LETTRE À LA RÉDACTION
Dépistage de la trisomie 21 : de la critique médicale à la crise de conscienceDown syndrome screening: From medical criticism to crisis of conscience

https://doi.org/10.1016/j.jgyn.2010.07.001Get rights and content

Introduction

Le diagnostic prénatal (DPN) n’est pas un exercice des plus aisés malgré le sérieux et la compétence de tous ses acteurs. Il en est ainsi du DPN de la trisomie 21 dont les modalités, définies et appliquées selon les textes officiels, ne sont pas exemptes de très sérieuses critiques médicales. Par différents aspects, elles peuvent même représenter une véritable dérive doublement délétère : sur le principe essentiel de la liberté décisionnelle et du consentement éclairé que nous devons garantir aux couples, mais aussi pour notre propre éthique médicale. Nous sommes effectivement confrontés depuis plus de 13 ans à une médecine de plus en plus assujettie à la logique implacable des chiffres et à une politique de santé conjuguant efficience et rentabilité techniques. Le but de cette politique ne serait-il pas l’éradication des fœtus porteurs de la trisomie 21 ? Les résultats du dépistage ne contredisent pas cette lancinante interrogation. En l’occurrence, notre rôle prioritaire est-il encore uniquement celui de soigner ? Quelles sont les réponses possibles aux conflits de valeurs qui sous-tendent de réels conflits de devoirs ? À l’extrême, la clause de conscience du médecin peut elle être opposée comme cela est possible face à une demande d’interruption volontaire de grossesse (IVG) ? Comment revendiquer son application dans un autre domaine — celui de la médecine prénatale – tout en respectant le projet parental et certains avantages de la médecine prédictive ? Comment concilier droit légitime et incontestable des couples à l’information, consentement éclairé et absence de risque médicolégal pour le praticien ?

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La France des records

L’Agence de la biomédecine, chargée de l’agrément des laboratoires de biologie et des 48 centres pluridisciplinaires de DPN (CPDPN), nous offre un tableau précis de l’activité du DPN en France. En 2007, sur 834 000 naissances enregistrées, 665 054 dosages des marqueurs sériques furent prescrits, soit environ les trois-quarts des grossesses concernées [1]. Parmi ces patientes, 55 641 furent considérées à risque accru par rapport à la valeur seuil de 1/250 et 514 cas de trisomie 21 ont été

De sérieuses critiques médicales

La trisomie 21 n’est plus, actuellement en France, la première cause de handicap néonatal. Démonstration est faite de l’efficience du DPN qui consiste bien à éliminer les fœtus porteurs de l’anomalie chromosomique. Notre politique nationale d’éradication flirte avec l’eugénisme malgré la clarté de l’interdit stipulé par l’article 16-4 du Code civil : « Toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite ». L’inquiétude est réellement fondée. Elle a déjà

Des enjeux éthiques

La relation est incontestablement très étroite entre DPN et IMG. Selon Georges Canguilhem, philosophe et médecin, « quand la maladie est tenue pour un mal, la thérapeutique est donnée pour une revalorisation » [16]. Tel est bien notre objectif après dépistage d’un diabète gestationnel, un risque de prématurité, un retard de croissance intrautérin (RCIU) ou un cancer du sein. Mais en va-t-il de même pour l’IMG considérée comme la seule issue possible après un diagnostic de trisomie 21 ?

Une perte

Vers des solutions possibles

Un dépistage médical n’est justifié qu’à la condition de pouvoir apporter des réponses thérapeutiques adaptées. C’est une exigence fondamentale de notre éthique médicale. Il n’est absolument pas question de nier l’apport indéniable des progrès scientifiques dans le champ du diagnostic appliqué à la vie intra-utérine. Grâce à la performance des examens, l’obstétricien peut informer au mieux le couple, le préparer psychologiquement et, le cas échéant, optimiser les conditions de prise en charge

En guise de conclusion

La logique du dépistage généralisé de la trisomie 21, instauré initialement dans un souci généreux d’accessibilité et d’égalité des soins pour tous, aboutit à son pire excès : une rationalisation scientifique de la médecine prénatale dont nous vérifions les conséquences perverses. Celles-ci doivent être dénoncées et trouver leurs solutions dans une plus grande liberté décisionnelle des femmes et un respect des convictions intimes du praticien. Par ailleurs, les récents arrêtés rédigés dans des

Conflit d’intérêt

Aucun.

Références (24)

  • P. Leblanc et al.

    L’éthique médicale à l’épreuve de la loi de bioéthique. Point de vue d’un obstétricien

    J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris)

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  • G. Grangé

    Les dommages collatéraux des arrêtés de juillet 2009 sur le dépistage de la trisomie 21

    Gynecol Obstet Fertil (Paris)

    (2010)
  • Agence de la biomédecine. Rapport annuel et bilan des activités, 2008, centres pluridisciplinaires de diagnostic...
  • d’État. Conseil

    La révision des lois de bioéthique

    (2009)
  • V. Seror et al.

    Prenatal screening for Down syndrome: women's involvement in decision-making and their attitudes to screening

    Prenant Diagn

    (2009)
  • Agence de la biomédecine. Rapport annuel et bilan des activités, 2008, centres pluridisciplinaires de diagnostic...
  • Rapport de la HAS, 06/07. Évaluation des stratégies de dépistage de la trisomie 21...
  • Arrêté du 23juin2009, JORF no 00152 du 3juillet2009,...
  • Arrêté du 19février2010, JORF no 0051 du 2mars2010,...
  • IFOP, Les Françaises et l’interruption volontaire de grossesse,...
  • CCNE, avis no 66, réponse aux saisines du Président du Sénat et du Président de l’Assemblée nationale sur l’allongement...
  • Mission d’information sur la révision des lois de bioéthique : « Favoriser le progrès médical, respecter la dignité...
  • Cited by (1)

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