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Introduction

Défini par la proportion d’élèves qui ne fréquentent plus l’école et qui n’ont pas obtenu de diplôme du secondaire, le décrochage scolaire est prévalent dans plusieurs sociétés occidentales (Freudenberg et Ruglis, 2007; Lamb et Markussen, 2011; Levin, Belfield, Muennig et Rouse, 2007; Rumberger, 2011). Au Québec, en 2012-2013, la proportion d’élèves âgés entre 16 et 24 ans ayant quitté l’école sans diplôme d’études secondaires ni qualification s’élevait à 15,3 % (MELS, 2015). Bien que cette proportion témoigne d’une baisse notable du phénomène depuis la fin des années 80 (MELS, 2012), ces décrocheurs se trouvent confrontés à d’importantes difficultés. Dans la conjoncture économique actuelle où les besoins en main d’oeuvre spécialisée sont criants (Lamb et Markussen, 2011), ils sont plus souvent prestataires de l’assurance chômage (Bowlby et McMullen, 2005; Statistique Canada, 2012) et occupent des emplois instables et moins bien rémunérés (Cohen, 1998; Kerckhoff et Bell, 1998; McCaul, Donaldson Jr, Coladarci et Davis, 1992). Ces jeunes sont également plus à risque de s’engager dans des activités délinquantes et criminelles (Cohen, 1998; Freeman, 1996) et plus susceptibles de développer des problèmes intériorisés comme l’anxiété et la dépression (Kaplan, Damphousse et Kaplan, 1994).

Les programmes de prévention du décrochage sont nombreux, mais leurs effets apparaissent souvent limités (Levin et al., 2007; Prevatt et Kelly, 2003; Temple, Reynolds et Miedel, 2000). Plusieurs programmes reposent sur des initiatives locales, n’ont pas fait l’objet d’évaluations rigoureuses, sont insuffisamment soutenus par des données issues de la recherche ou sont implantés tardivement, lorsque le processus de désengagement des élèves envers l’école est déjà amorcé (Lehr, Hansen, Sinclair et Christenson, 2003; Prevatt et Kelly, 2003). Les effets concrets de ces programmes s’en trouvent ainsi limités, tout comme la généralisation de ces effets à plus large échelle.

Dans le but de répondre à ces limites, la présente étude propose d’évaluer l’efficacité de l’adaptation québécoise du programme d’intervention Check and Connect, un programme développé et validé aux États-Unis visant à prévenir le décrochage scolaire chez les élèves du primaire et du secondaire (Christenson, Stout et Pohl, 2012). Le programme a été évalué dans des écoles primaires et secondaires du Québec, mais la présente étude porte spécifiquement sur le volet implanté au primaire, dans deux commissions scolaires.

Trajectoires précoces et facteurs de risque du décrochage

Il existe une diversité de trajectoires qui mènent à la persévérance ou à l’inverse, au décrochage scolaire (Archambault, Janosz, Fallu et Pagani, 2009; Janosz, Archambault, Morizot et Pagani, 2008; Wang et Eccles, 2013). Ces trajectoires traduisent l’hétérogénéité des facteurs de risque individuels, familiaux et scolaires en cause (Fortin, Royer, Potvin, Marcotte et Yergeau, 2004; Janosz et Le Blanc, 1997; Rosenthal, 1998). On sait par exemple que la pauvreté à l’enfance, et surtout la pauvreté persistante, représente un facteur de risque majeur de l’échec scolaire et du décrochage (Bushnik, Barr-Telford et Bussière, 2004; Ekstrom, Goertz, Pollack et Rock, 1986; Ensminger et Slusarcick, 1992; Janosz et al., 2013; Pagani, Tremblay, Vitaro, Boulerice et McDuff, 2001; Rumberger, 1995). On sait également que le décrochage est plus prévalent chez les garçons que chez les filles (Bushnik, 2003; OCDE, 2003). Par contre, certains facteurs dont l’adaptation en classe et à l’école, les relations avec les parents et les enseignants, l’inadaptation psychosociale ainsi que l’assiduité et la réussite scolaire sont également associés au décrochage.

La recherche démontre que l’adaptation scolaire des élèves est associée à leur persévérance ou à l’inverse, au décrochage. Ainsi, les élèves qui, au fil du temps, possèdent un faible sentiment d’appartenance à l’école et qui sont peu motivés dans les activités scolaires sont plus à risque d’abandonner l’école avant l’obtention d’un diplôme (Battin-Pearson et al., 2000; Fortin, Marcotte, Potvin, Royer et Joly, 2006; Henry, Knight et Thornberry, 2012; Janosz et Le Blanc, 1997; Roderick, 1994; Rumberger, 1995). De plus, les auteurs suggèrent que les jeunes qui décrochent sont moins engagés, tant au niveau comportemental, affectif et cognitif (Archambault et al., 2009). Ces jeunes sont également moins enclins à faire leurs devoirs et présentent un sentiment de compétence plus faible, associé à un manque de confiance en leurs propres capacités (Kronick et Hargis, 1998; Rumberger, Ghatak, Poulos, Ritter et Dornbusch, 1990).

L’influence des parents et des enseignants sur le décrochage scolaire des élèves a également fait l’objet de nombreux travaux. Les études suggèrent que les décrocheurs proviendraient plus souvent de familles reconstituées ou monoparentales (Goldschmidt et Wang, 1999; Teachman, Paasch et Carver, 1996) et que leurs parents seraient plus nombreux à ne pas détenir de diplôme d’études secondaires (Ensminger et Slusarcick, 1992; Janosz et Le Blanc, 1997; Kronick et Hargis, 1998). Leurs familles seraient aussi caractérisées par un manque de supervision parentale, des règles ambiguës, de faibles aspirations scolaires, mais aussi une plus faible disposition et une plus faible disponibilité à offrir un soutien scolaire (Ekstrom et al., 1986; Ensminger et Slusarcick, 1992; Janosz et al., 2013; Jimerson, Egeland, Sroufe et Carlson, 2000; Pagani, Boulerice, Vitaro et Tremblay, 1999; Potvin et al., 2004; Rumberger et al., 1990; Teachman et Paasch, 1998). Les relations qu’entretiennent les jeunes décrocheurs avec leurs enseignants sont également marquées par d’importantes difficultés : ceux-ci rapporteraient des relations moins harmonieuses, moins chaleureuses et plus conflictuelles avec leurs enseignants, c’est-à-dire empreintes d’échanges coercitifs et négatifs, que leurs pairs qui obtiennent leur diplôme d’études secondaire (Croninger et Lee, 2001; Fallu et Janosz, 2003; Suh, Suh et Houston, 2007).

L’adaptation psychosociale des élèves sous l’angle des problèmes de comportement intériorisés et extériorisés a également maintes fois été associée au décrochage scolaire des élèves (Fortin et al., 2004; Marcotte, Fortin, Royer, Potvin et Leclerc, 2001; Wehlage et Rutter, 1986). D’une part, la dépression, l’anxiété et l’isolement social sont parmi les problèmes intériorisés les plus couramment cités reliés à la problématique (Ensminger et Slusarcick, 1992; Gagné, Marcotte et Fortin, 2011; Janosz et al., 2013; Newbegin et Owens, 1996; Parker et Asher, 1987; Quiroga, Janosz, Bisset et Morin, 2013; Roeser, Eccles et Sameroff, 1998). D’autre part, l’hyperactivité et les problèmes de comportement en classe sont les plus fréquemment rapportés au niveau extériorisé (Baker et al., 2001; Clark, Prior et Kinsella, 2002; Fergusson et Horwood, 1998; Kent et al., 2011; Royer, Couture, Fortin, Potvin et Marcotte, 2000; Rumberger et al., 1990). Plusieurs auteurs suggèrent également que les jeunes décrocheurs s’affilieraient plus fréquemment à des pairs décrocheurs ou décrocheurs potentiels et seraient plus souvent isolés et rejetés (Hymel, Comfort, Schonert-Reichl et McDougall, 1996; Kronick et Hargis, 1998; Véronneau, Vitaro, Pedersen et Tremblay, 2008).

Enfin, les élèves qui, dès les premières années du primaire, vivent des échecs et éprouvent des difficultés au niveau scolaire sont plus susceptibles de quitter l’école sans diplôme (Garnier et al., 1997). De plus, la recherche indique que les élèves qui arrivent fréquemment en retard en classe et s’absentent souvent de leurs cours suivent une trajectoire de risque négativement associée à la persévérance scolaire (Archambault et al., 2009; De Witte et Csillag, 2012; Jimerson, Anderson et Whipple, 2002; Oakland, 1992; Rumberger et Larson, 1998)

En somme, les décrocheurs présentent des vulnérabilités importantes, tant au niveau de leur adaptation scolaire, des relations qu’ils entretiennent avec leurs parents et leurs enseignants, au niveau de leur adaptation psychosociale ou de leur assiduité en classe et de leur rendement. Si ces difficultés apparaissent parfois tôt dans le cheminement scolaire des élèves (Garnier et al., 1997), elles ne sont heureusement pas immuables : certains programmes de prévention du décrochage scolaire ont démontré une relative efficacité pour prévenir ou atténuer les trajectoires scolaires défavorables suivies par ces jeunes.

Les programmes ciblés de prévention du décrochage scolaire

Les programmes qui visent la prévention du décrochage scolaire sont nombreux et leurs cibles diverses. Universels ou ciblés, ils s’adressent à l’ensemble des élèves d’une école ou encore aux élèves à risque (Mac Iver, 2011). Ils visent généralement les adolescents et utilisent le mentorat, le tutorat, le développement de relations significatives ou la mise en place, par les enseignants de stratégies de gestion de classe efficaces afin de promouvoir l’amélioration de la performance scolaire, des comportements, des habiletés sociales et des stratégies de résolution de problème chez les élèves à risque (Mac Iver, 2011; Prevatt et Kelly, 2003; Tanner-Smith et Wilson, 2013). Ces programmes sont destinés à prévenir le décrochage, mais peuvent aussi cibler ses déterminants comme la motivation, l’engagement et la réussite scolaire, surtout lorsqu’ils s’adressent aux élèves plus jeunes (Christenson, Sinclair, Lehr et Godber, 2001; Christenson et Thurlow, 2004; Kortering et Christenson, 2009). Bien que certains programmes aient démontré une relative efficacité (Levin et al., 2007; Meyer, 1984; Temple et al., 2000), dans l’ensemble, la portée de ces programmes demeure mitigée pour diverses raisons parfois difficiles à établir (Prevatt et Kelly, 2003; Tanner-Smith et Wilson, 2013). À ce sujet, Nation et al. proposent un certain nombre de principes contribuant au potentiel d’efficacité des programmes de prévention, quelle que soit la problématique ciblée. Ainsi, les programmes sont plus susceptibles d’être efficaces s’ils sont multimodaux (i.e., ils comportent plusieurs volets impliquant les différents acteurs concernés), utilisent plusieurs modalités d’apprentissage, prévoient des sessions de formation destinées aux intervenants et sont initiés suffisamment tôt pour avoir un impact sur le développement du problème. Toujours selon Nation et al., ils doivent également être implantés avec un dosage suffisant, se baser sur des fondements théoriques solides, promouvoir le développement de relations positives, s’adapter aux contextes culturel et communautaire dans lesquels ils s’implantent, proposer des buts et des objectifs précis et avoir fait l’objet d’une évaluation rigoureuse. Si plusieurs programmes de prévention du décrochage scolaire ne respectent pas l’un ou plusieurs de ces principes (Prevatt et Kelly, 2003), ce n’est pas le cas du programme Check and Connect, un programme de prévention du décrochage scolaire développé sur la base de fondements théoriques rigoureux.

Le programme Check and Connect

Le programme Check and Connect cible les élèves du primaire et du secondaire à risque de décrocher sur la base de leur rendement et de leur engagement scolaires. Il vise à prévenir le décrochage scolaire ainsi qu’à favoriser l’engagement, l’adaptation scolaire et psychosociale, et la réussite. Développé à l’Université du Minnesota (États-Unis) par le Dr. Sandra Christenson et son équipe, ce programme se base sur quatre approches théoriques : la théorie de la résilience (Masten et Coatsworth, 1998; Masten, Herbers, Cutuli et Lafavor, 2008), la théorie de l’attachement (Ainsworth, 1989; Birch et Ladd, 1997; Hamre et Pianta, 2001; Klem et Connell, 2004; Tsai et Cheney, 2012), le modèle écosystémique (Bronfenbrenner, 1979) ainsi que les théories de la motivation intrinsèque (Eccles et al., 1993; NRC, 2004; pour les détails concernant les liens entre ces théories et le programme, voir Christenson et al., 2012).

Check and Connect comporte quatre composantes. La première est le mentor. Celui-ci joue le rôle de pivot entre l’élève et sa famille, ses enseignants, les professionnels de l’école, la direction, ainsi que les autres acteurs de la communauté ou de services externes (par exemple, les centres jeunesse, le CLSC, etc.) qui gravitent autour de l’élève. Chaque élève ciblé par le programme se voit attribuer un mentor qu’il rencontre sur une base régulière, soit une fois par semaine ou plus fréquemment au besoin. Le mandat principal de ce mentor est de développer une relation privilégiée et significative avec l’élève et d’insister quotidiennement auprès de ce dernier sur l’importance de l’éducation pour son avenir. Le mentor est directement responsable de la mise en oeuvre des trois autres composantes du programme, soit le monitorage, l’intervention individualisée et le partenariat avec les familles.

Le monitorage correspond à la composante check du programme. Il permet au mentor d’évaluer et de quantifier sur une base régulière l’engagement de l’élève en classe et à l’école. Ainsi, le mentor évalue à chaque semaine différents indicateurs qui traduisent l’engagement comportemental de l’élève, tel ses absences, ses retards, ses retraits, ses retenues, ses suspensions et ses expulsions. Il peut également consulter les enseignants de l’élève pour connaître son comportement en classe ou savoir s’il fait ses devoirs et s’il met des efforts dans ses apprentissages. Sur la base de ce monitorage, le mentor peut cibler les besoins de l’élève et orienter son intervention de base et son intervention intensive.

Ces interventions individualisées, de base et intensives, se rapportent à la composante connect du programme. Lors des rencontres hebdomadaires, le mentor réitère systématiquement l’importance de l’éducation et utilise les données de monitorage pour effectuer un suivi avec l’élève. Ensemble, ils sont ainsi en mesure de cibler les obstacles qui nuisent à l’engagement de l’élève et d’identifier des solutions : le mentor enseigne à l’élève les étapes de résolution de problème et l’aide à les appliquer pour surmonter ses difficultés. Quant aux interventions intensives, elles consistent en des mesures complémentaires visant à soutenir de manière plus active l’élève. Ce soutien peut prendre plusieurs formes : le mentor peut, par exemple, trouver des moyens pour soutenir l’élève au niveau de ses apprentissages (par exemple, l’aider à s’organiser dans ses devoirs), tout comme il peut le référer à des ressources à l’intérieur ou à l’extérieur de l’école dans le but de répondre à ses différents besoins (par exemple, aide aux devoirs, activités parascolaires, ressources communautaires, etc.). Il joue alors le rôle de pivot entre l’élève, les différents intervenants qui offrent ces services et les intervenants scolaires.

Dans le cadre de la dernière composante du programme, soit le partenariat avec les familles, le rôle du mentor est d’accroître et d’améliorer la communication entre l’école et les parents des élèves ciblés. Les contacts que le mentor établit avec les parents se veulent constructifs et basés sur les progrès de l’élève plutôt que sur ses difficultés. Ils peuvent prendre différentes formes allant de la note à l’agenda aux visites à domicile, et doivent avoir lieu minimalement sur une base mensuelle. À travers ces contacts, le mentor cherche à favoriser l’implication des parents dans le suivi scolaire de leur enfant, à objectiver les obstacles qui nuisent à cette implication et à les diriger vers des ressources externes d’aide aux parents et aux familles en cas de besoin.

Évaluations antérieures du programme

L’efficacité du programme Check and Connect a fait l’objet de diverses évaluations aux États-Unis. La première étude entreprise en ce sens a été réalisée auprès d’un échantillon de 94 élèves du secondaire (middle ou high school) présentant des difficultés comportementales, émotionnelles ou scolaires (Sinclair, Christenson, Elevo et Hurley, 1998). À partir d’un échantillon stratifié en fonction de l’origine, de l’âge, du sexe, du statut socioéconomique et du niveau de difficultés des adolescents, ceux-ci ont été répartis de manière aléatoire dans deux groupes (expérimental et contrôle) de manière à évaluer les effets du programme sur leur rendement, leur engagement et leur sentiment d’appartenance à l’école. Il existe certaines limites dans la stratégie d’analyse utilisée dans cette étude, notamment le fait que les effets ont été évalués à partir de tests-t et de tests de khi-carré qui ne tiennent pas compte du niveau de base au pré-test. Néanmoins, les résultats indiquent qu’après leur participation au programme Check and Connect, les élèves du groupe expérimental étaient significativement plus engagés, plus persévérants et plus nombreux à compléter leurs travaux scolaires que les élèves du groupe contrôle. Ces élèves avaient également accumulé plus de crédits et étaient plus susceptibles d’être en voie d’obtenir un diplôme que les élèves du groupe contrôle. Par contre, le sentiment d’appartenance des élèves est resté comparable dans les deux groupes.

Une étude expérimentale avec groupe contrôle équivalent a plus récemment été entreprise dans l’état du Texas auprès d’un échantillon de 260 élèves, majoritairement (89 %) des élèves de 6e à 9e année d’origine hispanique (Maynard, Kjellstrand et Thompson, 2013). Les résultats de cette étude indiquent que le programme Check and Connect a permis d’améliorer significativement le rendement des élèves et de diminuer leurs sanctions disciplinaires. Par contre, l’ampleur des effets observés demeure modeste et aucun effet de l’intervention n’a été observé quant à l’absentéisme.

Enfin, une étude a été entreprise par Lehr, Sinclair et Christenson (2004) auprès d’un échantillon de 147 élèves du primaire suivis sur une période d’au moins deux ans, période au cours de laquelle la moitié des élèves de l’échantillon ont fait la transition vers l’école secondaire (middle ou high school). L’objectif de cette étude était de documenter les effets du programme sur les retards, l’absentéisme et l’engagement des élèves. Bien que plusieurs limites méthodologiques restreignent la portée de ces résultats (notamment l’utilisation d’un devis préexpérimental avant-après avec groupe unique), les auteurs rapportent une diminution des retards en classe et de l’absentéisme entre le début et la fin de l’intervention. De plus, ils notent une augmentation de l’engagement des élèves tel que perçu par les intervenants scolaires.

Objectifs de l’étude

La présente étude cherche à évaluer l’efficacité de l’adaptation québécoise du programme d’intervention Check and Connect tel qu’implanté sur deux ans, au primaire, en contexte naturel, c’est-à-dire par les intervenants disponibles dans les écoles participantes, avec un minimum de soutien et d’encadrement de l’équipe de recherche (soit deux jours de formation initiale et trois rencontres par an pour échanger sur le déroulement de l’expérience). Sur la base des facteurs de risque précoces du décrochage scolaire relevés dans la littérature, l’évaluation des effets de l’intervention s’articule autour de quatre dimensions : 1) l’adaptation scolaire, 2) les relations avec les parents et les enseignants, 3) l’inadaptation psychosociale et 4) l’assiduité et la réussite scolaire. La qualité d’implantation du programme a également été évaluée, mais cette évaluation fera l’objet d’une publication distincte.

Méthode

Sélection des participants

L’évaluation de l’adaptation québécoise du programme Check and Connect a été réalisée dans deux commissions scolaires (commissions scolaires A et B) situées dans la grande région de Montréal. Ces deux commissions scolaires (CS) se sont jointes au projet à un an d’intervalle soit respectivement en 2010 et 2011. Dans le premier volet ciblant les élèves du primaire, vingt écoles ont pris part au projet sur une base volontaire (CS A = 14 écoles; CS B = 6 écoles). Selon les indicateurs du MELS, l’indice de milieu socioéconomique[2] moyen de ces écoles était de 6,9 (variation entre 1 et 10) dans la CS A et de 6,4 (variation entre 4 et 8) dans la CS B. Quant à l’indice de faible revenu moyen, il était de 3,3 (variation entre 0,14 et 33,27) dans la CS A et de 5,4 (variation entre 8,9 et 15,8) dans la CS B. Quelques semaines après le début de l’année scolaire, les enseignants de chacune de ces écoles ont été invités à remplir un questionnaire de dépistage évaluant le rendement en français et en mathématiques ainsi que l’engagement en classe de chacun de leurs élèves. Le rendement était évalué à partir de deux items notés sur une échelle à cinq points (« nettement sous la moyenne » à « nettement au-dessus de la moyenne ») alors que l’engagement a été évalué à partir de cinq items (p. ex. « Cet enfant met beaucoup d’effort au travail ») notés sur une échelle à trois points (« jamais » à « souvent ») (Pagani, Fitzpatrick, Archambault et Janosz, 2010). Ces items ont été compilés de sorte que les élèves sous la moyenne dans au moins une matière scolaire ainsi que les élèves désengagés sur au moins trois des cinq items d’engagement en classe étaient identifiés à risque. Trois profils d’élèves à risque ont ainsi été créés : les élèves à risque au niveau du rendement, ceux à risque au niveau de l’engagement et ceux à risque sur les deux dimensions.

Au total, 294 élèves à risque ont été identifiés et répartis aléatoirement dans les groupes expérimental et contrôle. Considérant les ressources disponibles au sein des écoles, il n’était pas possible d’offrir le programme Check and Connect à tous les élèves du groupe expérimental. Un échantillon d’élèves plus restreint a donc été constitué. Ces élèves ont été appariés aux élèves du groupe contrôle selon une procédure d’échantillonnage stratifié (en fonction du profil de risque, du sexe et du niveau scolaire) de manière à optimiser l’équivalence des groupes.

Au final, l’échantillon est composé de 216 élèves, soit 107 élèves dans le groupe expérimental et 109 dans le groupe contrôle. Ces élèves sont majoritairement des garçons (69 %) du deuxième cycle du primaire (60 %). Dans chacune des commissions scolaires, ils étaient âgés entre 8 et 12 ans lors de la première année d’implantation. Les élèves du groupe expérimental ont participé au programme Check and Connect sur une période minimale de deux ans. Ils étaient accompagnés par 15 mentors qu’ils ont conservés pour une période de deux ans. Tout comme dans le programme développé aux États-Unis, ces mentors étaient essentiellement des techniciens en éducation spécialisée ou en travail social, mais également des psychoéducateurs et des psychologues. Afin d’assurer une certaine continuité et concertation dans l’action posée par les différents mentors, ceux-ci étaient soutenus et supervisés une à quatre fois par mois par des personnes-ressources responsables au sein de chacune des commissions scolaires ainsi que par des personnes ressources membre de l’équipe d’évaluation. Ces mentors ont également tous pris part à une formation de deux jours qui s’est déroulée avant le début du programme. Cette formation visait à les initier aux fondements du programme qu’ils devaient appliquer.

Procédure

Le consentement parental a été obtenu pour tous les élèves des groupes expérimental et contrôle pour leur participation au programme (groupe expérimental) ainsi que pour leur participation à l’évaluation (les deux groupes). Des données ont ensuite été recueillies auprès de tous ces élèves quelques semaines avant le début de l’intervention (T1 : automne de la première année d’implantation) ainsi qu’à la fin du programme (T2 : printemps de la deuxième année d’implantation). Les élèves étaient invités à répondre à un questionnaire en ligne portant sur différentes sphères de leur vie à l’école et de leur adaptation psychosociale. La passation de ces questionnaires s’est déroulée sous la supervision des mentors (groupe expérimental) ou d’auxiliaires de recherche formés (groupe contrôle). Soulignons que les élèves du groupe contrôle, tout en étant exclus du programme, continuaient à bénéficier de tous les services professionnels usuels et du soutien qui était normalement disponible à leur école, tout comme les élèves du groupe expérimental.

Mesures

Adaptation scolaire

Sentiment de compétence. La perception de compétences en mathématiques et en français est mesurée au moyen d’une échelle préalablement validée (Archambault, 2013) composée de quatre items (par exemple, « Je trouve que je suis bon(ne) pour lire et écrire »; alpha = 0,61). Les élèves sont invités à répondre à ces items sur une échelle de type Likert à cinq points (allant de « 1- presque jamais » à « 5- presque toujours »).

Engagement. L’engagement des élèves est mesuré à travers quatre dimensions validées tirées de l’Échelle des dimensions de l’engagement scolaire (EDES, Archambault et Vandenbossche-Makombo, 2013). La dimension comportementale est composée de sept items (par exemple, « Je suis toujours les instructions de mon enseignante durant les activités de mathématiques »; alpha = 0,76) alors que la dimension cognitive comporte six items (par exemple, « Lorsque je ne comprends pas un mot, je regarde dans le dictionnaire »; alpha = 0,77). Les échelles d’engagement affectif en français (alpha = 0,75) et en mathématiques (alpha = 0,76) comportent toutes deux trois items (par exemple, « J’aime les mathématiques »). Pour chacune de ces dimensions, les élèves devaient répondre sur une échelle de type Likert à cinq points (allant de « 1- très peu » à « 5- beaucoup »).

Buts d’apprentissage. Les buts d’apprentissage ont été évalués à partir de deux dimensions validées tirées du Patterns of Adaptive Learning Scale (Midgley et al., 2000), soit l’échelle des buts de maîtrise, composée de trois items (par exemple, « Il est important pour moi de bien comprendre ce que l’on fait en classe »; alpha = 0,76) et l’échelle des buts de performance, également composée de trois items (par exemple, « Il est important pour moi d’avoir l’air intelligent comparé aux autres élèves de ma classe »; alpha = 0,86). Les élèves devaient répondre à ces six items à partir d’une échelle de type Likert à cinq points (allant de « 1- pas vrai du tout » à « 5- très vrai »).

Sentiment d’appartenance. L’échelle de sentiment d’appartenance comporte quatre items validés (par exemple, « Je suis fier(e) de mon école »; alpha = 0,61) issus du Questionnaire de l’environnement socioéducatif (QES) qui a été validé auprès d’un échantillon représentatif d’élèves québécois du secteur public (Janosz, Bouthillier, Bowen, Chouinard et Desbiens, 2007). Les élèves devaient répondre aux items sur une échelle de type Likert à quatre points (allant de « 1- tout à fait en désaccord » à « 4- tout à fait d’accord »).

Relations avec les parents et les enseignants

Soutien scolaire parental. L’échelle de soutien scolaire des parents est composée de quatre items validés dans le cadre de l’évaluation de la Stratégie d’intervention Agir autrement (Janosz et al., 2010; exemple d’item : « Mon père ou ma mère m’aide à faire mes devoirs quand je le demande »; alpha = 0,68). Les élèves devaient répondre à ces items à partir d’une échelle de type Likert à quatre points (allant de « 0- jamais », à « 3- très souvent »).

Relations maître-élève. Les échelles relation chaleureuse (par exemple, « Je partage des relations chaleureuses et amicales avec mon enseignante »; alpha = 0,77) et relation conflictuelle avec l’enseignant (par exemple, « Je suis souvent en conflit avec mon enseignante »; alpha = 0,77) sont composées de quatre items chacune. Ces échelles proviennent d’une adaptation validée du Student-Teacher Relationship Scale (STRS; Pianta, 2001). Les élèves étaient invités à y répondre à partir d’une échelle de réponse de type Likert à cinq points (allant de « 1- pas du tout » à « 5- beaucoup »).

Inadaptation psychosociale

Anxiété. L’échelle d’anxiété est tirée du Questionnaire du comportement social qui a été validé (SBQ; Tremblay et al., 1991). Cette dimension est composée de quatre items (par exemple, « Tu es très inquiet(ète); alpha = 0,71) auxquels les élèves devaient répondre sur une échelle de type Likert à trois points (allant de « 1- jamais ou pas vrai », à « 3- souvent ou très vrai »).

Problèmes émotionnels. L’échelle de problèmes émotionnels qui évalue le sentiment de tristesse et l’humeur dépressive des enfants comporte trois items (par exemple, « Dans le dernier mois, tu n’es pas aussi heureux(se) que les autres jeunes de ton âge »; alpha = 0,68) provenant de l’Échelle de troubles comportementaux qui a été préalablement validée (Strengths and Difficulties Questionnaire, SDQ; Goodman, 1997). Les élèves étaient invités à répondre à ces items adaptés et validés en français (Goodman, 1997) à partir d’une échelle de type Likert à trois points (allant de « 1- jamais » à « 3- souvent »).

Isolement social. L’échelle d’isolement social (Janosz et al., 2010) est composée de cinq items validés (par exemple, « Je n’ai personne avec qui jouer ou avec qui me tenir à l’école »; alpha = 0,89). L’échelle de réponse comportait quatre points (allant de « 1- pas très vrai » à « 4- très vrai »).

Inattention. L’inattention est mesurée à partir de trois énoncés (par exemple, « Dans le dernier mois, tu peux pas te concentrer ou maintenir ton attention »; alpha = 0,68) tirés de l’Échelle de troubles comportementaux (Strengths and Difficulties Questionnaire, SDQ; Goodman, 1997), adaptés et validés en français (Goodman, 1997). Les élèves devaient répondre à ces énoncés à partir d’une échelle de type Likert à trois points (allant de « 1- jamais » à « 3- souvent »).

Indiscipline. L’indiscipline scolaire est mesurée à l’aide de sept items validés (par exemple, « Ton enseignante t’a-t-elle déjà demandé de sortir de la classe à cause de ton mauvais comportement? »; alpha = 0,56) tirés du Manuel sur les mesures de l’adaptation sociale et personnelle pour les adolescents québécois (MASPAQ; Le Blanc, 1998). L’échelle de réponse comportait quatre points (allant de « 1- jamais » à « 3- très souvent »).

Assiduité et réussite scolaire

Rendement. Les notes en français et en mathématiques ont été obtenues du registre des données officielles des commissions scolaires. Dans chacun des cas, les notes correspondaient à la note moyenne de l’élève au bulletin à la fin du premier et du dernier trimestre de chaque année scolaire. Ces notes étaient comptabilisées sur 100.

Retards et absences. Le nombre de retards et d’absences sont issus des données recueillies dans le système informatique des écoles à chaque semaine. Aux fins d’analyse, ces données ont été regroupées de façon à créer deux temps de mesure (premier trimestre et dernier trimestre de chacune des deux années du projet).

Variables indépendante et de contrôle

Statut de participation à l’intervention. La variable indépendante statut des élèves a été traitée de manière dichotomique dans les analyses. Les élèves ayant participé à l’intervention ont été codés « 1 », alors que ceux du groupe contrôle ont été codés « 0 ».

Appartenance à une commission scolaire. L’appartenance des élèves à l’une ou l’autre des commissions scolaires a été traitée de manière dichotomique comme variable de contrôle. Les élèves de la CS A étaient codés « 1 » et ceux de la CS B étaient codés « 2 ».

Stratégie analytique

Deux séries d’analyses ont été réalisées pour évaluer les effets du programme : la première pour rendre comparables les groupes d’élèves (expérimental et contrôle) au T1 et la seconde, pour mesurer les effets du programme. Dans un premier temps, une analyse préliminaire, l’Inverse Probability of Treatment Weighting (IPTW) (Abadie et Imbens, 2006; Caliendo et Kopeinig, 2008; Dehejia, 2005; Dehejia et Wahba, 2002; Imbens, 2004; Smith et Todd, 2001) a été menée afin d’identifier la présence ou non d’un biais de sélection[3] entre le groupe expérimental et le groupe contrôle malgré la nature expérimentale du devis d’évaluation. L’ITPW est une méthode reposant directement sur le score de propension (propensity score), qui désigne la probabilité d’être exposé à un traitement, selon un ensemble de caractéristiques observables (Rosenbaum et Rubin, 1983). Cette méthode qui permet de maximiser l’attribution des changements observés à l’intervention et non à des différences individuelles initiales est largement utilisée dans les recherches quasi-expérimentales en économie (Lechner, 2002) ou en épidémiologie et se révèle particulièrement prometteuse pour la recherche en éducation (Rubin, Stuart, et Zanutto, 2004). Sur le plan statistique, le score de propension estime, pour chaque individu, la probabilité conditionnelle de recevoir l’intervention étant donné ses caractéristiques initiales (pour une description détaillée des étapes, voir Lecocq, Ammi, et Bellarbre, 2014). L’estimation du score de propension a été effectuée sur Stata 12 avec la commande pscore de Becker et Ichino (2002). Avec l’IPTW, chaque individu reçoit une pondération inverse à sa probabilité d’avoir reçu l’intervention, probabilité ici estimée par le score de propension. La pondération inverse réduit le poids de ceux qui avaient de fortes chances de recevoir l’intervention d’après leurs caractéristiques observables, et augmente le poids de ceux qui avaient peu de chance de recevoir l’intervention selon ces mêmes caractéristiques. Par cette pondération, les groupes expérimental et contrôle sont rendus comparables.

Dans un deuxième temps, les effets du programme sur 1) l’adaptation scolaire, 2) les relations avec les parents et les enseignants, 3) l’inadaptation psychosociale et 4) l’assiduité et la réussite scolaire des élèves ont été estimés à l’aide d’analyses de covariance univariées (ANCOVAs) à mesures répétées. Cette analyse permet de modéliser le changement de la pente entre le niveau initial et le niveau final, soit dans le cas présent entre le début et la fin du programme. Plus spécifiquement, les analyses ont été effectuées avec SPSS 20. Chaque ANCOVA inclut l’effet principal du statut de participation à l’intervention (groupe contrôle = 0; groupe expérimental = 1) et l’effet principal de la variable d’intérêt (VD T1 et T2) en contrôlant pour la commission scolaire d’appartenance. Les analyses incluent également l’interaction entre le statut et la variable d’intérêt (statut*VD). Considérant la petite taille d’échantillon, les effets marginalement significatifs (entre 0,05 et 0,10) ont été considérés dans l’interprétation des résultats. L’ampleur des effets a également été calculée à partir du d de Cohen sur la base des données observées. Enfin, afin d’ajuster pour l’erreur de type I associée aux multiples tests effectués, nous avons ajusté le seuil de signification de chacun des effets significatifs ou marginaux sur la base de la règle de Bonferroni. Pour ce faire, nous avons considéré toutes les variables significatives d’un même bloc (par exemple, le bloc adaptation scolaire) et les avons corrélées avec les autres variables du même bloc. Dans les rares cas où les corrélations étaient supérieures à 0,35 (entre 0 et 2 variables par bloc), nous avons ajusté la valeur du p en la divisant par le nombre de variables corrélées dans le bloc. Globalement, cette étape nous a permis d’obtenir un seuil de signification plus conservateur contrôlant pour l’erreur de type I.

Résultats

Analyses préliminaires

Les résultats de l’IPTW indiquent que les élèves des groupes contrôle et expérimental diffèrent sur certaines caractéristiques initiales (T1). Des tests préliminaires comparant les moyennes des deux groupes indiquent des différences significatives en ce qui concerne l’engagement comportemental (t = -2,7; p = 0,06), le sentiment d’appartenance à l’école (t = -4,0; p = 0,001), l’isolement social (t = 1,8; p = 0,07), les buts de maitrise (t = -3,08; p = 0,002), le sentiment de compétence (t = -2,2; p = 0,03) et les relations conflictuelles avec les enseignants (t = 2,3; p = 0,02). Ces différences sont toutes en défaveur du groupe expérimental. Ainsi, afin de contrôler pour ces biais lors de l’estimation des effets du programme d’intervention, nous avons utilisé le score de propension.

Pour l’estimation du score de propension, nous avons introduit dans le modèle les variables relatives au temps de mesure initial ainsi que certaines variables démographiques (genre et âge) et scolaire (retard). Le score de propension a été estimé par régression logistique et la vérification de la qualité du score de propension s’est faite sur la base d’une stratification en cinq blocs. L’aire du support commun est assez large (0,09; 0,99). Au-delà et en deçà de cette limite, il n’y a pas de contrefactuel, c’est pourquoi nous avons limité les analyses au support commun. Les vérifications confirment qu’après pondération par IPTW, il n’y a plus aucune différence significative entre les élèves des deux groupes à la période initiale (T1).

Analyses principales

Adaptation scolaire. Le tableau 1 présente les résultats des ANCOVAs à mesures répétées visant à évaluer l’effet du programme sur l’adaptation scolaire des élèves. Ces résultats n’indiquent aucune différence entre les groupes expérimental et contrôle au niveau du sentiment de compétence, de l’engagement cognitif et de l’engagement affectif en français et en mathématiques. Par contre, ils indiquent une augmentation plus importante de l’engagement comportemental entre le T1 et le T2 dans le groupe expérimental que dans le groupe contrôle. Par contre, lorsque l’on applique la règle de Bonferroni visant à contrôler pour l’erreur de type I, cette différence entre les groupes qui était marginale au départ disparaît, ce qui signifie que l’intervention n’a pas eu d’effet sur cette dimension de l’engagement.

Au niveau des buts d’apprentissage, il n’existe aucune différence entre les groupes au niveau des buts de performance (voir tableau 1). Par contre, en ce qui concerne les buts de maîtrise, on observe une augmentation modérée de l’utilisation de tels buts chez les élèves du groupe expérimental et une diminution de leur utilisation chez les élèves du groupe contrôle. L’ampleur de ces différences entre les deux groupes est moyenne (d = 0,43) et demeure significative en appliquant la règle de Bonferroni. Le sentiment d’appartenance, pour sa part, subit une légère augmentation au sein du groupe expérimental entre le T1 et le T2, alors qu’il reste stable chez les élèves du groupe contrôle. L’ampleur des différences entre les groupes demeurent toutefois faible (d = 0,24) et marginalement significative mais ce, même en appliquant la règle de Bonferroni.

Tableau 1

Écarts entre le groupe contrôle et le groupe expérimental au niveau de l’adaptation scolaire et des relations avec les parents et les enseignants

Écarts entre le groupe contrôle et le groupe expérimental au niveau de l’adaptation scolaire et des relations avec les parents et les enseignants

mp < 0,10, * p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001

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Relations avec les parents et les enseignants. Concernant le soutien scolaire parental, le tableau 1 indique qu’il existe une différence, bien que faible et marginale, entre les élèves des groupes contrôle et expérimental (d = 0,22). Ainsi, alors que le soutien scolaire des parents augmente entre les T1 et T2 chez les élèves du groupe expérimental, ce soutien diminue chez les élèves du groupe contrôle et cet effet persiste en appliquant la règle de Bonferroni. Par contre, on ne note aucun effet de l’intervention sur les conflits ou la chaleur au sein des relations maître-élèves.

Inadaptation psychosociale. La première partie du tableau 2 présente les effets de l’intervention sur l’inadaptation psychosociale des élèves. Au niveau de l’anxiété et de l’indiscipline scolaire, nos résultats n’indiquent aucune différence entre les groupes. Par contre, les groupes contrôle et expérimental se distinguent en ce qui concerne les problèmes émotionnels : les élèves du groupe expérimental rapportent une diminution modérée de leurs problèmes émotionnels entre le T1 et le T2, alors qu’on observe aucun changement au niveau du groupe contrôle. L’ampleur de ces différences entre les groupes est moyenne (d = -0,43). Les résultats indiquent également que l’isolement diminue de manière significative et modérée chez les élèves du groupe expérimental, alors qu’il augmente chez les élèves du groupe contrôle (d = -0,46). Enfin, l’inattention des élèves des deux groupes diminue dans le temps, mais de manière significativement plus importante dans le groupe expérimental (d = -0,25). Cet effet, comme les autres effets observés dans ce bloc de variables, demeure significatif à la suite de l’application de la règle de Bonferroni.

Assiduité et réussite scolaire. Les résultats concernant la réussite scolaire sont présentés dans la seconde partie du tableau 2. Ceux-ci indiquent que le rendement en français entre le T1 et le T2 augmente faiblement, et que cette augmentation est significative dans le groupe contrôle alors qu’il demeure stable dans le groupe expérimental (d = -0,33). À l’inverse, au niveau du rendement en mathématiques, on assiste à une détérioration de faible à modérée, plus importante chez les élèves du groupe expérimental que chez les élèves du groupe contrôle (d = -0,38). Dans les deux cas, ces effets demeurent à la suite de l’application de la règle de Bonferroni. Enfin, alors que le tableau 2 n’indique aucune différence entre les groupes au niveau des absences, les résultats suggèrent une augmentation plus importante des retards chez les élèves du groupe expérimental, alors qu’ils sont stables chez les élèves du groupe contrôle. L’ampleur de ces différences entre les groupes est toutefois faible (d = 0,27), mais demeure significative après l’application de la règle de Bonferroni.

Tableau 2

Écarts entre le groupe contrôle et le groupe expérimental au niveau de l’inadaptation psychosociale, l’assiduité et le rendement suite à l’intervention

Écarts entre le groupe contrôle et le groupe expérimental au niveau de l’inadaptation psychosociale, l’assiduité et le rendement suite à l’intervention

mp < 0,10, * p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001

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Discussion

Les programmes de prévention visant à prévenir le décrochage scolaire sont nombreux. Par contre, rares sont ceux qui, à la fois, respectent les principes à la base de la création de programmes de prévention efficace (Nation et al., 2003), ciblent les élèves du primaire et ont été validés dans des conditions réelles d’implantation. En réponse à ces limites, l’objectif de la présente étude était de valider en contexte québécois l’efficacité du programme d’intervention Check and Connect, un programme reconnu qui vise à favoriser l’engagement et prévenir le décrochage scolaire chez les élèves à risque du primaire. Globalement, les résultats de cette validation indiquent que lorsqu’implanté en contexte naturel, le programme Check and Connect a des effets notables sur plus du tiers des dimensions de l’adaptation scolaire et psychosociale des élèves évaluées. Par contre, les effets au niveau du rendement sont plus étonnants et mériteront d’être réinterprétés à la lumière de l’implantation du programme.

Effets de l’intervention sur l’adaptation scolaire et sur les relations

Les résultats de l’étude indiquent d’abord que la participation au programme Check and Connect a significativement contribué à améliorer certaines dimensions de l’adaptation scolaire des élèves. En effet, après deux ans d’implantation, les élèves ayant participé à l’intervention rapportent un meilleur sentiment d’appartenance à l’école ainsi qu’une plus forte orientation vers des buts de maîtrise. Cela signifie que les élèves qui ont participé à l’intervention éprouvent plus de plaisir à l’école et cherchent davantage à apprendre par intérêt et dans le but de développer leurs compétences. Bien qu’aucune étude n’ait évalué les effets du programme Check and Connect sur l’ensemble de ces dimensions au primaire, ces premiers résultats ne sont pas triviaux, d’abord parce que le sentiment d’appartenance est l’une des cibles principales du programme Check and Connect, mais également parce que ce lien que développe les élèves avec l’école tout comme les buts qu’ils adoptent en classe sont d’importants prédicteurs de leur réussite ou, à l’inverse, du décrochage scolaire (Janosz et al., 2000). Cela suggère que s’ils perdurent à long terme, ces effets qui sont en partie liés à ceux rapportés par Lehr et ses collègues (2004) pourraient contribuer à prévenir l’abandon scolaire chez les élèves ciblés.

La participation au programme Check and Connect a également contribué à améliorer la perception des élèves du soutien scolaire qu’ils reçoivent de leurs parents. En ce sens, les élèves qui ont participé à l’intervention se sentent mieux soutenus et encouragés par leurs parents. Cet effet, bien que modeste, était attendu dans la mesure où l’une des composantes principale de l’intervention, le partenariat avec les familles, visait justement à accroître et à améliorer la communication école-famille et le soutien des parents. Le fait qu’une intervention implantée dans un contexte naturel et non contrôlé puisse avoir des effets sur cet aspect nous apparaît donc des plus intéressants dans la mesure où les parents des élèves ciblés par ce type d’intervention sont généralement difficiles à rejoindre et parfois moins bien outillés pour soutenir leurs enfants à l’école. Il s’agit donc d’un premier pas, certes modeste, mais bien concret dans l’implication de ces parents à l’école.

Les résultats indiquent par ailleurs que l’intervention n’a pas eu d’effet sur plusieurs des dimensions de l’adaptation scolaire des élèves, soit sur leur sentiment de compétence, leur engagement (comportemental, affectif et cognitif) et sur les relations conflictuelles qu’ils entretiennent avec leur enseignant. Pour l’engagement affectif et le sentiment de compétence, cette absence d’effet peut être expliquée par la nature plutôt stable de ces dimensions dans le temps (Ladd, Kochenderfer et Coleman, 1997; Wigfield et al., 1997). Par contre, du point de vue de l’engagement comportemental et cognitif ainsi qu’au niveau des relations conflictuelles, les résultats apparaissent plus surprenants. Puisque les mentors sont appelés à favoriser l’engagement des élèves et à leur enseigner les étapes de la résolution de problème afin de gérer leurs difficultés quotidiennes, il était attendu que les élèves qui ont participé à l’intervention pendant deux ans puissent utiliser ces stratégies afin de s’engager et de mieux s’autoréguler lors de situations d’apprentissage. Or, cela n’a pas été le cas. Pour observer des effets au niveau de l’engagement comportemental et cognitif, il aurait peut-être été nécessaire que les mentors accompagnent les élèves dans l’application des étapes de résolution de problème lors de situations plus concrètement liées aux apprentissages dans la classe ou qu’ils travaillent de manière plus étroite avec les enseignants afin d’améliorer les comportements des élèves en classe. Toutefois, seule une analyse plus approfondie de l’implantation du programme permettra de répondre à cette question.

Enfin, au niveau des relations conflictuelles, l’absence d’écart entre les groupes à la suite de l’intervention peut sans doute s’expliquer par la mobilisation que suscitent les élèves avec qui les enseignants partagent des relations difficiles et ce, même si ces relations négatives ne sont pas liées à des difficultés d’apprentissages. Gérer des conflits au quotidien avec des élèves nécessite beaucoup de temps et d’énergie (Pianta, 1999), ce qui pourrait avoir incité les enseignants à identifier rapidement les élèves avec qui les échanges sont plus difficiles et à mettre rapidement en place des solutions auprès de ces élèves, qu’ils aient participé ou non à l’intervention.

Effets de l’intervention sur l’adaptation psychosociale

Les effets les plus importants du programme Check and Connect au primaire se situent au niveau de l’adaptation psychosociale des élèves. En effet, contrairement au groupe de contrôle, les élèves qui ont participé à l’intervention rapportent moins de problèmes émotifs, moins d’isolement social et moins de difficultés à se concentrer et à maintenir leur attention. Puisqu’aucune étude n’a à ce jour évalué les effets du programme sur de telles dimensions, ces résultats plutôt inattendus apparaissent des plus intéressants. Notamment parce qu’il s’agit de déterminants importants du décrochage scolaire (Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 2000), mais également parce que ces difficultés sont beaucoup moins susceptibles de retenir l’attention des intervenants des milieux scolaires que d’autres difficultés de nature plus extériorisées. Contrairement à l’indiscipline scolaire, une dimension pour laquelle l’intervention ne semble pas avoir eu d’effets, l’inattention, les inquiétudes, les sentiments dépressifs et de solitude des élèves sont des aspects plus difficiles à cerner et moins dérangeants pour les enseignants. Dans un contexte où les besoins sont criants et les ressources limitées, ces difficultés sont sans doute moins priorisées parmi les interventions quotidiennes réalisées dans les écoles.

Effets de l’intervention sur l’assiduité et la réussite scolaire

Contrairement aux résultats de l’étude de Lehr et de ses collègues auprès d’élèves du primaire (2004), nos données indiquent que la participation au programme Check and Connect ne semble pas avoir eu d’effet au niveau des absences des élèves. Il s’agit d’un résultat assez surprenant compte tenu de l’importance accordée au suivi des élèves dans le cadre de la composante check du programme. Par contre, le fait qu’au départ, tant les élèves du groupe contrôle que ceux du groupe expérimental s’absentaient très peu de l’école sans motif valable pourrait probablement expliquer ce résultat.

Enfin, notre analyse démontre que deux ans après le début de l’intervention, les élèves qui ont participé au programme Check and Connect arrivent plus fréquemment en retard en classe et présentent des résultats scolaires plus faibles que leurs pairs du groupe contrôle. Ces résultats à l’opposé de ceux obtenus dans les études antérieures (Maynard et al., 2013; Sinclair et al., 1998) sont préoccupants. Cependant, certaines hypothèses explicatives peuvent être soulevées. Du point de vue des retards scolaires, nos résultats pourraient potentiellement être expliqués par des facteurs externes qui ne sont pas liés à l’intervention, mais qui sont plutôt liés aux caractéristiques des familles. Contrairement aux élèves du secondaire, les élèves du primaire sont moins autonomes pour se rendre à l’école le matin. Il est donc possible que leurs retards soient davantage le reflet du manque d’organisation qui prévaut dans certaines familles d’élèves plutôt qu’une conséquence directe de l’intervention. Comme nous n’avons pas contrôlé pour l’organisation de la famille dans les analyses, il est possible que les élèves des deux groupes aient été, dès le départ, non équivalents sur cet aspect et que l’écart en défaveur du groupe expérimental ce soit accru au fil du temps.

Au niveau du rendement, il est également difficile d’établir les causes exactes des effets nuls ou négatifs observés. Toutefois, nos résultats s’apparentent à ceux obtenus dans le cadre de l’évaluation de la Stratégie d’intervention Agir autrement (SIAA) au secondaire qui a démontré une légère détérioration du rendement en langue et en mathématiques dans les écoles où le degré d’implantation de la stratégie était plus élevé (Janosz et al., 2010). Dans le cas présent, il est plausible que les effets observés soient également une résultante de l’implantation du programme comme certaines analyses préliminaires de la mise en oeuvre du programme le laissent entendre. En effet, au primaire, les mentors étaient des techniciens en travail social ou en éducation spécialisée, des psychoéducateurs ou des psychologues. Même si, dans le cadre de la composante connect de l’intervention, les mentors devaient soutenir de manière active les élèves dans leurs apprentissages, notamment en les référant à des ressources à l’intérieur ou à l’extérieur de l’école, il est possible que les intervenants se soient surtout attardés aux difficultés comportementales, motivationnelles et psychosociales des élèves, des champs qui relèvent davantage de leurs compétences. De même, d’autres observations laissent croire que les élèves suivis dans le cadre du programme Check and Connect aient été moins promptement ciblés pour recevoir des mesures de soutien pédagogique offertes par l’école, les intervenants scolaires ayant pu prendre pour acquis que ces élèves recevaient déjà les mesures de soutien nécessaires dans le cadre de leur participation au programme. En somme, bien que ces résultats semblent plutôt inquiétants, seule une analyse sérieuse de l’implantation du programme nous permettra d’en établir les causes. Cette analyse d’implantation est présentement en cours et jettera certainement un nouvel éclairage sur ces résultats.

Forces et limites

La présente étude comporte plusieurs forces. D’abord, il s’agit de l’une des rares études de validation des effets du programme Check and Connect auprès d’élèves du primaire, et la seule ayant eu recours à un devis expérimental randomisé implanté dans un contexte naturel. Le fait que l’intervention ait été implantée sur une période de deux ans permet également de cerner les effets à moyen terme que peut avoir ce type d’accompagnement auprès d’élèves à risque. Enfin, contrairement aux projets de validation antérieurs, le fait d’étudier l’impact du programme sur plusieurs indicateurs tels le rendement, l’adaptation scolaire, les relations avec les parents et les enseignants et l’inadaptation psychosociale a permis d’avoir un portrait plus juste et exhaustif des retombées possibles du programme.

Par ailleurs, l’étude actuelle comporte également des limites. D’abord, le fait que les analyses d’implantation du programme ne soient pas encore complétées limite notre compréhension de certains résultats inattendus. Cette analyse d’implantation permettra non seulement de mieux comprendre ces résultats, mais également d’évaluer les caractéristiques des mentors qui peuvent influencer les effets du programme ainsi que les conditions qui permettent sa mise en oeuvre optimale. Enfin, les différentes dimensions utilisées pour mesurer l’adaptation scolaire et psychosociale étant sans doute fortement liées, des analyses plus poussées telles des courbes de croissances latentes mixtes, qui permettraient de considérer plus d’une dimension simultanément, auraient peut-être permis d’obtenir un portrait de résultats différent.

Conclusion

Les résultats de cette étude démontrent que lorsqu’implanté en contexte naturel par les intervenants en place dans le milieu scolaire, le programme Check and Connect peut avoir certains effets bénéfiques sur l’adaptation scolaire et psychosociale des élèves du primaire à risque ainsi que sur le soutien que ces élèves reçoivent de leurs parents. Les effets positifs observés au niveau de l’anxiété, de l’isolement social et du soutien scolaire des parents sont particulièrement porteurs, dans la mesure où ces problématiques sont largement moins ciblées par les intervenants des milieux scolaires. Au Québec, les programmes de prévention précoce de l’abandon scolaire étant rares, ces résultats démontrent la pertinence d’implanter à plus large échelle le programme Check and Connect auprès d’élèves du primaire à risque. Par contre, il va sans dire qu’avant de ce faire, il importe de mieux comprendre les effets mitigés obtenus au niveau du retard et du rendement scolaire des élèves. Si nos hypothèses s’avèrent exactes, des efforts devront être investis à deux niveaux. D’abord pour sensibiliser les écoles à l’importance de maintenir les services de soutien aux élèves en difficulté, qu’ils participent ou non à l’intervention, et ensuite, pour sensibiliser les intervenants psychosociaux qui agissent à titre de mentor, afin de les aider à mieux accompagner et référer les élèves qui présentent des difficultés d’apprentissage vers des ressources pouvant mieux les soutenir.