Plus de 100 000 enfants et adolescents au Canada sont sous la protection des services à l’enfance et à la famille, et il n’est pas étonnant que bon nombre d’entre eux affichent, à leur arrivée, des troubles émotionnels, physiques ou comportementaux devant être traités.
Ce qui est stupéfiant, c’est que l’un des pays les plus riches du monde n’offre pas à ces enfants les soins de santé adéquats qui pourraient atténuer, voire prévenir certains des ravages causés par la violence ou la négligence de leurs parents à leur égard, par l’aliénation de leur famille et par le fait qu’ils relèvent désormais d’un système parallèle.
Les parents de famille d’accueil — et, par la suite, les parents adoptifs ou les tuteurs — sont plutôt laissés à eux-mêmes pour assumer les conséquences de cette situation. Par exemple, une récente étude dans les familles d’accueil chez des filles de 4 à 17 ans qui avaient auparavant été victimes de sévices sexuels a montré qu’elles avaient toutes envers les autres enfants un comportement sexuel inapproprié et sexuellement agressif 1. Une étude réalisée dans l’État de Washington a révélé que 72 % des enfants placés dans des foyers avaient des troubles émotionnels identiques à ceux des enfants pris en charge par les programmes de santé mentale les plus intensifs 2. L’étude multigénérationnelle sur les expériences indésirables dans l’enfance (Adverse Childhood Experiences Study) a montré qu’entre la moitié et les deux tiers des adultes américains qui ont de sérieux problèmes d’abus de drogues ont des antécédents de violence, de négligence et de dysfonction-nement familial remontant à l’enfance — des facteurs qui mènent tous au placement dans une famille d’accueil 3. En outre, de récentes recherches en neurobiologie ont révélé que les mauvais traitements infligés aux enfants entraînent des modifications épigénétiques qui peuvent être transmises de génération en génération 4.
Ce n’est pas non plus un secret que le manque de stabilité et de permanence (dans bien des administrations, les enfants et les jeunes en famille d’accueil sont déplacés 3 à 7 fois) a un effet profondément négatif sur ces enfants, préparant le terrain pour la dépression, les troubles comportementaux, les difficultés relationnelles et une myriade d’autres problèmes, y compris l’échec scolaire et les grossesses chez les adolescentes 5.
Ces enfants ont besoin de soins médicaux et de santé mentale suivis et de longue durée afin d’atténuer les conséquences des mauvais traitements et de la négligence dont ils ont été l’objet. Or, ils ne les reçoivent pas.
Un des problèmes, en l’occurrence, c’est qu’avec les déplacements d’une famille d’accueil à l’autre, tous les efforts déployés en matière de soins de santé pour tenter d’atténuer les conséquences des problèmes antérieurs sont sabotés. Des programmes de traitement ciblés sont interrompus et le suivi professionnel à long terme est pratiquement impossible.
Par ailleurs, le simple fait d’être en famille d’accueil brise la continuité des soins de santé physique et mentale. Il arrive souvent que les parents de famille d’accueil n’aient pas beau-coup de détails sur les antécédents médicaux de l’enfant et encore moins sur sa famille biologique. Les problèmes de protection de la vie privée et des renseignements personnels abondent. Et quand l’enfant passe d’une famille d’accueil à l’autre, il est fréquent que les dossiers sur les soins de santé et l’éducation soient égarés ou disparaissent. Les enfants ne sont presque jamais soumis à des examens longitudinaux réalisés par une équipe multidisciplinaire de professionnels de la santé, même si le risque de troubles sérieux, y compris de maladies mentales, est beaucoup plus élevé chez ces enfants que chez ceux qui vivent dans des familles stables 2,5.
Or, lorsque le suivi matériel de ces enfants est déficient, comment pouvons-nous entreprendre de faire un suivi des troubles de santé physique et mentale ou détecter de nou-veaux troubles médicaux?
Une étude portant sur les effets à long terme pour la santé des programmes de placement familial dans le Pacifique Nord-Ouest des États-Unis a montré que les adultes ayant été placés en famille d’accueil pendant leur enfance affichaient nettement moins de troubles de santé mentale et physique s’ils avaient bénéficié de systèmes où le personnel hautement qualifié était responsable d’un petit nombre de cas et avait accès à des services de haute qualité 6.
Au Canada, il nous faut créer une stratégie intégrée pour la prestation de programmes et de services qui englobent l’ensemble des besoins des enfants en famille d’accueil. La célérité et l’accessibilité sont la clé du succès d’une telle stratégie. Voici ce qu’elle requiert:
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Une meilleure collaboration, telle que des réunions structurées auxquelles participeraient des représentants des services de familles d’accueil et d’autres services sociaux, du système de justice pénale, ainsi que des milieux des soins de santé et de l’éducation. Les efforts devraient principalement porter sur l’optimisation des placements en familles d’accueil et la réduction des déplacements.
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Un dossier de santé universel ou portable, consultable par tous les fournisseurs de services de santé, sociaux et éducatifs. Ce dossier aiderait à garantir que le dossier d’un enfant déplacé demeure accessible et que la chaîne de traitement ne soit pas interrompue.
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La mise en place, partout au Canada, de cliniques multi-disciplinaires, semblables aux cliniques en milieu hospitalier qui offrent des soins complexes aux enfants atteints de maladies chroniques. Ces cliniques pourraient offrir un environnement convivial et chaleureux, présenter un caractère familier et favoriser la continuité, ce qui inspirerait confiance chez l’enfant et leurs parents d’accueil.
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Un système de surveillance ouverte et transparente des soins de soutien aux enfants placés en famille d’accueil pour être en mesure d’évaluer leurs résultats et de créer les programmes les plus efficaces possible.
Le devenir des enfants et des jeunes en famille d’accueil est trop souvent tragique. Nous finissons par payer le gros prix, principalement parce que nous perdons ainsi beaucoup de jeunes vies productives, mais aussi, dans bien des cas, parce en raison du recours au système de justice pénale et aux soins de santé mentale et physique de longue durée.
Il est temps que nos gouvernements, nos établissements de santé et les professionnels de la santé s’engagent à appuyer ces enfants et ces jeunes au lieu d’essayer de réparer à l’âge adulte le mal causé.
Footnotes
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Intérêts concurrents: Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml
Traduit par le Service de traduction de l’AMC.