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L’espace et le mouvement du sens critique

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Nicolas Dodier*
Affiliation:
INSERM/EHESS

Résumé

L’article revient sur l’émergence, dans les sciences sociales des années 1980, d’une configuration intellectuelle caractérisée par le choix d’une approche non réductionniste de l’éclatement des références normatives, tant au niveau de la société, de l’action, que de la connaissance. Il précise et discute les infléchissements apportés à cette configuration par le « laboratoire des Cités» issu des recherches de Luc Boltanski et Laurent Thévenot, ainsi que par la sociologie dite des « régimes d’action». S’appuyant alors sur le constat de l’importance, dans les controverses publiques, de la référence aux biens en soi, manière de défendre une position par des objectifs qui valent d’être poursuivis en tant que tels, l’article développe une sociologie des pouvoirs attachée à montrer comment ceux-ci visent des biens de ce type, tout en étant tributaires du caractère incomplet des épreuves susceptibles d’assurer cette dimension morale du travail politique. L’article esquisse enfin comment saisir dans ce contexte la dynamique historique des épreuves et des pouvoirs, et éclairer les transformations du sens critique.

Abstract

Abstract

Within the field of social sciences in the 1980s, the article looks at the emergence of an intellectual configuration, the main feature of which is the choice of a non-reductionist approach to the split in normative references with regard to society, action and knowledge. It examines and discusses the modulations brought to this configuration by Luc Boltanski and Laurent Thévenot's laboratoire des Cités and by the sociology of regimes of action. Having observed the importance of the reference to goods in themselves in public debates – a manner of defending a position through objectives which are worthwhile in themselves –, the author develops a sociology of powers, in order to demonstrate how the latter target goods of this type whilst at the same time remaining reliant on the incomplete nature of trials which are likely to ensure this moral dimension of political work. Finally, within this context, the article outlines how to seize the historical dynamic of trials and powers, and to throw light upon changes in critical sense.

Type
Le laboratoire des Cités
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2011

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References

1 - Comme le montre la multitude des dénominations proposées pour qualifier tel ou tel sous-ensemble de travaux (sociologie pragmatique, tournant pragmatique de la sociologie, micro-sociologie, sociologie des régimes d’action, sociologie analytique, compréhensive, etc.).

2 - Concernant l’économie, voir notamment Revue économique, 40, 2, « L’économie des conventions», 1989, pp. 329-360. Concernant l’histoire, voir Cerutti, Simona, « Pragmatique et histoire. Ce dont les sociologues sont capables», Annales ESC,466, 1991 Google Scholar, pp. 1437-1445 ; Lepetit, Bernard (dir.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995;Google Scholar Revel, Jacques (éd.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Le Seuil/Gallimard, « Hautes études», 1996.Google Scholar Le rapport à l’anthropologie a ététraverséd’emblée par des logiques contradictoires. La valorisation des méthodes ethnographiques pouvait suggérer des ponts avec l’ethnologie, mais les modes de totalisation ethnographiques propres à cette sociologie s’avéraient différents de ceux prônés par la tradition de l’anthropologie sociale et culturelle (Nicolas Dodier, et Baszanger, Isabelle, « Totalisation et altéritédans l’enquête ethnographique», Revue française de sociologie, XXXVIII-1, 1997, pp. 37-66).CrossRefGoogle Scholar

3 - L’interactionnisme anglo-saxon met plutôt l’accent sur le pluralisme que sur l’irréductibilité. Sa cible principale est en effet, dans la sociologie américaine des années 1950-1960, la théorie fonctionnaliste de Talcott Parsons ou de Robert Merton. L’accent sur l’irréductibilitéde la sociétésera beaucoup plus fort parmi les sociologues français, qui réagiront pour leur part au choix de la réduction défendu par la théorie de Pierre Bourdieu, ou par certaines versions de l’analyse stratégique.

4 - Les termes varient selon les préoccupations des auteurs : « groupes» ou « associations» (Edwin Mccarthy Lemert, « Social structure, social control, and deviation», inE. Lemert (éd.), Human deviance, social problems, and social control, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1967, pp. 3-30) ; « sous-cultures» ou « mondes» ( Howard Becker, , Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985;Google Scholar ID., Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1988) ; « mondes sociaux» (Anselm Strauss, « Social world and legitimation process», in Denzin, N. (éd.), Studies in symbolic interaction, vol. 4, Londres- Greenwich, JAI Press, 1982, pp. 171190);Google Scholar « milieux de travail» ou « confréries» (Freidson, Eliot, La profession médicale, Paris, Payot, [1970] 1984).Google Scholar

5 - Goffman, Erving, Les moments et leurs hommes(textes rassemblés par Yves Winkin), Paris, Éditions de Minuit/Le Seuil, 1988.Google Scholar

6 - Strauss, Anselm, La trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, Paris, L’Harmattan, 1992;Google Scholar Baszanger, Isabelle, « Les maladies chroniques et leur ordre négocié», Revue française de sociologie, 27, 1, 1986, pp. 327.CrossRefGoogle Scholar

7 - Dodier, Nicolas, « Social uses of illness at the work place: sick leave and moral evaluation», Social science and medicine, 20, 2, 1985, pp. 123128.Google Scholar C’est également un point central dans la sociologie de l’expérience de Dubet, François, Sociologie de l’expérience, Paris, Le Seuil, 1994.Google Scholar

8 - Nicolas Dodier, «Agir dans plusieurs mondes», Critique, 529/530, « Sciences humaines : sens social», 1991, pp. 428-458.

9 - Garfinkel, Harold, Studies in ethnomethodology, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1967.Google Scholar

10 - Don Zimmerman, « Record-keeping and the intake process in a public welfare agency», in Wheeler, S. (éd.), On record: files and dossier in American life, New York, Russell Sage Foundation, 1969, pp. 319345;Google Scholar Lawrencewieder, , « Behavioristic operationalism and the life-world: chimpanzees and chimpanzee researchers in face to face interaction», Sociological inquiry, 50-3/4, 1980, pp. 75103;Google Scholar Lynch, Michael, Art and artifact in laboratory science, Londres, Routledge&Kegan Paul, 1985;Google Scholar MICHAEL LYNCH, ERIC LIVINGSTONE et HAROLD GARFINKEL, « Temporal order in laboratory work», in Knorr-Cetina, K. et Mulkay, M. (éd.), Science observed: perspectives on the social study of science, Beverly Hills, Sage Publications, 1983, pp. 205238.Google Scholar On retrouve cette problématisation des frontières entre les compétences des profanes et celles des spécialistes dans toute la série de travaux qui prennent pour objet, dans les années 1970-1980, la confection des statistiques, et notamment les statistiques sociales. Il en ressort une image du codage beaucoup plus riche que celle qui prévalait antérieurement, mais qui relance en retour la question de l’usage que l’on peut faire, dans ces conditions, des indicateurs statistiques. Voir Aaron Victorcicourel, , The social organization of juvenile justice, New York, John Wiley and Sons, 1968;Google Scholar Thévenot, Laurent, « L’économie du codage social», Critiques de l’économie politique, 23/24, 1983, pp. 188222.Google Scholar

11 - Dominique Pestre, « Pour une histoire sociale et culturelle des sciences. Nouvelles définitions, nouveaux objets, nouvelles pratiques», Annales HSS, 50-3, 1995, pp. 487-522.

12 - Voir par exemple, concernant les différents régimes de compétences et d’outils engagés dans l’expertise des objets, Bessy, Christian et Chateauraynaud, Francis, Experts et faussaires. Pour une sociologie de la perception, Paris, Métailié, 1995.Google Scholar

13 - S’il existe des interférences importantes entre ces deux dimensions, épistémologique et morale, de la configuration qui nous occupe ici, on ne saurait les confondre. On remarquera ainsi que les travaux interactionnistes ont étéconduits pendant longtemps en maintenant la recherche scientifique dans un statut d’exception par rapport au principe du pluralisme, et en abordant la science selon une épistémologie non pluraliste. C’est le cas par exemple de l’ouvrage de Eliot Freidson sur la profession médicale. Ce n’est que plus récemment que des sociologues interactionnistes, formés notamment par Anselm Strauss, ont inclus les sciences dans leurs objets d’investigation (JOAN FUJIMURA, «On methods, ontologies, and representation in the sociology of science: where do we stand?», in Maines, D. (éd.), Social organization and social process. Essays in honor of Anselm Strauss, New York, Aldine de Gruyter, 1991, pp. 1164 Google Scholar; Clarke, Adele E., Disciplining reproduction. Modernity, American life sciences, and « the problems of sex», Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 1998).Google Scholar

14 - Schütz, Alfred, Le chercheur et le quotidien, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1987.Google Scholar

15 - NICOLAS DODIER, « Une éthique radicale de l’indexicalité», in Fornel, M. De, Ogien, A. et QUéRé, L. (éd.), L’ethnométhodologie, une sociologie radicale, Paris, La Découverte, 2001, pp. 315343.Google Scholar

16 - Marris, Claire et Joly, Pierre-Benoît, « La gouvernance technocratique par consultation ? Interrogation sur la première conférence de citoyens en France», Cahiers de la sécuritéintérieure, 38, « Risque et démocratie», 1999, pp. 97124;Google Scholar Callon, Michel, Lascoumes, Pierre et Barthe, Yannick, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil, 2001 ;Google Scholar JANINE BARBOT, Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, Paris, Balland, 2002.

17 - Dodier, Nicolas, Leçons politiques de l’épidémie de sida, Paris, Éditions de l’EHESS, « Cas de figure», 2003.CrossRefGoogle Scholar

18 - Avec le recul, on peut finalement comprendre les raisons tactiques qui pouvaient conduire certains sociologues à soutenir une épistémologie uniciste, tant qu’il s’agissait de professionnaliser la sociologie, et d’en faire une discipline scientifique instituée. Ce coup de force épistémologique rappelle la manière dont la médecine, comme le souligne E. Freidson, a pu au XIXe siècle avoir besoin d’affirmer son autonomie professionnelle, pour construire une véritable science médicale. Mais cette stratégie ne valait que pour un contexte historique limité. Le meilleur moyen de soutenir aujourd’hui la sociologie comme discipline scientifique est de le faire dans le cadre d’une conception renouvelée des sciences en général.

19 - Boltanski, Luc, L’amour et la justice comme compétences. Trois essais de sociologie de l’action, Paris, Métailié, 1990, pp. 5859.CrossRefGoogle Scholar

20 - Ibid., p. 66.

21 - Sur l’ancrage de cette confiance dans la négociation entre groupes distincts, dans l’histoire de la sociétéaméricaine, voir E. LEMERT, « Social structure…», art. cit. On se reportera également à la lecture de l’oeuvre d’Anselm Strauss, en particulier son accent sur les potentialités d’un « ordre négocié», par ISABELLE BASZANGER, « Les chantiers d’un interactionniste américain», introduction à Strauss, A., La trame de la négociation…, op. cit., pp. 1164.Google Scholar

22 - Boltanski, Luc et Thévenot, Laurent, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.Google Scholar

23 - Laurent Thévenot, « L’action qui convient», in Pharo, P. et Quéré, L. (éd.), Les formes de l’action. Sémantique et sociologie, 1990, pp. 3970 Google Scholar ; ID., « Le régime de familiarité. Des choses en personne», Genèses, 17, 1994, pp. 72-101.

24 - Boltanski, Laurent et Chiapello, Ève, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.Google Scholar

25 - THOMAS BÉNATOUÏL, « Critique et pragmatique en sociologie. Quelques principes de lecture», Annales HSS, 54-2, 1999, pp. 281-317 ;N. DODIER et I. BASZANGER, « Totali- sation et altérité…», art. cit.

26 - La méthode présente une certaine parentéavec la démarche foucaldienne, du fait de la mise en évidence, dans les deux cas, de couches successives du sens critique. Mais la manière d’envisager le raccord entre passéet présent est quasiment opposée. Michel Foucault s’est centréessentiellement sur le moment de formation des épistémè, considérant souvent comme acquis (et parfois trop rapidement) que celles-ci continuent à dominer le temps présent, comme ligne de fuite de son travail généalogique. Le laboratoire des Cités part au contraire du temps présent pour identifier les différentes couches de la critique, et postule l’existence, dans le passé, d’un processus de sédimentation qui n’est pas exploréen tant que tel.

27 - L. Boltanski et L. Thévenot, De la justification…, op. cit.; L. BOLTANSKI, L’amour et la justice…, op. cit.

28 - N.Dodier, « Les appuis conventionnels de l’action. Éléments de pragmatique sociologique», Réseaux, 65, 1993, pp. 63-86.

29 - On ne saurait citer ici l’ensemble des recherches. On peut mentionner, pour rappeler la diversitédes terrains concernés : NATHALIE HEINICH, « Les objets-personnes. Fétiches, reliques et oeuvres d’art», Sociologie de l’art, 6, 1993, pp. 25-55 ; NICOLAS DODIER, L’expertise médicale. Essai de sociologie sur l’exercice du jugement, Paris, Métailié, 1993 ; C. BESSY et F. CHATEAURAYNAUD, Experts et faussaires…, op. cit.; François Eymard-Duvernay et Emmanuelle Marchal, Façons de recruter : le jugement des compétences sur le marchédu travail, Paris, Métailié, 1997 ; CYRIL LEMIEUX, Mauvaise presse. Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques, Paris, Métailié, 2000. La notion de régime est sans doute excessive pour qualifier les travaux qui ont gardéessentiellement les deux dernières propositions, et qui ont plutôt mis l’accent sur le recensement de figures de la mobilisation ou de l’argumentation, sans supposer pour autant les personnes engagées dans un véritable état. Voir par exemple FRANCIS CHATEAURAYNAUD, La faute professionnelle. Une sociologie des conflits de responsabilité, Paris, Métailié, 1991, ou ISABELLE THIREAU et LINSHAN HUA, « Le sens du juste en Chine. En quête d’un nouveau droit du travail», Annales HSS, 56-6, 2001, pp. 1283-1312.

30 - C’est un point qui est soulignépar T. BÉNATOUÏL, « Critique et pragmatique…», art. cit. Un bon exemple de cette endogénéisation d’un modèle des sciences sociales comme l’un des régimes d’action possibles est fourni par PHILIPPE CORCUFF et MAX SANIER, « Politique publique et action stratégique en contexte de décentralisation. Aperçus d’un processus décisionnel “après la bataille”», Annales HSS, 55-4, 2000, pp. 845- 869, qui proposent, dans un travail portant sur les processus de décision publique, de distinguer le régime « tactique-stratégique» du régime de la « justification publique» au coeur du laboratoire des Cités.

31 - Danny Trom a ainsi montrécomment le paysage a étéconstituéen cause politique (DANNY TROM, « Voir le paysage, enquêter sur le temps. Narration du temps historique, engagement dans l’action et rapport visuel au monde», Politix, 39, 1997, pp. 86-108), et Jean-Philippe Heurtin est remontéaux sources des conditions actuelles d’organisation des débats au Parlement (JEAN-PHILIPPE HEURTIN, L’espace parlementaire. Essai sur les raisons du législateur, Paris, PUF, 1999).

32 - NICOLAS DODIER, « Agir dans l’histoire. Réflexions issues d’une recherche sur le sida», in Laborier, D. et Trom, D. (éd.), Historicitéde l’action publique, Paris, PUF, 2003, pp. 329345.Google Scholar

33 - Dans l’ouvrage de Chateauraynaud, Francis et Torny, Didier, Les sombres précurseurs. Une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque, Paris,Google Scholar Éditions de l’EHESS, 1999, sur les alertes sanitaires, une tentative intéressante pour suivre, dans le cadre d’une sociologie pragmatique, les transformations du sens critique autour d’un certain nombre de dossiers ayant donnélieu à des mobilisations collectives (nucléaire, prions, amiante). Tout en repérant des infléchissements sensibles dans les dispositifs qui organisent de façon transversale la politique du risque (passage par exemple d’une politique de la prévision à une politique de la vigilance), le travail s’attache à mettre en évidence le caractère très imprévisible des configurations susceptibles de se construire, à un moment donné, autour de chaque dossier.

34 - Dans l’agir purement stratégique, la visée qui vaut en tant que telle est de l’ordre d’une fin en soi.A` ce titre, elle est dénuée de la connotation morale attachée à un bien en soi, qui suppose que la personne procède à une évaluation de la situation sous l’angle de l’agir moral-pratique (cf. Habermas, Jürgen, Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard, [1981] 1987).Google Scholar Ce n’est pas l’objet de cet article, mais nous n’écartons évidemment pas le fait que la clôture de la justification puisse s’effectuer de manière dominante, dans certains contextes, sur des fins en soi plutôt que sur des biens en soi, comme dans l’exemple classique de la bureaucratie légale-rationnelle étudiée par Max Weber. Nous n’écartons pas non plus l’existence de divergences ou d’incertitudes de la part des acteurs, pour considérer tel objectif comme étant de l’ordre d’une simple fin en soi ou d’un véritable bien en soi. C’est par exemple un élément central de la condition des ouvriers et des techniciens confrontés quotidiennement à un objectif largement autonomisé, mais très problématique quant à sa teneur moral-pratique, qui consiste à faire fonctionner des machines. Ils se trouvent confrontés par ailleurs aujourd’hui, à travers des doctrines de management telle la valorisation de la « qualitétotale», à la mise sur le même plan de toute une série d’objectifs (productivité, qualitédes produits, fiabilitédes machines, santéet sécuritédu personnel), dont le statut moral est par ailleurs très hétérogène, ce qui n’est pas sans créer des réactions de trouble ou d’hostilité(NICOLAS DODIER, Les hommes et les machines. La conscience collective dans les sociétés technicisées, Paris, Métailié, 1995).

35 - Pour une intégration de la notion générale de « bien», comme manière de gouverner l’engagement des personnes dans l’action, à l’architecture générale du laboratoire des Cités, voir Laurent Thévenot, « L’action comme engagement», in ID., L’analyse de la singularitéde l’action, Paris, PUF, 2000, pp. 213-238.

36 - N. DODIER, Leçons politiques…, op. cit.

37 - Concernant le sida, la question de l’authenticitéa ététravaillée essentiellement en rapport avec la sexualité, dont l’abord a étéreconfigurépar la nouvelle donne sanitaire créée par l’épidémie. Le fait de placer la recherche de l’authenticitéau coeur des interrogations concernant la sexualitéest typique de ce que Foucault, Michel, Histoire de la sexualité, 1, La volontéde savoir, Paris, Gallimard, 1976,Google Scholar identifie plus largement comme le « dispositif de la sexualité».

38 - L’établissement, à la fin des années 1980, de la notion de safer sex, comme manière de penser une nouvelle sexualitédans le cadre du sida est sans doute le meilleur exemple d’un travail politique qui imbrique d’une manière extrêmement serrée les trois biens en même temps, sous une forme qui s’avèrera de fait très solide (N. DODIER, Leçons politiques…, op. cit., chap. 3).

39 - L. BOLTANSKI et ÈVE CHIAPPELO, Le nouvel esprit du capitalisme, op. cit., pp. 626-628.

40 - Foucault, Michel, Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical, Paris, PUF, 1963;Google Scholar ID., Histoire de la sexualité, 1, La volontéde savoir, op. cit.; Fassin, Didier, L’espace politique de la santé. Essai de généalogie, Paris, PUF, 1996.Google Scholar

41 - Voir par exemple en philosophie, pour la période contemporaine, Canguilhem, Georges, Le normal et le pathologique, Paris, PUF, 1966,Google Scholar ou Gadamer, Hans-Georg, Philosophie de la santé, Paris, Grasset, 1998.Google Scholar Concernant la réflexion théorique autour de la santéet du corps, conduite notamment par des médecins philosophes (Cabanis, Pinel), pour penser l’organisation politique de la médecine qui se met en place avec la Révolution française, voir M. FOUCAULT, Naissance de la clinique…, op. cit.

42 - Concernant Médecins Sans Frontières et la notion d’ingérence humanitaire, voir RENEE FOX, « Medical humanitarism and human rights : reflections on doctors without borders and doctors of the world», Social science and medicine, 14, 2, 1995, pp. 1607-1616.

43 - Nous avons montrépar exemple comment l’impératif de santéet de sécuritéau travail est différemment construit selon que l’on se trouve dans une entreprise de type « civique-industriel», « domestique» ou « marchand» (NICOLAS DODIER, « Inspecteurs du travail et modèles d’entreprises», Cahiers du Centre d’études de l’emploi, 30, « Entre- prises et produits», 1987, pp. 115-152).

44 - Si l’on revient à l’exemple du safer sex, on peut ainsi considérer son émergence comme la formation d’une véritable option politique. Au travers du travail conduit autour de la santé, de la stigmatisation et de la sexualité, le mouvement homosexuel s’est en effet engagé, sous l’impulsion de l’épidémie de sida, dans une véritable conversion politique. On assiste, en quelques années, à une reconfiguration de l’ensemble de l’économie des pouvoirs à travers laquelle ce mouvement aborde le monde, notamment la mutation radicale de son rapport aux institutions médicales et scientifiques.

45 - DANIEL CEFAÏ, « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques», Réseaux, 75, 1996, pp. 43-66.

46 - L’espace de la critique n’est donc pas un champ au sens de Pierre Bourdieu. Il n’est pas a prioristructurépar les rapports entre des dominants et des dominés, même si l’interrogation sur ce qui reste injustifiable dans l’agencement des pouvoirs établis peut dans certaines conditions peser sur les options politiques de ceux qui s’estiment victimes de cet état de choses. L’espace de la critique n’obéit pas non plus a priorià une logique de reproduction, il se transforme et s’infléchit avec l’ensemble des épreuves marquantes.

47 - On peut ainsi montrer, concernant l’éthique et la scientificitédes expérimentations conduites sur des malades, que des options politiques contrastées ont étédéfendues par des médecins qui appartenaient à des générations différentes marquées par des événements distincts (N. DODIER, Leçons politiques…, op. cit.).

48 - L. BOLTANSKI et È. CHIAPELLO, Le nouvel esprit du capitalisme, op. cit.

49 - Ibid., p. 628.

50 - « Les grands, ceux qui ont réussi dans un certain ordre […] savent d’un savoir tacite, difficilement communicable, surtout publiquement, que seul un excédent de force (illégitime) peut permettre à celui qui sait s’en saisir de prendre une valeur supérieure au minimum que garantit l’épreuve, dans son accomplissement légitime. Ils soupçonnent qu’ils n’auraient jamais “réussi” sans cet excédent de force, dont des épreuves trop contrôlées auraient briséla puissance d’agir, même si ce dont cette puissance est faite reste souvent pour eux un mystère, et même s’ils pensent avoir ainsi contribuéau bien commun, ce qui, à leur yeux et aux yeux des autres, justifie la grandeur qui leur est reconnue» (ibid., p. 595).

51 - On rappellera qu’il s’agit d’une question sur laquelle débouche très explicitement l’Histoire de la Foliede Michel Foucault. Dans un monde dans lequel la psychologie a réussi à faire de la folie un objet « calme», Foucault tient les oeuvres hantées par la folie (son panthéon personnel des oeuvres singulières : Nietzsche, Van Gogh, Artaud…) comme une tentative pour échapper à cette psychologisation et pour placer le monde devant ce qui en lui reste de l’ordre de l’injustifiable (Foucault, Michel, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Plon, 1961, p. 643).Google Scholar

52 - La notion de pouvoirs au pluriel permet, plus que celle de forces, toujours exposée à une volontéde marquer une différence avec l’ordre du droit, de garder ce caractère indéterminédes potentialités que l’on peut attribuer aux entités, avant d’en avoir véritablement fait l’épreuve.