Elsevier

L'Évolution Psychiatrique

Volume 79, Issue 3, July–September 2014, Pages 557-566
L'Évolution Psychiatrique

Article original
Enseignements de l’approche organo-dynamique de l’acouphèneAdvice from the organo-dynamic approach of tinnitus

https://doi.org/10.1016/j.evopsy.2013.07.006Get rights and content

Résumé

Objectifs

Nous proposons dans ce travail une analyse critique de l’épistémologie du Traité des Hallucinations de Henri Ey, à partir d’une lecture centrée sur la catégorie des éidolies hallucinosiques, relevant d’une pathologie fonctionnelle, par opposition aux hallucinations délirantes. Cette analyse porte spécialement sur la phénoménologie des acouphènes, que les neurosciences contemporaines désignent du terme de perception auditive fantôme.

Méthode

L’œuvre psychiatrique de Henri Ey (principalement le Traité des Hallucinations [2006], les Études psychiatriques [2006] et Neurologie et Psychiatrie [1998]), constitue le corpus de cette analyse de la théorie organo-dynamique de l’hallucination. Ce travail rapproche la mise en garde de l’auteur sur l’illustration de l’expérience individuelle et la structuration du Traité selon deux modalités distinctes d’hallucination.

Résultats

En parachevant sa pathogénie jusqu’« au plus élémentaire » des phénomènes hallucinatoires – dont l’acouphène est l’illustration même – la structure du Traité conduit Henri Ey à un paradoxe quant au caractère anomique de toute hallucination. Souscrivant ici à un schématisme refusé pour l’hallucination délirante, il réifie cette fausse perception dans la matérialité du déficit sensoriel qui la circonscrit. La remarque vaut pour le modèle contemporain de la perception auditive fantôme, qui procède également à une topologie implicite de l’indication subjective, dont la relativité formelle appartient à la seule perception.

Discussion

Ce paradoxe ouvre une perspective nouvelle sur la souffrance des sujets présentant un acouphène : celle d’une approche du discours subjectif émancipée de sa simple convergence avec un déficit d’appareil. Au-delà d’une réification de l’indication subjective, l’étude de l’énonciation singulière de la souffrance personnelle se présente ainsi à l’horizon de l’épistémologie organo-dynamique.

Conclusions

À notre époque où l’imagerie cérébrale semble annuler l’expérience intersubjective, par la représentation visuelle d’une indication insaisissable, Henri Ey nous permet de penser une exigence d’une étonnante modernité : une écoute psychothérapeutique n’est possible qu’à la condition d’être iconoclaste. S’il veut instaurer un dialogue avec le sujet qui souffre d’acouphène, le clinicien doit congédier de sa pensée les images qu’il s’en fait.

Abstract

Objective

In this article, we make a critical analysis of the Traité des Hallucinations by the French psychiatrist Henri Ey (1900–1977) and his organo-dynamic theory, that is focused on the functional pathology in contrast to the delirious hallucination. The analysis is dedicated in particular to the phenomenology of tinnitus (i.e. ringing in the ear[s]) that is currently labelled a “phantom auditory perception” by contemporary neurosciences.

Method

The analysis was conducted from a thorough reading of the psychiatric work of Henri Ey, mainly his important “Traité des Hallucinations” (2006), “Études psychiatriques” (2006) and “Neurologie et Psychiatrie” (1998). Following his warning regarding a pathological reality (hallucination) that cannot be seized “by draft and outlines”, in this report we address the understanding of the patient's discourse beyond its convergence with the experimental facts.

Results

Because he wanted to include in the pathogeny of his treatise the “most elementary one” – e.g. tinnitus in the auditory sense – Henri Ey felt in the conception he did not support himself, that is to compare hallucination to a “kind of” perception. Having distinguished the delirious from the functional hallucinations (that correlate with sensory deprivation), he could not avoid reifying them within the sensory deficit, leading again to the concept of perception. This remark can be applied to the contemporary neurophysiological model of the “phantom auditory perception”, which also casts the patient's discourse on a frame with its relativity and proportions that belong to the field of perception (“elementary” vs. “complex” phenomena).

Discussion

The paradox of drafting functional hallucination as an elementary perception supports a new perspective on suffering from tinnitus, that is not restricted to an understanding of the convergence between the subjective discourse and a sensory deficit. Beyond a reification of the subjective indication arising inside the body (i.e. tinnitus), the study of the individual enunciation of the suffering appears on the horizon of the organo-dynamic theory. A psychodynamic approach of this new issue on tinnitus has been supported by the author and a colleague.

Conclusions

Whilst today the magnetic resonance imaging seems to nullify the intersubjective reality, by showing visual correlates of this intangible phenomenon, Henri Ey allows us to recognize a surprisingly modern requirement: a psychotherapeutic listening to tinnitus patients has to be iconoclastic. If the aim is to set-up an individual dialogue with the tinnitus sufferer, the clinician must remove in his mind the images he created about it.

Introduction

Une ligne partage avec assurance le champ des phénomènes que recouvre le Traité des Hallucinations [1] et lui donne, selon l’expression de son auteur, sa division naturelle : celle de la conviction délirante par laquelle le sujet est aliéné à l’hallucination. Ce fait clinique, comme le souligne Henri Ey, n’est pas systématiquement attaché au genre des hallucinations, et constitue un critère différentiel majeur dans l’appréciation du trouble de la subjectivité. Il convient ainsi de distinguer, dans une clinique organo-dynamique, deux types de phénomènes hallucinatoires : d’une part, les hallucinations délirantes, caractéristiques des psychoses et, de l’autre, les éidolies (ou éidolies hallucinosiques) circonscrites à un déficit fonctionnel sous-jacent, et à l’endroit desquelles le sujet n’entretient pas de délire. Ces « fausses perceptions » (images, sons, odeurs, appelées anciennement « hallucinoses » [2], [3]) font l’objet de réactions critiques de la part du sujet qui en souffre. Il les rapporte de lui-même à un dysfonctionnement de ses organes sensoriels, une intuition que confirme d’ailleurs un examen spécialisé [4], [5]. La structure paradoxale des éidolies, selon laquelle un sujet peut souffrir d’hallucination sans en être dupe, est une des clés de voûte de la théorie organo-dynamique du phénomène hallucinatoire. Nous lui consacrerons la première partie de ce travail, en précisant le drame existentiel que peut constituer l’acouphène, dont les conséquences sur la condition subjective sont mésestimées par sa comparaison à un « son intérieur », un « signal » ou une « perception de son(s) » [6]. Ces analogies ne peuvent apporter un éclairage à cette condition chronique. Elles sont du reste contestables d’un point de vue expérimental [7]. L’approche organo-dynamique offre ici une saisie précise de l’incidence de l’acouphène sur la subjectivité, en soulignant sa discordance foncière avec l’expérience quotidienne. Cependant, selon nous, l’enseignement majeur de Henri Ey sur cette question se trouve ailleurs. Car le projet d’une synthèse des deux modalités fondamentales du phénomène hallucinatoire le conduit aussi à une contradiction avec ses propres principes. En dépit d’une mise en garde dans son avant-propos, le Traité est insensiblement infléchi vers la sensorialité qu’il ne cesse de dénoncer. Ce paradoxe ouvre une perspective inédite à la souffrance des sujets présentant un acouphène : celle d’une réflexion nécessaire sur l’écoute du discours subjectif, au-delà de sa convergence avec un savoir sur le déficit qui le conditionne comme hallucination « instrumentale » ou éidolie. De cette émancipation dépend notamment la portée d’une psychothérapie auprès de ces sujets en souffrance chronique, qui apparaissait pour Henri Ey irréductiblement limitée par l’altération des appareils perceptifs.

Section snippets

Position du problème

La littérature scientifique contemporaine ne souscrit pas au terme d’hallucination à propos de l’acouphène. Un souci prédomine, sans doute, dans la réticence des auteurs à l’égard de ce terme : celui de ne pas démentir la souffrance individuelle en l’intégrant dans un tableau clinique dans lequel le délire rendrait caduque toute référence au jugement subjectif. Celui-ci n’étant pas altéré dans le contact social de la consultation médicale, le terme d’hallucination est ainsi récusé au profit de

La mise en garde initiale

« L’auteur qui écrit sur l’hallucination, averti Henri Ey dans l’avant-propos de son Traité, […] doit bien prendre garde de ne pas tomber lui-même dans l’erreur de l’halluciné, car l’hallucination entraîne dans son vertige celui qui est mal préparé à la saisir, c’est-à-dire à lui résister. » ([1], p. 2). Ce défi épistémologique, adressé aux cliniciens comme au lecteur de l’œuvre, prend une tournure plus radicale encore dès ses premières lignes : « Toute illustration de l’hallucination est une

Conclusion

Nous avons voulu ici rendre hommage à la pensée organo-dynamique, en suivant au plus près ses recommandations sur le terrain de la pathologie fonctionnelle. Au terme de son Traité des hallucinations, Henri Ey soulignait les limites que prescrivait naturellement l’instrumentalité des éidolies à toute entreprise psychothérapeutique. Le paradoxe que nous avons signalé nous conduit à poser le problème au-delà de la convergence expérimentale. Car en superposant l’étiologie et le discours subjectif,

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références (26)

  • N. Dauman

    Habituation à l’acouphène. Les fondements épistémologiques de l’approche cognitivo-comportementale en question

    Evol Psychiatr

    (2012)
  • P.J. Jastreboff et al.

    Tinnitus retraining therapy. Implementing the neurophysiological model

    (2004)
  • G. Andersson et al.

    Tinnitus. A multidisciplinary approach

    (2005)
  • Cited by (0)

    Toute référence à cet article doit porter mention : Dauman N. Enseignements de l’approche organo-dynamique de l’acouphène. Evol Psychiatr XXXX; Vol. (No): pages (pour la version papier) ou adresse URL et [date de consultation] (pour la version électronique).

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