Elsevier

L'Encéphale

Volume 38, Issue 3, June 2012, Pages 211-223
L'Encéphale

Épidémiologie
Caractéristiques sociodémographiques et cliniques de patients souffrant de troubles bipolaires suivis en ambulatoire en France métropolitaineWho are patients suffering from bipolar disorders in France? The TEMPPO survey: Patients’ sociodemographic and clinical characteristics data

https://doi.org/10.1016/j.encep.2012.04.007Get rights and content

Résumé

Le présent article décrit les résultats de l’étude TraitEment Médicamenteux et histoire de la maladie des Patients souffrant de troubles biPOlaires (TEMPPO) dont l’objectif était de décrire les caractéristiques cliniques et sociodémographiques d’un échantillon de patients adultes ambulatoires souffrant de troubles bipolaires de type I ou II en France métropolitaine. Il s’agit d’une étude observationnelle, transversale, multicentrique, effectuée en 2009, mise en place auprès de psychiatres exerçant en secteur public ou privé. Les données exploitables sont issues du recueil effectué par 135 psychiatres ayant inclus 619 patients bipolaires (197 vus en secteur public et 422 en secteur privé). L’extrapolation des données de cette étude à la population française fait état d’une prévalence de 0,43 % de patients bipolaires suivis par un psychiatre. Les données de l’étude montrent une prédominance dans l’échantillon examiné de troubles bipolaires de type I (58 % des patients). Les résultats de l’étude confirment le fait que les patients présentant un trouble bipolaire et suivis en ambulatoire ont des caractéristiques cliniques de sévérité comme l’atteste la valeur moyenne (4,4) de la clinical global impression (CGI)-gravité et la valeur moyenne de la évaluation globale du fonctionnement (GAF) à 59. Cette sévérité est plus évidente pour les patients en périodes d’épisodes dépressifs en comparaison de ceux présentant un épisode maniaque (CGI à 6 vs 4) ou hypomaniaques (CGI à 6 vs 3). L’étude a pu aussi mettre en évidence une forte proportion de cycles rapides (11 %), de fréquentes comorbidités psychiatriques (45 % des patients), une obésité (16 % des patients), des troubles de la libido ainsi que la présence de symptômes psychotiques. Les patients en phase maniaque étaient ceux présentant les indices de sévérité les plus élevés et les scores de fonctionnement les plus faibles. Plus de la moitié des patients (57 %) avait des antécédents familiaux de troubles psychiatriques. Cette étude a permis de mieux caractériser les patients bipolaires suivis par des psychiatres en France. Elle a souligné l’impact négatif de la maladie sur la vie sociale et professionnelle des patients en insistant sur la nécessité d’une prise en charge spécifique en complément du traitement symptomatique.

Summary

Aim

One of the aims of the TEMPPO study was to describe the sociodemographic and clinical characteristics of a cohort of adult outpatients with type I or type II bipolar disorders (as defined by DSM-IV criteria) in France.

Methods

TEMPPO is a multicenter, cross-sectional, non-interventional study conducted in France between November 2008 and May 2009, with a random sample of academic and private practice psychiatrists. Each psychiatrist who agreed to participate in the study had to: complete a register with data on all consecutive patients (up to 20 patients) consulting during a 2-month period and fulfilling inclusion criteria; include in the study the first five patients of the register with an on-going consultation for at least 6 months; for each of which a detailed questionnaire had been assessed, notably their sociodemographic and bipolar clinical characteristics. Adult outpatients diagnosed with bipolar disorders (BD) were enrolled if fulfilling the following inclusion criteria: man or woman, aged 18 and above, diagnosed bipolar type I or II according to DSM-IV criteria, treated (whatever the treatment strategy) or not, and followed-up for at least 6 months by the participating psychiatrist.

Results

One hundred and thirty-five psychiatrists included 619 patients with bipolar disorder (197 and 422 followed-up in public and private practice respectively). The estimated prevalence of patients with bipolar disorders consulting psychiatrists was 0.43%. Type I bipolar disorder was the most frequent condition (58% of the patients). As a whole, bipolar disorder was associated with severe handicap (mean global disease Clinical Global Impression [CGI]-Severity score of 4.4 and mean GAF [Global Assessment of Functioning] score of 59), with more depressive episodes than manic episodes (6 vs. 4) or hypomania (6 vs. 3), a high proportion of rapid cycles (11%), psychiatric comorbidities (45% of patients), obesity (16% of patients), libido dysfunction and associated psychotic symptoms. Current manic phase was associated with more pronounced illness severity and lowest functioning. More than half of the patients (57%) had a family history of psychiatric disorders.

Conclusion

This study could shed some light for a better understanding of demographics and clinical patterns of patients with bipolar disorders consulting psychiatrists in France. The results emphasize the severity of bipolar disorders with mainly depressive episodes, a high proportion of rapid-cycling, comorbidities and associated psychotic symptoms; these characteristics being more marked in patients suffering from BD I. Furthermore, this study confirms the strong negative impact on social and professional life of French bipolar patients, requiring specific management in addition to the symptomatic treatment.

Introduction

Le trouble bipolaire est un trouble de l’humeur remarquable par la diversité de ses expressions cliniques. Si certains patients souffrant de trouble bipolaire présentent de profondes phases dépressives ou à l’inverse des phases d’irritabilité, d’excitation, d’activités accrues, de nombreux autres présentent des formes atypiques d’allure caractérielle, pseudonévrotique avec des comorbidités au premier plan. Ainsi, la caractérisation du trouble dans le DSM-IV (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’American Psychiatric Association) est-elle un cadre général qui efface les diversités expressives de ce trouble expliquant les errances diagnostiques, particulièrement concernant le trouble bipolaire de type II. On rappellera que le trouble bipolaire de type I est caractérisé par la présence d’au moins un épisode maniaque ou mixte chez des sujets ayant présenté ou non un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs et que le trouble bipolaire de type II est caractérisé par la survenue d’un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés d’au moins un épisode hypomaniaque mais sans manie franche. Il n’est donc pas surprenant que son identification soit difficile tant en épidémiologie clinique que dans la pratique médicale individuelle. Il en résulte que de nombreux sujets souffrant de formes atypiques, notamment les plus jeunes, ne sont pas suivis au sein de structures psychiatriques [1].

Malgré une sous-estimation probable, la prévalence du trouble bipolaire est estimée à 1 % avec des variations selon les études considérées (0,3 à 5,1 %) [2]. Pour les raisons que nous avons mentionnées, on peut estimer qu’une prévalence de 3 à 5 % pourrait être plus proche de la réalité témoignant de la sensibilité et de la spécificité des outils et des méthodologies d’évaluation [1], [3], [4]. L’évolution de ces paramètres diagnostiques et méthodologiques a ainsi pu montrer une incidence plus importante du trouble ces dernières décennies, notamment en utilisant des outils plus aboutis pour aborder les dimensions hypomaniaque et dépressive [5].

Cette évolution s’est accompagnée d’une meilleure définition des comorbidités associées (abus de substances etc.) [6] et d’une meilleure connaissance de l’impact des troubles bipolaires en termes de qualité de vie et de santé publique.

On conçoit aisément que la nature de cette maladie impose une prise en charge plurifactorielle dépendant notamment de la phase thymique considérée, de la typologie et de l’histoire clinique du patient, mais aussi de l’arsenal thérapeutique actuellement disponible, ainsi que des habitudes et des pratiques des psychiatres [7], [8].

Lorsque nous avons initié l’étude TraitEment Médicamenteux et histoire de la maladie des Patients souffrant de troubles biPOlaires (TEMPPO) en 2008, il n’existait pas en France de recommandations thérapeutiques officielles pas plus qu’il n’y avait d’informations sur les modalités de prise en charge en ambulatoire des troubles bipolaires I ou II, notamment lorsque l’on considérait l’ensemble des expressions cliniques du trouble. Notamment, aucune étude n’avait encore utilisé d’échantillon représentatif de la population des psychiatres exerçant en France métropolitaine afin d’en évaluer les habitudes de prescription au sein de la population de patients bipolaires [9], [10], [11], [12], [13].

L’objectif principal de la présente étude était ainsi de décrire de la manière la plus précise l’état de la prise en charge thérapeutique des patients bipolaires vus en consultation par les psychiatres en France, et plus particulièrement de déterminer la proportion de patients souffrant de troubles bipolaires traités par antipsychotiques. Les résultats de l’étude ont été colligés en 2011. Une volonté de plus grande clarté de l’exposé des résultats nous a incitée à les présenter dans deux articles distincts : le présent article vise à décrire la typologie d’une population de patients bipolaires en France, qu’ils soient suivis en ville ou à l’hôpital, et d’en identifier les caractéristiques cliniques. Le second article concerne les modalités de prescription pharmacologiques et non pharmacologiques ainsi que leur cohérence avec les recommandations [14].

Section snippets

Méthodes

L’étude TEMPPO est une étude pharmaco-épidémiologique observationnelle, transversale, multicentrique, conduite en France métropolitaine, entre novembre 2008 et mai 2009 et portant sur la prise en charge ambulatoire des patients suivis par des psychiatres hospitaliers et/ou libéraux pour un trouble bipolaire de type I ou de type II.

Caractéristiques des psychiatres enquêteurs

Le processus de recrutement des psychiatres est présenté dans le Tableau 1. Parmi les 197 psychiatres ayant accepté de participer à l’étude, 175 centres ont été mis en place et 135 ont été actifs. Les psychiatres actifs étaient âgés en moyenne de 49 ans, comprenaient 65 % d’hommes et avaient une activité privée/mixte dans 66 % des cas ; ils ont vu en moyenne leurs patients une fois par mois.

Calcul de la prévalence des troubles bipolaires suivis par des psychiatres

Les psychiatres du secteur public recevaient en moyenne (± écart-type) 14,5 ± 11,7 patients atteints de

Discussion

L’étude TEMPPO a permis de mieux cerner les caractéristiques des patients bipolaires suivis par les psychiatres en France.

Dans l’ensemble, cette étude a confirmé que les troubles bipolaires sont sévères et invalidants avec une prédominance d’épisodes dépressifs, une proportion élevée de cycles rapides, de comorbidités psychiatriques et somatiques et de symptômes psychotiques associés. Il ressort également que les patients en phase maniaque présentaient une altération fonctionnelle plus marquée.

Déclaration d’intérêts

L’auteur W. de Carvalho déclare avoir fait des interventions pour BMS, Otsuka, Lundbeck, Janssen et AstraZeneca.

Remerciements

À tous les médecins ayant participé à l’étude ; à CEMKA Eval pour la logistique et l’analyse de cette étude et à Elisabeth Kern de la société Lincoln pour son aide à la rédaction de cet article.

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