Elsevier

L'Encéphale

Volume 43, Issue 5, October 2017, Pages 409-415
L'Encéphale

Article de recherche
Relation entre la violence intra-hospitalière des patients avec psychoses et la violence dans la communautéAssociation between the violence in the community and the aggressive behaviors of psychotics during their hospitalizations

https://doi.org/10.1016/j.encep.2017.04.002Get rights and content

Résumé

Contexte

La violence est un problème fréquent dans les services de psychiatrie. Le niveau de violence du lieu de vie des patients n’a pas été étudié comme une variable explicative de la violence intra-hospitalière.

Méthode

Nous avons mené une étude prospective dans 9 villes françaises très contrastées du point de vue de leur niveau de violence. Les sujets éligibles étaient des patients hospitalisés sous contrainte pour troubles psychotiques, dans une des unités de psychiatrie de chaque ville concernée. Au cours de leur hospitalisation, tout type de comportement agressif était recueilli par l’Overt Aggression Scale (OAS).

Résultats

De juin 2010 à mai 2011, 95 patients ont été inclus. Soixante-dix-neuf pour cent des patients ont montré un comportement violent au cours de leur hospitalisation. La violence des patients était significativement liée : au sexe masculin, aux antécédents de violence agis par le patient, à l’abus de substances autre que la nicotine, à la présence d’un épisode maniaque ou mixte, à l’intensité de la symptomatologie mesurée par la Brief Psychiatric Rating Scale (BPRS), au degré d’insight et au taux de violence à la personne des villes correspondant au secteur du patient. Dans une analyse multivariée, les seuls facteurs significativement liés à la violence des patients étaient l’abus de substance, la sévérité des symptômes psychotiques et le taux de violence des villes.

Conclusion

Cette étude suggère que la violence dans l’environnement de vie des patients est associée à une augmentation du risque de passage à l’acte violent au cours de leur hospitalisation.

Abstract

Background

Violence is a common issue in psychiatry and has multiple determiners. The aim of this study is to assess the psychotic inpatients’ violence in association with the violence of the neighborhood from which the patients are drawn and to estimate the impact of this environmental factor with regard to other factors.

Method

A prospective multicenter study was led in nine French cities. Eligible patients were psychotic involuntary patients hospitalized in the cities’ psychiatric wards. During their treatments, any kind of aggressive behavior by the patients has been reported by the Overt Aggression Scale (OAS).

Results

From June 2010 to May 2011, 95 patients have been included. Seventy-nine per cent of the patients were violent during their hospitalizations. In a bivariate analysis, inpatient violence was significantly associated with different factors: male gender, patient violence history, substance abuse, manic or mixed disorder, the symptoms severity measured by the BPRS, the insight degree and the city crime rate. In a multivariate analysis, the only significant factors associated with the patients’ violence were substance abuse, the symptoms severity and the crime rates from the different patients’ cities.

Conclusion

These results suggest that violence within the psychotic patients’ neighborhood could represent a risk of violence during their treatments.

Introduction

Depuis les années 1990, des études épidémiologiques rigoureuses permettent de constater que les personnes atteintes d’un trouble mental sévère (schizophrénie, trouble schizo-affectif, troubles délirants et troubles bipolaires, selon la définition d’Hodgins et al.) présentent un risque augmenté de commettre une infraction violente, comparées au reste de la population [1]. Néanmoins, le nombre absolu des agressions commis par les patients reste faible [2]. De même, l’essentiel des homicides n’est pas dû aux malades mentaux graves [3]. Les facteurs de risque de violence chez les patients vivant dans la communauté sont le diagnostic de trouble psychotique ou de trouble thymique, le sexe masculin, l’âge jeune, le célibat, un faible niveau socio-économique ou éducationnel, des antécédents de violence subies ou agies, l’abus de toxiques autre que la nicotine et la non-compliance aux traitements [4], [5], [6], [7], [8], [9], [10].

Si on considère le risque de violence chez les patients hospitalisés, les études s’accordent sur l’importance prépondérante des facteurs cliniques comme l’intensité des symptômes, plus que sur les facteurs sociodémographiques comme l’âge, le sexe ou le contexte économique [11]. Les facteurs qui semblent le plus significativement liés à la violence des patients au cours de leur hospitalisation sont les diagnostics de schizophrénie, de troubles thymiques ou d’abus de substances, un faible degré d’insight et l’intensité de la symptomatologie positive et de désorganisation. Les antécédents de violence apparaissent également être un facteur prédictif important de violence [11], [12], [13], [14], [15], [16].

L’impact du milieu, c’est-à-dire, de la violence dans la communauté de vie, sur la violence des patients avec psychoses reste discuté [17], [18], [19]. Ainsi, la croyance selon laquelle le taux d’homicides commis par les malades mentaux serait fixe dans le monde, indépendant de leur pays d’origine, est largement répandue [20], [21], [22], [23]. Cette conception a été étendue aux agressions non létales commises par les patients souffrant d’une maladie mentale sévère [24], [25]. Certains auteurs ont cependant mis en évidence une relation entre le nombre d’homicides commis par les patients schizophrènes et le taux d’homicides dans la communauté de vie [26]. Selon ces auteurs, les facteurs liés à la violence dans la société affectent les patients, comme, l’abus de substances, l’accès aux armes, la vie urbaine, un faible statut socio-économique ou une migration récente [26]. Une critique adressée aux travaux sur le sujet a été que ces études examinent seulement les facteurs de risque pris individuellement. De ce fait, il est difficile d’étudier les liens entre les différents facteurs de risque et leur influence respective sur la violence des patients [27]. Par contre, le lien existant entre la violence dans la communauté et celle observée dans les unités d’hospitalisation n’a pas été étudié. Il en résulte que nous ne pouvons pas affirmer que les unités d’hospitalisation délivrant les soins à des secteurs géographiques, où la violence est élevée, sont susceptibles de constater des niveaux de violence hospitalière augmentés.

Nous avons donc voulu étudier le lien entre la violence des patients hospitalisés dans les services de psychiatrie et le taux de violence de leur secteur d’habitation, tout en contrôlant les facteurs classiquement associés aux comportements violents.

Le but de cette étude était de comparer le niveau de violence des patients avec psychose, hospitalisés sous contrainte dans 9 services de psychiatrie de 9 villes, ayant chacune des taux contrastés de violence à la personne.

Section snippets

Schéma de l’étude

Nous avons mené une étude prospective, multicentrique, dans neuf villes françaises. Neuf secteurs de psychiatrie correspondant à des bassins de population ayant de forts contrastes de leur niveau de violence (données de l’Observatoire national de la délinquance 2007) ont été choisis. Cinq secteurs couvraient des zones géographiques urbaines et semi-urbaines : Caen, Nîmes, Rennes, Rouen et Rodez ; quatre autres secteurs couvraient des zones exclusivement urbaines : Épinay-sur-Seine (Épinay,

Caractéristiques des services de psychiatrie

De juin 2010 à mai 2011, 95 patients ont été inclus dans l’étude, chaque service concerné incluant 3 à 20 patients. Tous les patients éligibles durant la phase d’inclusion ont été inclus. Les caractéristiques des 9 services de psychiatrie sont représentées dans le Tableau 1. Les services de psychiatrie n’étaient pas différents pour l’organisation générale, les pratiques courantes, le nombre de psychiatres et de soignants par lit et la superficie rapportée au nombre de lits. La durée moyenne du

La violence des patients

Dans cette étude, 79 % des patients ont montré un comportement violent au cours de leur hospitalisation. La violence était essentiellement verbale. Trente-trois patients ont commis des actes de violence jugés sérieux envers les autres et 6 % ont commis des agressions qui ont occasionné des blessures graves. Ces données sont concordantes avec d’autres études s’intéressant à la violence des patients hospitalisés. Elles montrent que la violence est un problème fréquent en psychiatrie mais que les

Conclusion

En hospitalisation, et plus particulièrement en psychiatrie, la violence des patients apparaît fréquente et a des répercussions négatives sur les soins, le sentiment de sécurité des patients et des soignants [12]. Nos résultats suggèrent que la violence dans l’environnement de vie des patients souffrant de troubles psychotiques puisse être un des facteurs associés au passage à l’acte violent au cours de leur hospitalisation.

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références (48)

  • S.E. Estroff et al.

    Social networks, social support and violence among persons with severe persistent illness

  • J.W. Swanson et al.

    Violence and psychiatric disorder in the community: evidence from the epidemiologic catchment area surveys

    Hosp Community Psychiatry

    (1990)
  • J. Volavka

    Violence in schizophrenia and bipolar disorder

    Psychiatr Danub

    (2013)
  • K. Witt et al.

    Risk factors for violence in psychosis: systematic review and meta-regression analysis of 110 studies

    PloS One

    (2013)
  • T. Steinert

    Prediction of inpatient violence

    Acta Psychiatr Scand

    (2002)
  • C. Abderhalden et al.

    Frequency and severity of aggressive incidents in acute psychiatric wards in Switzerland

    Clin Pract Epidemiol Ment Health

    (2007)
  • K. Barlow et al.

    Prevalence and precipitants of aggression in psychiatric inpatients units

    Aust N Z J Psychiatry

    (2000)
  • R.L. Binder et al.

    The relationship of gender to violent behavior in acutely disturbed psychiatric patients

    J Clin Psychiatry

    (1990)
  • C. Dack et al.

    A review and meta-analysis of the patient factors associated with psychiatric in-patients aggression

    Acta Psychiatr Scand

    (2013)
  • HAS/Service des bonnes pratiques professionnelles – Dangerosité psychiatrique : étude et évaluation des facteurs de risque de violence hétéro-agressive chez les personnes ayant des troubles schizophréniques ou des troubles de l’humeur. Recommandations de la commission d’audition

    (2011)
  • S. Fazel et al.

    Schizophrenia and violence: systematic review and meta-analysis

    PloS Med

    (2009)
  • J. Volavka et al.

    History of violent behaviour and schizophrenia in different cultures

    Br J Psychiatry

    (1997)
  • C. Wallace et al.

    Criminal offending in schizophrenia over a 25-year period marked by deinstitutionalization and increasing prevalence of comorbid substance use disorders

    Am J Psychiatry

    (2004)
  • J. Coid et al.

    Violence and psychiatric morbidity in a national household population—a report from the British Household Survey

    Am J Epidemiol

    (2006)
  • View full text