Article original
Le trauma de l’agresseur à l’origine du trouble de stress post-traumatique. Implications psycho-légales concernant le sujet « auto-traumatisé »The trauma of the aggressor at the origin of post-traumatic stress disorder: Psycho-legal implications for the “self-traumatized” subject

https://doi.org/10.1016/j.evopsy.2020.03.003Get rights and content

Résumé

Problématiques

Est-il possible, pour un agresseur, de souffrir d’un traumatisme psychique issu de son passage à l’acte ? Cette interrogation, d’apparence provocatrice, n’en soulève pas moins une myriade de questionnements théoriques et cliniques.

Objectifs

Nous abordons cette problématique de l’« agresseur auto-traumatisé » selon plusieurs axes de réflexion : anthropologiques, psychopathologiques et psycho-légaux.

Matériel et méthodes

Après critique anthropologique de l’histoire du trauma dans la nosographie psychiatrique contemporaine, nous illustrons grâce à une situation clinique détaillée, combien la prise en compte consciencieuse de l’anamnèse s’avère majeure au diagnostic de trouble post-traumatique, notamment en contexte expertal. Plutôt qu’une interrogation sur la responsabilité pénale, les impacts médico-légaux concernent bien davantage les questions de réparation juridique du dommage psychique.

Résultats

Depuis l’antiquité, les descriptions des troubles psychiques post-traumatiques s’inscrivent dans l’histoire des sociétés, entre redécouvertes et oublis, jusqu’à la guerre du Vietnam qui marqua profondément la société américaine. Les années éloignant des combats, l’enjeu sociétal devint non plus tant la question pénale face à la mort donnée par les soldats sur le terrain, mais la prise en charge thérapeutique et de réparation juridique du dommage résultant de troubles psychiques massifs parmi les vétérans. Sous pressions des compagnies d’assurance souhaitant des critères précis permettant d’ouvrir des droits à indemnisation, l’existence des troubles post-traumatiques resurgit sous la dénomination de Post-traumatic stress disorder en 1980, à l’occasion de la parution du DSM-III. Si la notion d’actes hétéro-agressifs générateurs de trauma apparaît à l’origine de l’inscription du trouble post-traumatique dans la classification, les études épidémiologiques et psychopathologiques précisément consacrées à ce phénomène restent rares. Nous détaillons la situation clinique de Hans, ancien légionnaire adressé au sapiteur psychiatre et dont l’expertise s’annonçait banale. Depuis « l’agression », comme il dit, avec une chute survenue à ses 64 ans, « sans gravité » d’après plusieurs médecins, cet homme ressentait des douleurs à l’épaule, dormait mal, devenait irritable et ruminait, au point d’avoir dû consulter un psychiatre. Le médecin-expert missionné par le tribunal, au terme de son examen trois ans après les faits, avait logiquement sollicité l’adjonction d’un sapiteur. Dans son courrier de liaison, il annonçait ne pas bien comprendre comment cet ancien légionnaire, qui « avait dû en voir bien d’autres… », ne se remettait pas, psychologiquement, d’un tel événement considéré « objectivement » mineur avec cette lésion simple de l’épaule. Le récit du consultant allait éclairer un tout autre aspect des choses, révélant une dynamique psychotraumatique insoupçonnée.

Discussion

Intrinsèquement, la clinique du trauma perturbe l’analyse psycho-légale, autant que de multiples confrontations potentiellement traumatiques et autres facteurs majeurs de stress émaillent le parcours de vie. Doit-on imputer un trouble post-traumatique à l’événement l’ayant initialement favorisé, ou bien, au fait l’ayant causé ensuite, ou finalement, après la phase de latence, aux éléments ayant rappelé les reviviscences ? Les conséquences médicales et psychologiques de l’événement traumatique, même tardives, lui sont imputables. Mais doit-on considérer imputable une cirrhose éthylique causée par un alcoolisme secondaire à un trouble de stress post-traumatique ? Doit-on considérer la présence d’une cicatrice résultant d’une tentative d’autolyse actée lors d’une dépression post-traumatique ? Doit-on considérer des troubles psychotiques induits par des substances psychoactives consommées à visée sédative dans les suites du fait générateur ? De telles situations sont complexes : l’expert argumentera au cas par cas sa compréhension de la chronologie des troubles et son analyse de la relation de signification des symptômes au fait générateur, toujours en fonction du cadre juridique.

Conclusions

L’expertise est un moment capital pour le sujet. Si la personne considérée attend parfois de l’expert des conseils thérapeutiques, nul ne peut être médecin-expert et médecin-traitant du même consultant (sauf en milieu militaire, dans un contexte d’urgence ou de réquisition judiciaire). Toutefois, selon les termes du décret de 1992 applicable aux personnes victimes de guerre et d’attentat, « l’expert accomplit une tâche qui comporte indirectement une dimension thérapeutique ». L’attitude du praticien est bienveillante, aussi proche possible de celle de la relation de soins : en dépend la validité de l’évaluation clinique. N’oublions pas que, comme Hans, certaines personnes blessées psychiques se confient pour la première fois. Mésestimer l’impact subjectif d’un trauma pourrait ici conduire à ce que Claude Barrois nomme le « traumatisme second ». Si les conséquences sur le symptôme restent imprévisibles, une expertise bien menée, quelles que soient les conclusions, amène un soulagement. La mise en mot de l’événement, l’affirmation d’une date de consolidation et la reconnaissance des séquelles imputables permettent souvent une nouvelle projection du sujet vers l’avenir.

Abstract

Background

Is it possible for an aggressor to suffer from psychic trauma after his act of violence? This question, which might appear to be provocative, nevertheless brings up a myriad of theoretical and clinical interrogations.

Objectives

We will explore the issue of the “self-traumatized aggressor” from several points of view: anthropological, psychopathological, and psycho-legal.

Material and methods

After an anthropological critique of the history of trauma in contemporary psychiatric nosography, we turn to a detailed clinical situation to demonstrate the way in which conscientiously taking the subject's history into account reveals itself to be crucial to the diagnosis of post-traumatic stress disorder, particularly in the forensic context. The medico-legal impacts of so doing lead less to an interrogation of the subject's penal responsibility than they do to reflections on the possibilities of a judicial reparation of psychic damage.

Results

Since Antiquity, descriptions of post-traumatic psychic disturbances have been part of the history of societies, rediscovered and then forgotten, until the turning point of the Vietnam War, which profoundly scarred American society. After the war's end, there was a gradual societal shift, as the major issue – no longer the penal question regarding killings enacted by soldiers on the front – became the problem of the nature of the therapy for, and the judicial reparation of, the damage caused by the massive amounts of psychic disorder among veterans. Under pressure from insurance companies to create precise criteria that would allow veterans to access mental health care, the existence of post-traumatic disturbances reemerged under the name “post-traumatic stress disorder” in 1980, on the occasion of the publication of the DSM-III. If the notion of traumatogenic hetero-aggressive acts informs the origins of the description of PTSD, the number of epidemiological and psychopathological studies specifically dedicated to this phenomenon remains small. We examine in detail the story of Hans, a former legionnaire examined by a forensic psychiatrist, whose report seemed destined to be banal. Ever since the “aggression,” as he called it – a fall that he experienced at age 64, “nothing serious” according to several doctors – Hans experienced shoulder pain, had trouble sleeping, became irritable, and ruminated, leading him to consult a psychiatrist. The forensic doctor assigned by the tribunal three years after Hans's fall logically wished to consult a specialist. In his letter to the latter, he expresses his incomprehension that this former legionnaire “who's certainly seen worse” found himself unable to psychologically move on after an “objectively” minor event, a simple shoulder injury. Hans's story would shine a light on another side of things, revealing an unexpected psychotraumatic dynamic.

Discussion

Trauma intrinsically complicates psycho-legal analysis, inasmuch as a multiplicity of potentially traumatic confrontations and other major stress factors are part of each person's life story. Should one link a post-traumatic disorder to the event that laid the groundwork for it, or rather to the subsequent event that provoked it, or finally, after a latency period, to the elements that caused the subject to relive the initial trauma? The medical and psychological consequences of the traumatic event, even those that emerge later, are thus attributed to the event. But should one consider that a cirrhosis caused by a subject's alcoholism that is itself secondary to PTSD can be attributed to the PTSD? What about psychotic symptoms induced by psychoactive substances that were consumed as sedatives after a traumatic incident? Such situations are complex: the forensic expert will have to argue her/his comprehension of the timeline of the disorders, as well as her/his analysis of the relationship of symptoms to the initial event, on a case-by-base basis – and always with the juridical framework in mind.

Conclusions

A forensic evaluation is a crucial moment for the subject. While the subject may hope for therapeutic advice from the forensic expert, it's impossible for a single professional to both carry out an evaluation and treat the subject (except in military settings, in contexts of emergency or of judicial requisition). However, according to the terms of the 1992 decree relative to victims of war and terror attacks, “the forensic expert carries out a task that indirectly contains a therapeutic dimension.” The practitioner's attitude is benevolent, as close as possible to the attitude maintained in general medical practice – and the validity of the clinical evaluation depends upon it. Let us not forget that, like Hans, certain people with psychological wounds open up for the first time in an evaluation. To underestimate the subjective impact of a trauma could lead to what Claude Barrois calls a “second trauma.” If its consequences on the symptom cannot be predicted, a successful evaluation – no matter its conclusions – can lead to relief. Putting an event into words, asserting a date of consolidation, and recognizing the damage caused by the event can often help the subject project her- or himself into the future.

Introduction

Est-il possible, pour un agresseur, de souffrir d’un traumatisme psychique issu de son passage à l’acte ? Pouvant apparaître provocatrice à première lecture pour notre société contemporaine, cette interrogation entraîne moult réflexions cliniques et surtout, implications médico-légales. Fort peu rapportées dans la littérature, ces situations psychopathologiques sont pourtant prégnantes en pratique, notamment dans le cadre d’expertises sollicitées par les juridictions.

Affirmons d’emblée qu’être tenté de simuler un trouble psychique post-traumatique pour échapper à une sanction judiciaire s’avère rare et facilement décelable par un clinicien expérimenté (les échelles diagnostiques sont ici caduques) [1]. En revanche, nous rencontrons épisodiquement ces anamnèses de patients psychotiques meurtriers de leur persécuteur au cours d’un épisode paranoïde floride et qui, avec le temps, lorsque la conscientisation du drame se réalise, déclenchent un syndrome de répétition considérant leur acte. Le délire de persécution et l’amnésie psychogène de l’instant criminel laissent progressivement place aux reviviscences [2]. Alors que la culpabilité massive, parfois d’évolution mélancolique, apparaît conséquentielle au trauma, l’irresponsabilité pénale prononcée peut majorer la souffrance psychique, comme si l’aliénation du trouble revenait par le discours sociétal. D’autres fois, quand les symptômes psychotiques productifs ne s’apaisent pas, les ecmnésies s’associent voire s’intriquent aux hallucinations et/ou au délire, constituant une forme clinique de psychose post-traumatique [3], [4]. Mais les contextes où un sujet développe une réaction psychotraumatique provenant de son passage à l’acte dépassent le seul espace des pathologies psychotiques. À tel point que cette possibilité semble avoir été fondamentale à la construction de l’entité « état de stress post-traumatique » dans la troisième mouture du DSM, phénomène que l’anthropologue Young dénomme « agresseur auto-traumatisé » [5].

Nous reprenons cette histoire du trauma dans la nosographie psychiatrique contemporaine avant d’illustrer, grâce à une situation clinique détaillée, combien la prise en compte consciencieuse de l’anamnèse s’avère majeure pour la compréhension d’un trouble post-traumatique, souvent masqué. Plutôt qu’une interrogation sur la responsabilité pénale, les impacts médico-légaux concernent ici davantage les questions de réparation juridique du dommage psychique.

Section snippets

De l’antiquité à la guerre du Vietnam

D’où vient le premier traumatisme psychique ? Quelle femme, quel homme, a-t-elle, a-t-il, éprouvé les premières reviviscences ? À quel moment de l’évolution des hominidés, voire, antérieurement, d’autres espèces ? Nous n’en savons rien. Sur certaines peintures rupestres réplicatives, nous pouvons supposer l’expression de reviviscences issues essentiellement de scènes de chasse, qu’on imagine assez effroyables à une époque où l’espérance de vie moyenne ne dépassait guère la quarantaine. Il

Hans, ancien légionnaire, adressé au sapiteur psychiatre

L’expertise psychiatrique s’annonçait banale. Depuis « l’agression », comme il dit, avec une chute survenue à ses 64 ans, « sans gravité » d’après plusieurs médecins, cet homme ressentait des douleurs à l’épaule, dormait mal, devenait irritable et ruminait, au point d’avoir dû consulter un psychiatre. Le médecin-expert missionné par le tribunal, au terme de son examen trois ans après les faits, avait logiquement sollicité l’adjonction d’un sapiteur. Dans son courrier de liaison, il annonçait ne

Discussion séméiologique

La clinique du traumatisme psychique était encore, il y peu, essentiellement connue des médecins militaires. Du fait de l’évolution sociétale, l’intérêt pour la psychotraumatologie s’est généralisé avec l’essor de concepts psychopathologiques, neurobiologiques et aussi, sociologiques. Toutefois, à cause de la présentation-même des troubles psychiques post-traumatiques, le sous-diagnostic et les diagnostics tardifs, au stade des souffrances intenses, restent nombreux. Ces errements s’avèrent

Conclusions

L’expertise est un moment capital pour le sujet blessé psychique. Si la personne considérée attend parfois de l’expert des conseils thérapeutiques, nul ne peut être médecin-expert et médecin-traitant du même consultant (sauf en milieu militaire, dans un contexte d’urgence ou de réquisition judiciaire). Toutefois, pour reprendre les termes du décret de 1992 applicable aux personnes victimes de guerres et d’attentats : « l’expert accomplit une tâche qui comporte indirectement une dimension

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références (26)

  • J.L. Senninger et al.

    État de stress post-traumatique chez les malades mentaux criminels

    Ann Med Psychol

    (1995)
  • Y. Auxéméry

    Vers une nouvelle nosographie des troubles psychiques post-traumatiques : intérêts et limites

    Eur J Trauma Dissociation

    (2019)
  • American Psychiatric Association

    Diagnostic and statistical manual of mental disorders

    (1952)
  • Cited by (0)

    Toute référence à cet article doit porter mention : Carnio C, Auxéméry Y. Le trauma de l’agresseur à l’origine du trouble de stress post-traumatique. Implications psycho-légales concernant le sujet « auto-traumatisé ». Evol psychiatr 2020; 85 (2): pages (pour la version papier) ou adresse URL et [date de consultation] (pour la version électronique).

    View full text