Psychologie socialeStéréotypes et préjugés à l’égard de personnes atteintes de cancer : étude auprès d’une population générale et de professionnels de santéStereotypes and prejudices toward people with cancer: A study among the general population and health care professionals
Introduction
Les cancers constituent aujourd’hui une préoccupation de santé publique majeure. Cette maladie fait ainsi l’objet en France d’un plan national de lutte contre le cancer de grande ampleur depuis 2003. Parmi les mesures du dernier plan cancer, certaines impliquent la production d’enquêtes sur les connaissances, attitudes et représentations des cancers et les actions pour prévenir toute forme d’exclusion et de stigmatisation des personnes malades. Dans cette perspective, cet article propose d’étudier les stéréotypes et préjugés à l’égard des personnes atteintes d’un cancer à la fois auprès d’une population générale et de professionnels de santé en France. En dépit des nombreuses avancées médicales en matière de traitement de cette maladie, autour du mot « cancer » gravite un ensemble de représentations et de croyances populaires associées à l’idée de mort, d’angoisse et de souffrance. La représentation du cancer est en effet plus négative que celle d’autres maladies tout aussi graves (Simon, Wardle, & Miles, 2011). En psychologie sociale, l’étude des représentations sociales de la santé, de la maladie et du cancer en particulier a suscité de nombreux travaux notamment en France (Dany, Dudoit, & Favre, 2008 ; Galand & Salès-Wuillemin, 2009 ; Marie, Dany, Cannone, Dudoit, & Duffaud, 2010). Le cancer est associé à des représentations négatives comme le pessimisme, la peur, la maladie incurable et à l’idée de dégradations physiques, de souffrance et de mort.
À cette représentation sociale du cancer correspondent également des stéréotypes et préjugés vis-à-vis des personnes atteintes d’un cancer qui seraient partagées aussi bien par l’opinion publique, les patients que les professionnels de santé (Corner, 1993 ; Kearney, Miller, Paul, Smith, & Rice, 2003 ; McCaughan & Parahoo, 2000). L’examen de la littérature révèle que le concept de stéréotype est souvent utilisé de manière inappropriée. Les recherches portent en fait sur la représentation du cancer (i.e. de la maladie) et non sur les personnes atteintes par cette maladie (Rounds & Zevon, 1993 ; Simon et al., 2011).
Concernant les réactions qu’un groupe a vis-à-vis d’un autre groupe stigmatisé « public stigmat », Corrigan et ses collaborateurs (Corrigan, Kerr, & Knudsen, 2005 ; Corrigan, Markowitz, Watson, Rowan, & Kubiak, 2003 ; Rüsch, Angermeyer, & Corrigan, 2005) montrent qu’elles peuvent être appréhendées à travers trois composantes : les stéréotypes, les préjugés et les discriminations. Les stéréotypes sont bien définis comme des croyances à propos des caractéristiques, attributs et comportements des membres de certains groupes (Hilton & von Hippel, 1996). Ils relèvent du registre des connaissances et des croyances. Les préjugés sont, eux, définis comme des attitudes négatives ou une prédisposition à adopter un comportement négatif envers un groupe, ou les membres de ce groupe, qui repose sur une exagération erronée et rigide (Allport, 1954). Contrairement aux stéréotypes qui relèvent des croyances, les préjugés impliquent une composante évaluative et affective. Les stéréotypes et préjugés peuvent ou non conduire à de la discrimination (Crocker, Major, & Steele, 1998). Les discriminations correspondent à tout comportement qui dénie à des individus ou à des groupes l’égalité de traitement qu’ils souhaiteraient (Allport, 1954). S’il est utile d’examiner la manière dont cette maladie est perçue, il est également important de regarder comment sont perçues les personnes atteintes par cette maladie. En effet, Rounds et Zevon (1993) ont montré que les personnes souffrant d’un cancer rencontrent des difficultés liées aux préjugés et stéréotypes portés à leur égard. Un certain nombre de travaux attestent aussi de préjugés et de stigmatisation des malades atteints de cancer (Cho et al., 2013 ; Park & Kim, 2009 ; Wortman & Dunkel-Schetter, 1979). Ces réactions peuvent prendre différentes formes allant d’un simple évitement à des réactions de stigmatisation active voire de discrimination. Elles peuvent être observées dans différentes sphères de la vie familiale, amicale ou professionnelle (Ahn, Cho, Shin, & Park, 2009 ; Hilton, Emslie, Hunt, Chapple, & Ziebland, 2009). La question des préjugés et stéréotypes vis-à-vis des malades atteints d’un cancer est également cruciale pour les professionnels de santé. En effet, les attitudes des professionnels de santé sont susceptibles d’orienter les campagnes d’information et de prévention, la communication médecin–malade ainsi que les recommandations données aux patients lors des consultations (Berrenberg, Finlay, Stephan, & Stephan, 2002 ; Corner, 1993 ; Rüsch, Angermeyer, & Corrigan, 2005). De même, les attitudes envers la maladie affectent la manière dont les malades et leurs proches vont faire face à l’annonce du diagnostic et à leurs comportements pendant et après la maladie (e.g., Flanagan & Holmes, 2000). Les personnes atteintes de cancer sont très soucieuses de la manière dont les autres les perçoivent et réagissent à leur égard (Mc Illmurray et al., 2011). Ces attitudes et comportements négatifs peuvent avoir des effets délétères sur le bien-être psychologique (Chapple, Ziebland, & Mc Pherson, 2004) et physique (Kiecolt-Glaser, Malarkey, Cacioppo, & Glaser, 1994). Beatty, Oxlad, Koczwara, et Wade (2008) soulignent l’importance pour les patients de se sentir soutenus. Par ailleurs, les stéréotypes associés aux patients atteints de cancer peuvent affecter la manière dont les individus se définissent (Wong et al., 2013).
La présente étude a pour objectif de mieux spécifier le contenu du stéréotype à l’égard des personnes atteintes d’un cancer en France et les préjugés qui leur sont associés. Dans la mesure où les discriminations correspondent à des comportements observables, elles ne seront pas étudiées dans le cadre de cette recherche.
Pendant près de cinquante ans, les recherches sur les relations intergroupes laissaient entrevoir des réactions hostiles vis-à-vis des autres en se basant sur leur appartenance catégorielle (Allport, 1954 ; Dovidio & Gaertner, 1986). Plus récemment, on s’est rendu compte que les préjugés et les stéréotypes étaient plus complexes qu’une simple antipathie vis-à-vis de l’exogroupe traditionnellement décrite (Louvet, Rohmer, & Dubois, 2009). Les travaux de Glick et Fiske (2001), en particulier, montrent que le plus souvent les stéréotypes sont ambivalents, c’est-à-dire qu’ils peuvent être composés d’une dimension positive et d’une dimension négative. Cela permet d’avoir une représentation plus nuancée des groupes et parfois de pouvoir justifier la dimension négative du stéréotype par la dimension positive. Les préjugés qui peuvent s’appuyer sur ces stéréotypes ne se limitent donc pas à des attitudes négatives envers l’exogroupe, mais impliquent des jugements ambivalents avec une évaluation positive sur une dimension et négative sur une autre (Fiske, Cuddy, Glick, & Xu, 2002 ; Yzerbyt, Kervyn, & Judd, 2008). Il est d’ailleurs très rare que les stéréotypes soient complètement négatifs (Morchain, 2012).
Si la littérature concernant l’étude des stéréotypes est substantielle en psychologie sociale, peu d’études, en revanche ont traité spécifiquement des stéréotypes relatifs aux patients atteints de maladies physiques comme le cancer. Les principaux travaux autour de la question des stéréotypes associés au cancer sont ceux menés par Berrenberg et ses collaborateurs (Berrenberg, 1989, Berrenberg, 1991, Berrenberg et al., 2002, Gotay et al., 2004 ; Wiens & Gilbert, 2000). Berrenberg (1991) a ainsi développé un outil permettant de mesurer les attitudes et stéréotypes du malade sur le cancer, le Cancer Attitude Inventory. Cet outil (41 items) comprend différentes composantes : stéréotype associé aux personnes atteintes d’un cancer comportant des traits positifs et négatifs, attitude envers le cancer, anxiété intergroupe (i.e., le sentiment d’inconfort, d’embarras en présence d’un membre de l’exogroupe). Par ailleurs, le stéréotype associé aux malades atteints d’un cancer serait aussi à l’origine des préjugés à l’égard de ces patients (cf. Berrenberg et al., 2002). Les études récentes tendent à montrer la persistance du stéréotype et des préjugés associés aux malades atteints de cancer malgré les campagnes d’information et de prévention dans les différents médias (Simon et al., 2011).
Les recherches sur les stéréotypes associés aux personnes atteintes de maladies spécifiques comme le sida, les maladies mentales ou le cancer ont visé à mieux cerner les facteurs à l’origine des stéréotypes à l’égard des malades. Dans ce domaine, les recherches avaient principalement pour but d’étudier les facteurs liés aux croyances sur la maladie, au contact avec les malades, au niveau de connaissance et d’expertise sur la maladie (i.e., profanes vs experts). Par exemple, les études réalisées dans le champ des maladies mentales comme la schizophrénie (e.g., Lauber, Anthony, Ajdacic-Gross, & Rössler, 2004 ; Nordt, Rössler, & Lauber, 2006) auprès de profanes et d’experts (i.e., médecins psychiatres) montrent que les préjugés et stéréotypes ne sont pas absents chez les soignants travaillant en psychiatrie. Pinto-Foltz et Logsdon (2009) soulignent l’importance d’intervenir auprès des personnels soignants, en particulier des infirmiers qui occupent une position centrale et « stratégique » dans la relation de soin. Néanmoins, la familiarité avec les malades mentaux et les connaissances sur les troubles mentaux améliorent les attitudes à l’égard des malades. La familiarité a été définie comme la connaissance et l’expérience avec la pathologie (Holmes, Corrigan, Williams, Canar, & Kubiak, 1999). Les études de Berrenberg et al. (2002) auprès des patients atteints d’un cancer ou du sida confirment que la familiarité avec les malades et les connaissances sur la maladie réduisent les préjugés à l’égard des malades. Les résultats obtenus par Rounds et Zevon (1993) montrent une différence dans les représentations du cancer chez les soignants et chez une population tout venant. Cette différence pouvant s’expliquer par des niveaux de connaissances différents. Les résultats sur les préjugés et stéréotypes sur le cancer révèlent généralement une absence de différence significative en fonction du genre, de la profession, de l’expérience clinique, ou de la formation spécialisée ou non en oncologie par exemple (e.g., Box & Anderson, 1997 ; Kearney et al., 2003, Simon et al., 2011). Les expériences personnelles et professionnelles avec les malades seraient les principaux facteurs déterminants des stéréotypes et préjugés associés aux malades atteints de cancer.
L’objectif de cette étude vise donc, d’une part, à étudier le contenu des stéréotypes associés aux personnes atteintes d’un cancer au sein d’une population tout venant et de professionnels de santé en France, et d’autre part, à étudier les facteurs associés aux préjugés à l’égard des personnes atteintes d’un cancer.
Section snippets
Hypothèses
L’analyse des travaux en psychologie sur les stéréotypes et préjugés associés au cancer nous amène à formuler les hypothèses suivantes :
- •
hypothèse 1 – d’après les travaux sur le contenu ambivalent des stéréotypes sociaux (e.g., Glick & Fiske, 2001 ; Yzerbyt, Kervyn, & Judd, 2008) et les travaux sur les stéréotypes associés aux maladies (e.g., Berrenberg, 1991, Berrenberg et al., 2002), nous supposons qu’il existe un stéréotype ambivalent des personnes atteintes d’un cancer comprenant des traits
Population
Cette étude porte sur deux échantillons, l’un comprenant des professionnels de santé ayant des contacts directs et réguliers avec des malades atteints de cancer et l’autre des personnes issues de la population générale. Le premier échantillon était composé de 142 professionnels de santé (100 femmes et 42 hommes) âgés de 19 à 70 ans (M = 37,20, ET = 11,31). La plupart de ces professionnels travaillaient à l’hôpital ou dans des cabinets médicaux et occupaient des fonctions de médecins, infirmier(e)s,
Résultats
Des analyses factorielles (ACP) permettant d’examiner le contenu des stéréotypes sur les personnes atteintes de cancer ont d’abord été réalisées. Ensuite, afin d’étudier les éventuelles différences de stéréotypes et attitudes liées au cancer entre les deux populations (professionnels de santé et population générale), des analyses de comparaison de moyennes (Anova) ont été conduites. Finalement, des analyses de régression linéaires ont été effectuées afin d’examiner l’influence relative de
Discussion
Le premier objectif de notre étude visait à examiner le contenu des stéréotypes associés aux personnes atteintes d’un cancer ainsi que les attitudes vis-à-vis de ces personnes. Nous avions fait l’hypothèse de l’existence d’un stéréotype ambivalent à la fois positif et négatif des personnes malades. Dans le droit fil des travaux sur les stéréotypes ambivalents (Glick & Fiske, 2001 ; Yzerbyt, Kervyn, & Judd, 2008), les résultats obtenus dans cette étude mettent en évidence un stéréotype structuré
Conclusion et implications
En dépit de ces limites, les données présentes invitent les chercheurs en sciences humaines à développer des recherches sur les stéréotypes et préjugés à l’égard des personnes malades de cancer afin de prévenir toute forme d’exclusion et de stigmatisation. Pour que la recherche puisse bénéficier aux personnes atteintes d’un cancer, il n’est pas suffisant de mettre en évidence un processus de stigmatisation à leur égard. Il s’agit surtout de comprendre les processus à l’œuvre permettant
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier Nayma Ali et Anne Marchesseau pour leur contribution à ce travail et notamment pour leur aide précieuse pour les passations des questionnaires.
Références (63)
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