Elsevier

La Presse Médicale

Volume 48, Issue 12, December 2019, Pages 1551-1568
La Presse Médicale

Revue
Addiction aux jeux (d’argent et vidéo) et état de santé des joueurs : une revue critique de la littératureGambling and Gaming disorders and physical health of players: A critical review of the literature

https://doi.org/10.1016/j.lpm.2019.10.014Get rights and content

Résumé

Contexte

Le jeu pathologique (jeux d’argent et jeux vidéo) figure désormais dans la classification DSM-5 et a été annoncé pour la prochaine édition de la CIM. Le lien entre jeux et comorbidités psychiatriques a fait l’objet de nombreuses études de mise au point, mais il n’existe pas de synthèse des connaissances sur les liens entre jeux et santé somatique.

Objectif

Notre objectif était d’évaluer l’impact du jeu pathologique, jeux d’argent (JA) et jeux vidéo (JV), sur la santé somatique des joueurs.

Sources documentaires

Nous avons procédé à une revue systématique de la littérature en utilisant la base de données bibliographies Pubmed/Medline. La recherche a été effectuée en anglais en utilisant les mots clés « gambling », « pathological gambling », « gambling health », « gaming », « pathological gaming » et « gaming health ».

Sélection des études

Les études sélectionnées examinaient l’état de santé somatique de joueurs pathologiques. Nous avons obtenu 133 articles référencés dans la base de données Medline. Après une première lecture des résumés et introductions, puis lecture complète, 17 articles soit 56 179 sujets ont été retenus, et 8 articles soit 63 887 sujets ont été rajoutés après lecture des références. Au total, 25 articles ont été gardés pour analyse.

Résultats

L’ensemble des études décrivait un mauvais état de santé somatique pour les joueurs pathologiques. Pour les JA, les données rapportaient l’existence de troubles digestifs (entre 20 et 40 %), de troubles du sommeil (entre 35 et 68 %), de céphalées (entre 20 et 30 %), et de troubles cardiovasculaires : tachycardie (9 %) et coronaropathie (entre 12 et 23 %). Ces résultats étaient la plupart du temps significatifs lorsqu’ils étaient comparés à la population générale. Pour les JV, les études disponibles ne rapportaient pas de prévalences, mais les symptômes les plus souvent décrits étaient les troubles du sommeil, les douleurs articulaires, les céphalées et les troubles de la vision. Ces symptômes étaient en particulier souvent décrits chez l’adolescent. Les troubles du sommeil étaient le symptôme décrit le plus fréquemment.

Limites

Une association entre addiction aux jeux et mauvais état de santé somatique a pu être mise évidence, mais les études disponibles ne permettent pas de se prononcer sur un lien de causalité entre addiction aux jeux et état santé somatique. L’addiction au jeu est une préoccupation récente et plus d’études sont nécessaires.

Conclusion

Les données de cette revue mettent en évidence une association entre le jeu pathologique et un mauvais état de santé des joueurs. La connaissance par le médecin des symptômes associés à l’addiction aux jeux pourrait contribuer à un meilleur repérage des joueurs avec addiction en soins premiers.

Summary

Context

Gambling and gaming disorders have been introduced as addictions in the DSM-5 and have been announced for the next edition of the ICD. Links between gambling and gaming and psychiatric comorbidities have been thoroughly investigated, but so far the impact of gambling and gaming on physical health has been overlooked.

Objective

Our aim was to evaluate the impact of gaming and gambling disorders on the physical health of gamers and gamblers.

Sources

We conducted a systematic review of the literature, using PubMed/Medline to retrieve studies with the following: keywords: “gambling” ; “pathological gambling” ; “gambling health” ; “gaming” ; “pathological gaming” and “gaming health”.

Papers selection

Selected studies all reported on the physical health of gamers and gamblers with addiction. We obtained 133 articles from the Medline database. After screening abstracts and introductions and full reading of papers we retrieved 25 articles for this review. Seventeen articles reporting 56,179 subjects with gambling disorder and 8 articles reporting 63,887 subjects with gaming disorder.

Results

All papers described the physical health of individuals with gaming and gambling disorders. For gambling, data showed the existence of digestive disorder (20 to 40%), sleeping disorders (35 to 68%), headaches (20 to 30%) and cardiovascular disorders: tachycardia (9%) and coronary artery disease (2 to 23%). Results were mostly significant when compared to the general population. For gaming, available studies reported qualitative data. Most frequently reported symptoms were sleeping complaints, joint pain, headaches and visual problems. These symptoms were more frequently described for teenagers. Sleeping complaints were the most frequently reported symptom.

Limits

Although we found that the physical health of gamers and gamblers with addiction was impaired, no study investigated the causal role of addiction, gaming, and gambling. Further studies are needed to better understand how behavioral addictions impact physical heath.

Conclusion

Data reported in this review documented that individuals with gaming or gambling disorders have an impaired physical health. Knowledge of the symptoms reported could help primary care physicians to better screen for gambling and gaming disorders among their patients.

Introduction

Le jeu est une source de plaisir pour certains individus, dont l’usage peut se déréguler et faire l’objet d’une addiction [1], [2], [3]. Le craving a été récemment inséré parmi les critères diagnostiques de l’addiction aux substances du fait de son lien prospectif avec l’usage [2], [3], [4], et des études montrent que les joueurs pathologiques ressentent du craving, de la même manière et avec une fréquence et une intensité similaire, voire supérieure aux addictions avec substances [5], [6]. Précédemment considérés comme un « trouble du contrôle des impulsions », les jeux d’argent (JA) ont été reconnus comme pouvant être une addiction à part entière dans la dernière édition de la classification DSM-5 (2013) [7], [8] où ils sont regroupés dans une catégorie unique avec les addictions aux substances. Les JA correspondent au « gambling », de l’anglais « gamble » = parier. De même, le « gaming », qui correspond aux jeux vidéo (JV), notamment en ligne, a été proposé en 2013 dans la section 3 de la classification DSM-5, c’est-à-dire que ce diagnostic nécessitait encore des recherches pour être définitivement accepté, malgré les nombreux arguments scientifiques déjà disponibles [8]. Début 2018, l’OMS a déclaré que le « gaming » serait introduit dans la 11e révision à paraître de la Classification internationale des maladies (CIM-11).

Les enquêtes épidémiologiques rapportent de 1 à 3 % de joueurs problématiques et pathologiques en France pour les JA, soit environ 600 000 joueurs [9]. Pour les JV, il n’existe pas encore de données épidémiologiques, mais les dernières données de l’enquête ESCAPAD 2008 et 2011 estiment pour la France que 5 % des jeunes de 17 ans, interrogés sur les 7 derniers jours, consomment des JV entre 5 et 10 h par jour, tous les jours [10].

Malgré cela, le jeu n’est pas au cœur des préoccupations actuelles des médecins et reste pour beaucoup considéré uniquement comme une habitude ou une pratique sans conséquence médicale sérieuse par rapport aux addictions avec substance. Les addictions avec substance, comme celles à l’alcool ou au tabac sont responsables de par leur nature même d’une toxicité, liée à la substance et donc facilement repérable. Les complications toxiques de ces deux substances notamment neurologiques, cardiovasculaires et oncologiques, sont bien connues du monde médical et du public. Il est bien entendu moins aisé d’imaginer un joueur s’intoxiquer avec ses cartes bancaires ou sa console, qu’un fumeur avec sa cigarette. Pour autant, la pratique des jeux ne peut être considérée comme médicalement inoffensive. Il est intéressant de pouvoir envisager le jeu comme une addiction « vraie », « pure », puisque c’est le comportement lui-même qui exprime l’addiction, sans exposition à un poison (une substance toxique). Cependant, le comportement de pratique excessive des jeux vidéo pourrait être potentiellement source de complications médicales : on peut penser que l’immobilisation prolongée, le manque de sommeil, les postures corporelles inadaptées, l’alimentation consommée durant les phases de jeux, pourraient impacter sur la santé du joueur. Beaucoup d’études se sont déjà intéressées à l’impact des addictions avec substance sur la santé, et un certain nombre sur l’association du jeu aux comorbidités psychiatriques [11], [12], [13], mais très peu à la santé « somatique » ou « physique » des joueurs.

L’objectif de cette revue de la littérature était d’évaluer l’influence du jeu (JA et JV) sur l’état de santé médical des joueurs. Notre hypothèse était que l’addiction au jeu a un impact négatif sur la santé physique du joueur, à la différence de la pratique du jeu hors addiction.

Section snippets

Type d’études

Nous avons réalisé une revue systématique de la littérature sur la base de la méthode Cochrane et en suivant la ligne directrice PRISMA [14], [15]. Nous avons considéré toutes les études examinant le lien entre le jeu pathologique et l’état médical. Chaque étude a fait l’objet d’une double lecture mais une seule base de données a été explorée (PUBMED/MEDLINE). Les revues de littérature et méta-analyses étaient exclues.

Population

Les études concernaient l’Humain, sans critères restrictifs géographiques,

Caractéristiques des études

La recherche sur la base de données en ligne Pubmed/Medline a permis de référencer 132 articles éligibles. De plus, 1 article issu d'une autre source a été référencé [64]. Après lecture des introductions, résumés et textes intégraux, 25 articles correspondaient finalement aux critères d’inclusion de notre revue : 14 pour les JA (figure 1), et 11 sur les JV (figure 2). Les études sélectionnées étaient publiées entre 1986 et 2017.

Pour les JA (figure 1) nous avons obtenu deux études descriptives

Discussion

L’objectif de cette revue de la littérature était d’évaluer l’impact que pouvait avoir le jeu pathologique (incluant JA et JV) sur la santé physique des joueurs. Notre revue de la littérature portait sur 25 articles et montrait une association entre le jeu pathologique et la santé physique des joueurs, pour les JA (14 articles) comme les JV (11 articles). JA et JV confondu, nous avons trouvé que les troubles du sommeil étaient le symptôme le plus fréquemment rapporté par les joueurs.

Pour les

Déclaration de liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références (64)

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      Citation Excerpt :

      What is clear is that early identification of this dual condition requires special consideration, since systematic reviews are currently concluding that these clinical conditions are commonly related with the most severe clinical profiles and the most adverse consequences within the “addiction spectrum” (Lopez-Fernandez and Kuss, 2020). Patients with the comorbid profile require special attention in the diagnostic and treatment stages because these behavioral addictions have also proved highly vulnerable to other psychiatric conditions [such as conduct problems, substance-related disorders, and anxiety-depressive states (Männikkö et al., 2020; Richard et al., 2020)], and to impaired physical health (Benchebra et al., 2019). Finally, since the association between gaming and GD could lead to motivations to engage and persist in possibly unique behavioral addictions that may not be present in individuals without the comorbid condition, personalized intervention plans should focus on these specific mechanisms to achieve abstinence and avoid relapses.

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