passive (2).
Sans revenir sur une agitation prérévolutionnaire qui prouve que les débats engagés avant l'annonce de la révolution parisienne ont de fortes répercussions locales, n'oublions pas que, trois semaines avant l'arrivée de la cocarde nationale et de la nouvelle de la prise de la Bastille, les esclaves et libres de fait de Saint-Pierre et des environs, aidés par quelques Blancs et mulâtres libres, en particulier Jean-Louis Genty, ont prouvé, et payé lourdement, leur attirance pour les idéaux de liberté et d'égalité (3).
(1) Sidney Daney, Histoire de la Martinique depuis la colonisation jusqu'en 1815, Fort-Royal, 1846, t. III. Thèse sous-jacente dans H. Lemery qui connaît pourtant les problèmes du mois d'août, La Révolution française à la Martinique, Paris, 1936; « La Martinique au xvme siècle ou les révolutionnaires improvisés ». Annales des Antilles. 1955. N° 3 et N° 4, pp. 3 à 25.
(2) Ce point de vue se retrouve encore même dans l'ouvrage excellent et très nuancé de A. Perotin- Dumon sur la Guadeloupe : Être patriote sous les tropiques, Aubenas, 1985, 340 pages.
(3) Léo Elisabeth, « Saint-Pierre. Août 1789 », dans Compte rendu des travaux du colloque de
Annales Historiques de la Révolution Française — 1993 — N°s 3 et 4
