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Cet ouvrage collectif traite de manière approfondie la dimension politique de l’agriculture et de l’alimentation. Partant du constat des multiples crises écologiques, économiques, sociales et sanitaires qui affligent ce secteur, les différentes contributions mettent en question l’impact de la mondialisation néolibérale sur la production et la distribution alimentaire. À partir du concept de souveraineté alimentaire, les auteurs interrogent la relation entre le processus de globalisation et ses conséquences au niveau local, en illustrant avec de nombreux exemples les réactions des différents acteurs de la société civile et de certains États.

De manière générale, l’ouvrage s’inscrit dans une approche critique de la politique internationale et des processus de globalisation. L’idéologie néolibérale dominante est discutée au fil des chapitres à partir de différents points de vue, parfois interdisciplinaires. Certains chapitres se caractérisent par des considérations issues des études de genre, d’autres des études postcoloniales, de l’écologie politique ou encore de la sociologie des émergences. Dans son ensemble, l’ouvrage reste cohérent, car les différentes contributions suivent toutes le même fil rouge qui considère la souveraineté alimentaire comme un élément central du contre-mouvement de protection face aux excès de la doctrine du marché libre. Ces considérations, inspirées par le travail de Karl Polanyi, permettent de cadrer la souveraineté alimentaire comme une alternative au mainstream néolibéral. Ainsi, l’activisme au nom de la souveraineté alimentaire vise le rétablissement et le renforcement des droits garantissant plus de justice sociale, dans un mouvement de réponse aux excès du marché libre. Les droits revendiqués visent notamment l’accès à la terre, aux ressources et aux connaissances ; la protection des réalités locales contre les effets de dumping social engendrés par le libre-échange ; et une garantie de participation aux processus politiques touchant les questions agricoles et l’alimentation. Ainsi, l’horizon de cet ouvrage ne s’arrête pas simplement à l’analyse de la politisation de la question alimentaire, mais il contribue plus largement aux débats portant sur les mouvements sociaux qui s’opposent aux processus de globalisation. C’est dans cette optique qu’il interroge la relation qui existe entre la dimension locale sur laquelle agissent la plupart de ces mouvements et le niveau international de la contestation pour laquelle ils se mobilisent.

La douzaine de contributions qui composent l’ouvrage sont réparties en trois sections thématiques. La première porte sur la dimension théorique du concept de souveraineté alimentaire et sur son insertion dans différentes arènes politiques. Ici, le chapitre des responsables scientifiques pose le fil rouge du livre en discutant du lien théorique entre la souveraineté alimentaire et la théorie du contre-mouvement de Karl Polanyi, et en offrant un tour d’horizon de la littérature existante dans le domaine. Toujours dans cette section, signalons également le chapitre de Michael Menser, consacré à l’évolution de la notion de souveraineté, de sa conception westphalienne à celle focalisée sur les enjeux alimentaires. La souveraineté n’est plus l’élément central de la construction de l’État-nation. Elle prend plutôt la forme d’un droit à l’autodétermination qui se traduit par une sorte de démocratie maximale permettant de définir de manière autonome un espace de reproduction écosociale pour satisfaire de façon soutenable les besoins vitaux de la communauté locale.

La deuxième section est consacrée à une perspective comparative de différentes études de cas s’inspirant directement ou indirectement de la souveraineté alimentaire. Ici, les contributions évoquent une multiplicité d’acteurs – société civile, État, organisations internationales – et les tensions existant entre les niveaux local, étatique, régional et international. À ce propos, le chapitre d’Irena Knezevic, qui porte sur les réalités agricoles de l’Europe centrale et orientale dans le contexte de transition et d’intégration à l’Union européenne, analyse remarquablement les tensions entre ces différents niveaux.

Enfin, la troisième section est consacrée aux contentieux politiques qui intègrent une dimension de souveraineté alimentaire. Ici, les contributions évoquent le recours à la souveraineté alimentaire pour cadrer une action de résistance face au système néolibéral dominant. Elizabeth Smythe analyse par exemple l’action des mouvements en faveur d’un étiquetage rendant obligatoire la déclaration de la provenance ou de la présence d’organismes génétiquement modifiés dans les aliments préparés. Elle montre comment une approche centrée sur la souveraineté alimentaire justifie ces revendications en matière d’étiquetage comme premier pas pour soutenir l’agriculture locale.

En conclusion, Globalization and Food Sovereignty est un ouvrage bien structuré et approfondi, qui témoigne d’un travail éditorial de grande qualité de la part des quatre responsables scientifiques. Tout en gardant une bonne accessibilité chapitre par chapitre, les contributions sont bien intégrées et s’articulent de manière progressive sur l’ensemble de l’ouvrage. Les contributions non seulement prennent souvent en considération le fil rouge inspiré par la théorie du double mouvement de Karl Polanyi, mais elles analysent aussi de manière approfondie, à l’aide d’autres outils théoriques et d’une approche spécifique, chaque cas étudié de la souveraineté alimentaire. Cette dernière considération s’avère être la force et en même temps la faiblesse de cet ouvrage. Car d’un côté, en fournissant une vaste palette d’exemples et d’approches, l’ouvrage permet d’illustrer les nombreuses facettes de la souveraineté alimentaire. Il montre bien la complexité d’une meilleure protection contre la marche d’une globalisation néolibérale centrée sur des politiques agricoles inspirées par la doctrine du marché libre favorisant avant tout les acteurs de l’agroalimentaire. Mais de l’autre côté, tout au long de l’ouvrage, en confrontant les cas étudiés dans certains chapitres, on découvre des tensions internes qui existent au sein du vaste réseau transnational de mouvements inspirés par la souveraineté alimentaire. Or, celles-ci ne sont prises en compte par aucune des contributions. En effet, chaque initiative est analysée pour sa portée de contre-mouvement à la globalisation néolibérale, mais on peut se demander s’il est possible de considérer que des mouvements de citadins, de consommateurs ou encore de paysans partagent tous la même vision de souveraineté alimentaire. Cela reste une piste de recherche ouverte qui mérite d’être explorée.