Elsevier

Revue Neurologique

Volume 164, Issue 3, March 2008, Pages 271-277
Revue Neurologique

Brève communication
À la recherche de la mémoire perdue : nature des troubles et mode de récupération d’un cas d’amnésie rétrograde pureSearching for lost memory: Memory loss and recovery mechanisms observed in a patient with pure retrograde amnesia

https://doi.org/10.1016/j.neurol.2007.06.004Get rights and content

Résumé

Après un traumatisme crânien minime et dans un contexte de stress professionnel, le patient présenta une amnésie rétrograde pure, isolée et globale concernant sa biographie avec un élément identitaire transitoire et ses souvenirs sémantiques. Le patient n’avait plus accès à ses souvenirs, qui ne semblaient cependant pas perdus : il pouvait, dans certains tests concernant des événements historiques, répondre mieux que le hasard et il fut capable de répondre automatiquement aux questions d’un jeu télévisé ou qu’il présentât des phénomènes de déplacements temporels (ecmnésie), et il récupéra l’ensemble de ses souvenirs en neuf mois. Le mode de la récupération fut graduel, progressif, irrégulier, spontané, par « flash », aidée par les rêves ou facilitée par des associations ou des indices contextuels. La persistance du caractère familier des souvenirs récupérés et de leur conscience autonoétique, leur précision phénoménologique sont rapportées et font discuter l’organisation de la mémoire à long terme.

Abstract

We describe a patient who developed acute reversible amnesia characterized by impaired recollection of past events with preserved anterograde memory. This occurred after a mild head trauma and in the context of occupational stress. Isolated retrograde amnesia affected autobiographical memory (with lost of identity lasting a few days) and semantic knowledge. Isolated retrograde amnesia subsided for nine months. The patient was no longer able to access to his memories, which did not seem completely lost. Some answers to tests concerning historical events were better than those given at random; his answers to a TV quiz were automatic or he exhibited temporal transfer phenomena (ecmnesia). Gradual, progressive, irregular and spontaneous or “flash” recovery, which was also facilitated by dreams, associations or contextual clues. The persistent and vivid familiarity of the retrieved memories are reported here together with the organization of long-term memory and the clinical and neuropsychological traits of functional isolated retrograde amnesia.

Introduction

Le syndrome amnésique est défini par une amnésie antérograde avec un certain degré d’amnésie des souvenirs passés. De façon caricaturale, dans l’amnésie hippocampique, l’amnésie rétrograde est limitée, concerne l’oubli de quelques années et est souvent interprétée comme un défaut de consolidation des apprentissages les plus récents. Dans le syndrome de Korsakoff, l’amnésie rétrograde est très étendue sur plusieurs décennies et est en lien avec des difficultés de récupération. L’amnésie rétrograde pure est une situation rare en clinique neurologique. Elle a été décrite dans un certain nombre de pathologies entraînant des lésions cérébrales objectivables en imagerie morphologique (Kapur, 1993), en particulier après encéphalite herpétique (Stuss et Guzman, 1988 ; O’Connor, Butters, Milliotis, Eslinger, & Cermark, 1992 ; De Renzi et Lucchelli, 1993 ; Carlesimo, Sabbadini, Loasses, & Caltagirone, 1998) ou traumatisme crânien (Kapur, 1999 ; Yamadori et al., 2001). L’amnésie concerne le plus souvent les souvenirs biographiques. De plus rares observations d’amnésie du passé, altérant la mémoire des faits publics mais respectant la mémoire personnelle, ont été toutefois rapportées dans le cadre de l’épilepsie (Manning et al., 2006) ou après méningiome suprasellaire opéré et radiothérapé (Yasuda, Watanabe, & Ono, 1997). L’amnésie rétrograde pure est en fait assez souvent rapportée au décours d’épisodes neurologiques suffisamment bénins pour ne pas entraîner de lésions visibles sur des examens morphologiques (Kapur, Young, Bateman, & Kennedy, 1989 ; Sellal, Manning, Seegmuller, Scheiber, & Schoenfelder, 2002). Cela fait inévitablement discuter des lésions non visibles ou l’intervention de l’événement comme épine irritative à un phénomène de conversion. Des tableaux identiques ont été rapportés dans un contexte stressant identifié faisant discuter le caractère organique (épisode inaperçu) ou psychogène du déficit (Markowitsch et al., 1998 ; Mayes, 2002). L’amnésie d’un épisode précis peut survenir lors d’un stress émotionnel qui empêche la mémorisation d’un événement douloureux (Horowitz et Reidbord, 1992) ou, surtout si l’amnésie est plus étendue, être rapprochée d’un mécanisme psychique de refoulement visant à protéger le sujet. Peu de modèles cognitifs permettent de comprendre ce qu’est le refoulement. S’il permet d’évoquer l’amnésie comme un moyen de défense inconscient, le modèle psychanalytique de Freud et Breuer (1895) et de ses élèves ne permet pas de distinguer pratiquement ce qui est la cause de ce conflit, ni du point de vue des mécanismes cognitifs ni du point de vue des structures en cause. Néanmoins, les malades existent et même si les mécanismes précis de la conversion hystérique sont inconnus, leur observation soigneuse et rigoureuse reste essentielle pour tenter d’expliquer ces phénomènes avec les connaissances actuelles. Enfin, dans cette problématique évoquant plutôt un mécanisme psychogène, il a été rapporté des cas d’amnésie rétrograde spontanée rare sans facteur organique ou psychologique évident ce qui en fait discuter le caractère simulé (Dalla Barba, Mantovan, Ferruzza, & Denes, 1997) : l’amnésie survenant dans un contexte difficile où le patient oublie délibérément ses actes passés pour se protéger d’une sanction. Le fait que certains auteurs aient pu montrer des modifications métaboliques, en particulier dans les régions hippocampiques bilatérales et du pôle temporal droit (Markowitsch et al., 1998), en dépit d’une imagerie morphologique normale et dans le cadre d’une pathologie neurologique douteuse, suggère, au moins dans ces observations-là, de possibles modifications du fonctionnement neuronal en rapport avec un blocage de l’accès au stock de mémoire. Afin de ne pas présumer d’une origine organique, psychogène ou mixte et de réunir ces tableaux cliniques parfaitement similaires quant à leur présentation, De Renzi, Lucchelli, Muggias, & Spinnler (1997) proposent de les définir par le terme d’amnésie fonctionnelle. Les mécanismes restent obscurs et il est impossible de dire s’ils sont univoques. Pour certains auteurs comme Markowitsch (1996), le simple fait de vouloir différencier d’éventuels mécanismes psychologiques et organiques sous-tendant cette amnésie est artificiel.

Ces tableaux d’amnésie rétrograde pure ou disproportionée demeurent rares, leur évolution est peu connue, et semble-t-il, très variable. Nous rapportons l’observation d’un patient dont nous avons pu suivre la récupération progressive, graduelle et contextuelle des souvenirs.

Section snippets

Cas no 747448

Le patient, un homme de 41 ans, marié, était professeur d’histoire et chef d’établissement. En mars 2002, il fit une chute dans son bureau, tombant de sa chaise sans témoin. Trouvé à terre, il reprit connaissance, présentant d’emblée une amnésie rétrograde pure. Ce sujet avait pour seul antécédent un syndrome dépressif léger ayant nécessité trois mois de traitement, trois ans auparavant. L’examen neurologique était normal. Le patient présentait une amnésie d’identité : il ignorait son nom, son

Discussion

Le patient présente une amnésie rétrograde pure après un épisode neurologique bref et il n’est pas exclu qu’il ait présenté initialement dans le cadre d’un traumatisme crânien (Rousseaux, Delafosse, Cabaret, Lesion, & Jomin, 1984) un ictus amnésique (Roman-Campos, Poser, & Wood, 1980) avec une amnésie rétrograde isolée comme cela a pu être rapporté (Laurent, Trillet, & Croisile, 1990). Les images morphologiques sont normales ; le résultat anormal de la PL reste difficile à interpréter.

Le

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    • Medication in Tintin's cartoon

      2017, Pharmacien Hospitalier et Clinicien
    • Transient epileptic amnesia: Update on a slowly emerging epileptic syndrome

      2015, Revue Neurologique
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      the selectivity of the retrograde lacuna, life episodes being adequately memorized after onset; the severity of the retrograde lacuna, sometimes covering the entire life span prior to onset, with a massive loss of episodic but also personal semantics, including personal identity knowledge [64,65]; an emotional blunting and a relative lack of concern about their own state [67].

    • The impairment of recollection in functional amnesic states

      2013, Cortex
      Citation Excerpt :

      In support of the “binding” power of memory, it was observed that failures of recollection in functional amnesia do not usually occur in isolation, but in conjunction with changes in various personality dimensions, pertaining to enduring patterns of inner experience and behavior, including cognition, affectivity, impulse control and interpersonal functioning. Alterations in personality after the onset of functional amnesia may at times take the form of changes in eating preferences, smoking or drinking habits or other previously rewarding activities (such as car driving or fishing) (Fujiwara et al., 2008; Tramoni et al., 2009; Thomas-Antérion et al., 2008). Incidentally, several structures involved in EAM processing (such as basal forebrain, amygdala, ventro-medial PFC) were reported to be engaged in reward-related processing, decision making and future-minded choice behavior (Staniloiu et al., 2010a, 2010b), which may account for the above described changes.

    • Retrograde amnesia with a trip in the past

      2012, Annales Medico-Psychologiques
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