Voir l’article connexe ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220535-f; voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220536
À la fin de mon adolescence, j’ai travaillé à l’étranger dans une communauté très différente de la mienne. C’était tout un défi, mais j’ai appris à aimer et à estimer la richesse de la culture locale. Cette immersion culturelle m’a amené à faire une maîtrise basée sur la recherche en anthropologie médicale, où j’ai appris à réfléchir de manière approfondie et critique aux structures de pouvoir inhérentes à la prestation des soins de santé et à accorder de la valeur aux expériences subjectives de chacun et chacune. En tant qu’ethnographe, j’ai saisi l’importance des interactions humaines et les nuances de l’humilité culturelle.
J’ai ensuite poursuivi mon rêve de devenir médecin. À la faculté, j’ai été rééduqué dans la tradition et la culture de la médecine factuelle, qui entraient souvent en conflit avec ma précédente formation en anthropologie. Dans la hiérarchie traditionnelle des données probantes que préconise la médecine, les données quantitatives issues d’essais cliniques randomisés et d’études de cohorte l’emportent sur la connaissance expérientielle inhérente aux méthodologies telles que l’ethnographie, souvent qualifiée d’anecdotique. J’en suis venu à apprécier les avantages de ces 2 formes de savoirs et j’ai cherché à les marier en préparant un doctorat en recherche sur les services de santé.
À l’époque où je commençais ma formation doctorale, les Instituts de recherche en santé du Canada lançaient leur Stratégie de recherche axée sur le patient (SRAP)1. Elle était sur toute les lèvres dans le secteur de la recherche en santé lors du lancement des concours de financement ciblés. J’étais totalement convaincu de la nécessité d’une telle stratégie, mais la pratique s’avérait souvent plutôt décevante. J’avais l’impression qu’un chercheur, moi compris, pouvait faire de n’importe quel projet une recherche axée sur le patient avec quelques signatures et peut-être 1 ou 2 consultations. Toutefois, l’anthropologue en moi aspirait à un dialogue plus authentique et plus significatif avec les personnes ayant vécu une expérience directe. J’ai vu la nécessité d’un changement fondamental des dynamiques de pouvoir dans le secteur de la recherche.
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Au cours de mon stage postdoctoral, je me suis donné pour mission d’accroître la capacité d’action des patientes et des patients dans un projet de recherche, en faisant des partenaires plutôt que des participants ou des sujets. Les participants fournissent des données, tandis que les patients partenaires contribuent aux questions, à la conception, à la réalisation, à l’interprétation et à la diffusion des travaux. En recherche participative avec la communauté, ces patients sont appelés « cochercheuses » et « cochercheurs ». J’ai choisi de mener ce type de recherche parce qu’à mes yeux, ces approches souvent sous-utilisées reflétaient mieux les valeurs de la SRAP que tout de ce que j’avais vu et fait auparavant.
Au début, nous avons rencontré beaucoup d’adversité. De nombreux organismes externes sont peu enclins à financer un projet sans question préétablie, mais nous avons obtenu une petite subvention de notre établissement. Ensuite, le comité d’éthique, qui n’avait jamais reçu une proposition ouverte comme la nôtre, ne savait pas trop quoi faire de notre protocole. Il y a eu beaucoup d’échanges et plusieurs modifications. Enfin, certains de nos collaborateurs ont jugé que l’étude n’était pas réalisable dans les délais impartis avec les ressources à notre disposition. D’autres étaient toutefois prêts à prendre le risque de nous accompagner dans ce parcours atypique.
Après avoir obtenu le financement, l’approbation éthique, ainsi que les collaboratrices et les collaborateurs, il fallait s’occuper de la logistique. Il s’agissait notamment de dénicher un lieu de rencontre convivial pour notre groupe, de se procurer de la nourriture à partager avec les cochercheuses et les cochercheurs et de régler les questions de la rémunération, du recrutement et de la formation des cochercheuses et des cochercheurs, sans parler de la méthodologie et des enjeux traités.
Nos efforts ont permis de réunir un groupe diversifié de 8 personnes expérimentées, engagées et ayant chacune une expérience vécue du diabète et de l’itinérance. Nous les avons rencontrées tous les 7–15 jours pour les renseigner sur le diabète et les former en recherche. Au fil du temps, elles sont passées de participantes et participants à l’étude à cochercheuses et cochercheurs à part entière, membres du Clients with Diabetes Action Committee (comité d’action des clients diabétiques), ou CDAC. Grâce à la communication et à des débats respectueux, nous avons trouvé un terrain d’entente et uni nos forces dans un but commun: améliorer l’expérience des personnes en situation d’itinérance atteintes de diabète.
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Ma formation en recherche m’avait appris que le succès dépend d’une planification méticuleuse et d’une mise en œuvre systématique. Je n’avais donc pas l’habitude de céder le contrôle; c’était vraiment déroutant. À plusieurs reprises, j’ai craint que notre démarche ne produise pas de résultats tangibles. J’avais peur de ne pas livrer les résultats attendus sur le plan universitaire ou de ne pas satisfaire aux exigences de nos bailleurs de fonds. J’ai même envisagé de reprendre les rênes. Avec le temps, cependant, j’ai appris à faire confiance au processus et aux cochercheuses et cochercheurs. Elles et ils m’ont démontré que l’expérience vécue est aussi précieuse que mes connaissances de la théorie, de la méthodologie, de la physiologie et de la pharmacothérapie.
Au moment d’établir les priorités, le groupe a fait savoir que son principal défi dans la gestion du diabète était de trouver, de se payer et de préparer des aliments sains, jour après jour2. Mon ego en a pris un coup, car je m’attendais naïvement à ce que les membres du groupe accordent la priorité à leurs interactions avec les fournisseurs de soins de santé et aux services que nous proposons. Je me suis rendu compte que nous ne sommes peut-être pas aussi importants que nous le croyons.
Le groupe a réalisé un projet photovoix, où chaque cochercheuse ou cochercheur présentait son expérience de gestion du diabète et de l’itinérance par la photographie et des textes narratifs3. Leurs riches expériences personnelles, illustrées avec une force que je n’aurais jamais égalée malgré des années de formation clinique et scientifique, m’ont inspiré un grand respect. Cette approche unique avait plus de valeur que tout ce que je pouvais apporter par moi-même.
Les travaux du CDAC ont été couronnés de succès, attirant l’attention des médias et donnant lieu à des publications évaluées par des pairs ainsi qu’à des présentations lors de congrès nationaux et internationaux; les cochercheuses et les cochercheurs ont été reconnus comme auteurs et conférenciers4. Par contre, la plus grande raison de célébrer était probablement l’impact que le projet a eu sur les contributrices et les contributeurs. Les personnes anciennement membres du CDAC ont confié qu’elles n’étaient pas habituées à être traitées comme des expertes, et que leur expérience au sein du comité avait beaucoup compté pour elles. Ces témoignages, plus que tout le reste, m’ont confirmé que ce type de travail universitaire vaut tous les efforts déployés et le stress vécu.
Mon stage et le travail du CDAC sont maintenant terminés, mais cette expérience a consolidé mon engagement à l’égard d’une recherche véritablement axée sur le patient, et la nécessité de donner la parole aux personnes ayant vécu une expérience directe dans nos projets. À partir du travail accompli collectivement, nous avons établi un groupe similaire à Calgary pour éclairer et orienter notre programme de recherche en cours.
Bien que la recherche participative avec la communauté comporte son lot de défis, je me suis engagé à donner la priorité à ce type d’approches dans chacun de mes projets de recherche et à donner la parole aux patientes et aux patients pour les faire passer de participants à cochercheurs. J’ai hâte de voir tout ce que les cochercheuses et les cochercheurs, comme celles et ceux du CDAC, ont encore à m’apprendre.
Footnotes
Cet article a été révisé par des pairs.
Intérêts concurrents: David Campbell déclare avoir reçu du soutien pour le manuscrit de la part de l’Institut O’Brien de santé publique, de l’Université de Calgary, et d’Alberta Innovates, ainsi que des subventions des Instituts de recherche en santé du Canada, d’Alberta Innovates, de la M.S.I. Foundation, des Services de santé de l’Alberta et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (tous les versements ont été faits à l’établissement).
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