Corps de l’article

Introduction

Depuis la fin des années 1960, l’institution de la famille subit d’importantes transformations, au Québec comme dans la plupart des pays occidentaux. Les trajectoires conjugales des parents se complexifient et par conséquent les cadres dans lesquels les enfants grandissent se diversifient. Ces transformations découlent principalement d’une double remise en question du mariage. D’une part, la proportion des mariages qui finissent par un divorce ou une séparation a crû considérablement, faisant augmenter le nombre de familles monoparentales. D’autre part, parallèlement à cette instabilité grandissante, de nouvelles formes d’union se sont développées et sont venues concurrencer le mariage. Les unions libres, qui ne furent un temps qu’une période d’essai précédant un mariage officiel, sont devenues dans le Québec contemporain une forme familiale à part entière dans laquelle il est socialement acceptable de mettre au monde et d’élever des enfants.

Plusieurs chercheurs, américains pour la plupart, se sont intéressés à cette évolution de la conjugalité et de la fécondité en empruntant l’angle du bien-être des enfants. À partir de divers indicateurs (tests cognitifs, réussite scolaire, attachement à l’école, problèmes comportementaux, santé mentale, santé reproductive, etc.), ils tendent à montrer que la famille traditionnelle, mariée et stable, demeure le meilleur cadre pour avoir et élever des enfants. Ces études portaient à l’origine essentiellement sur les « enfants du divorce », mais elles se sont progressivement étendues à la monoparentalité, aux remariages, aux naissances hors union et à l’union libre parmi les familles recomposées et biologiques. Même si les résultats de ces recherches ne sont pas tous significatifs et que les écarts de performance entre les groupes sont souvent étroits (Amato, 2000), les auteurs concluent habituellement que les enfants vivant avec des parents non mariés ou ayant vécu une ou plusieurs transitions ont de moins bons indicateurs de bien-être.

Puisque très peu de recherches suivent cette approche au Québec, nous nous sommes interrogés sur la présence de telles associations au niveau du rendement scolaire dans une cohorte récente d’enfants québécois. Dans un premier temps, nous avons cherché à isoler l’influence de l’état matrimonial des parents à la naissance de l’enfant (mariés ou en union libre) de celle d’une séparation parentale. Dans un second temps, nous avons cherché à vérifier l’existence d’un effet modérateur de l’état matrimonial sur l’impact d’une séparation. Pour ce faire, nous utilisons un échantillon de 1 347 enfants qui participaient à l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ) à la fin de leur première année de primaire. Nous avons accordé une place prépondérante au rôle modérateur du genre dans ce processus.

Contexte

Les naissances hors mariage et l’union libre au Québec

Jusqu’à un passé assez récent, très peu de naissances survenaient à l’extérieur du mariage au Québec. En 1960, seulement 4 % des enfants naissaient de parents non mariés, mais ce pourcentage a augmenté rapidement dans les décennies suivantes pour atteindre 25 % en 1985 et 63 % en 2009 (ISQ, 2011). Le Québec fait figure d’exception en Amérique du Nord, puisqu’en 2009 la proportion de naissances hors mariage était estimée à seulement 26 % dans le reste du Canada (Statistique Canada, 2011, calcul des auteurs) et à 41 % aux États-Unis (Martin et collab., 2011). Cette augmentation rapide des naissances hors mariage s’explique davantage par la croissance de la part des naissances en union libre que par celle des naissances hors union (de mères célibataires), lesquelles représentaient seulement 8 % du total des naissances québécoises en 1998 contre 17 % aux États-Unis en 2001 (Manlove, Ryan, Wildsmith et Franzetta, 2010 ; Marcil-Gratton et Juby, 2000).

La popularité et l’acceptation sociale de l’union libre favorisent le nombre élevé de naissances en union libre au Québec. Selon les résultats du recensement canadien de 2006, 34,6 % des couples vivaient en union libre au Québec, alors qu’ils n’étaient que 13,4 % dans le reste du Canada (Milan, Vézina et Wells, 2007). De plus, le statut social de l’union libre n’est pas le même dans les deux parties du pays. Les Québécois, mariés ou non, sont proportionnellement plus nombreux que les Ontariens à penser que le mariage n’est pas une condition importante au bonheur (Lapierre-Adamcyk, Le Bourdais et Marcil-Gratton, 1999). Les unions libres au Québec sont aussi plus stables et plus fécondes que celles formées dans le reste du Canada. À cause de cela, Dumas et Bélanger (1997) notaient que l’union libre devenait un véritable substitut au mariage au Québec, alors que ce statut n’est pas encore atteint dans les autres provinces ni aux États-Unis (Heuveline et Timberlake, 2004).

Toutefois, outre la plus grande instabilité des unions libres, Le Bourdais et Lapierre-Adamcyk (2004) recensent plusieurs différences entre les partenaires en union libre et les mariés. Les premiers partageraient les tâches domestiques et participeraient au marché du travail de façon plus égalitaire. Les tenants d’une redéfinition des rôles conjugaux vers une plus grande égalité des genres privilégieraient l’union libre comme statut conjugal depuis que les luttes féministes des années 1960 ont terni la réputation du mariage (Lapierre-Adamcyk et collab., 1999). Au-delà des différences légales qui existent entre les deux formes d’union au Québec, notamment en ce qui concerne la répartition des avoirs et la responsabilité mutuelle des ex-conjoints l’un envers l’autre lors d’une séparation (Belleau, 2012), ces différences de valeurs expliqueraient pourquoi l’union libre demeure, même au Québec, une alternative plutôt qu’un équivalent du mariage comme cadre de formation des familles (Le Bourdais et Lapierre-Adamcyk, 2004).

L’impact du statut conjugal au moment de la naissance

Alors que la proportion d’enfants nés de couples en union libre a crû beaucoup plus rapidement au Québec qu’ailleurs en Amérique du Nord, la question des différences possibles entre ces enfants et ceux nés de parents mariés n’a pratiquement pas été abordée dans cette province canadienne. En effet, les recherches sur le bien-être des enfants québécois ont évalué les conséquences spécifiques d’une naissance en union libre à partir d’indicateurs strictement démographiques, comme la probabilité de vivre la séparation de ses parents (Juby et Marcil-Gratton, 2002).

Si les études américaines ont d’abord porté uniquement sur les familles recomposées en union libre (Manning et Lamb, 2003 ; Raley, Frisco et Wildsmith, 2005), plus récemment, des chercheurs ont mené des travaux sur les familles biologiques en union libre (par exemple Cooper, Osborne, Beck et McLanahan, 2010 ; Waldfogel, Craigie et Brooks-Gunn, 2010). À partir d’un échantillon d’enfants nés entre 1984 et 1994 et âgés de 3 à 12 ans, Hoffert (2006) ne trouve aucune différence sur un test de calcul mathématique entre les enfants vivant dans une union libre intacte et ceux vivant dans un mariage intact. Artis (2007) conclut aussi à une absence de différence pour des tests en mathématiques et en connaissances générales chez des enfants nés en 1993 lorsque les variables de contrôle sont ajoutées au modèle, mais l’auteur observe des résultats à un test de lecture significativement inférieurs chez les enfants ayant des parents en union libre. À partir d’une même base de données, Brown (2004) et Teachman (2008) utilisent des modèles différents et trouvent que les enfants vivant avec des parents en union libre ont un moindre engagement scolaire, c’est-à-dire un plus faible sentiment de vouloir bien faire à l’école. Wu et ses collaborateurs (2010) concluent autrement : ces auteurs s’intéressent aux trajectoires plutôt qu’au type d’union au moment d’une seule enquête, et trouvent que les enfants canadiens nés entre 1984 et 1990 et vivant toujours dans une famille en union libre intacte ne connaissent pas une trajectoire d’engagement scolaire différente de celle des enfants de familles mariées intactes. Par contre, leurs performances scolaires, telles qu’ils les perçoivent eux-mêmes, baissent significativement sur une période de deux ans. Finalement, Bulanda et Manning (2008) utilisent des données rétrospectives et s’attardent aux conséquences durant l’adolescence du type d’union des parents à la naissance. Ils constatent que les filles nées en union libre entre 1965 et 1977 étaient deux fois moins susceptibles d’obtenir un diplôme d’études secondaires que les filles nées dans le mariage à la même époque. Cette différence demeure significative une fois pris en compte le plus grand nombre de transitions familiales vécues par les femmes nées en union libre.

Bien que leurs résultats ne soient pas unanimes, ces études tendent généralement à démontrer que les enfants issus de familles en union libre éprouvent plus de difficultés scolaires que ceux issus de familles mariées. Toutefois, un enjeu théorique et méthodologique important pourrait avoir affecté ces conclusions, celui de l’effet de sélection (Brown, 2010). Le fait de naître en union libre est-il lui-même associé à un plus faible rendement scolaire, ou d’autres facteurs influencent-ils à la fois le fait d’avoir un enfant en union libre et le rendement scolaire ? Parmi les facteurs associés à cet effet de sélection, certains, tels que la scolarité (Martin et Hou, 2010), le groupe ethnoculturel (Pelletier, 2012) ou le passé conjugal (Marcil-Gratton, Juby, Le Bourdais et Huot, 2003), sont souvent mesurés par les enquêtes, alors que d’autres le sont plus rarement, comme les valeurs familiales ou les croyances religieuses. Notons enfin que les données utilisées par ces études concernent des générations d’enfants socialisés à des époques et dans des lieux où l’union libre représentait une forme d’union beaucoup plus marginale (en terme de statut et de fréquence) qu’au Québec aujourd’hui.

Les effets d’une rupture selon l’état matrimonial

Jusqu’à présent, la plupart des études qui se sont intéressées aux effets d’une rupture parentale sur les enfants ont porté sur le divorce, c’est-à-dire sur la séparation de parents mariés[1]. Les conséquences de la séparation de parents en union libre sont beaucoup moins bien connues. Même quand les données adéquates existent, ce qui n’est pas toujours le cas (Frisco, Muller et Frank, 2007 ; Steele, Sigle-Rushton et Kravdal, 2009), les séparations de ce type sont souvent amalgamées aux divorces (Fomby et Cherlin, 2007 ; Neill, Desrosiers, Ducharme et Gingras, 2006). En somme, s’il est commun de faire l’hypothèse que les deux types de séparation entraînent des conséquences similaires, pratiquement aucune recherche n’a abordé la question de l’effet particulier d’une rupture d’union libre sur le rendement scolaire ou le développement cognitif des enfants.

Pourtant, l’instabilité des unions libres est reconnue dans des recherches, qui démontrent que les unions libres, avec ou sans enfants, sont de plus courte durée que les mariages. Une des conséquences de cette durée plus courte est que les enfants nés de parents en union libre sont plus susceptibles de vivre la séparation de leurs parents que les enfants nés dans le mariage (Le Bourdais, Neill et Marcil-Gratton, 2000 ; Marcil-Gratton, Le Bourdais, Lapierre-Adamcyk et Huot, 2002 ; McLanahan et Beck, 2010). Au Québec, l’écart entre la durée des unions libres avec enfants et celle des mariages avec enfants est plus faible que dans les autres provinces canadiennes et tend à s’amenuiser (Beaupré, Turcotte et Goldscheider, 2005) ; cependant, les différences observées demeurent significatives. Selon Marcil-Gratton et ses collaborateurs (2002), 15,7 % des enfants québécois nés en union libre en 1997-1998 ont déjà connu la séparation de leurs parents à l’âge de 2 ans, tandis que la proportion correspondante pour les enfants nés dans le mariage n’était que de 5,4 %. À partir de ces constatations, certains pourraient faire le raisonnement suivant : puisque les enfants nés en union libre vivent plus souvent la séparation de leurs parents et puisque les enfants qui vivent la séparation de leurs parents sont plus à risque de connaître des difficultés scolaires, les enfants nés en union libre sont donc plus à risque de connaître des difficultés scolaires (voir l’échange entre Kempeneers et Dandurand, 2001 et Marcil-Gratton et collab., 2002). Cette argumentation est toutefois trop rapide et ne prend pas en considération une question qui devient de plus en plus importante dans les sociétés contemporaines, celle des effets potentiellement différents d’une rupture de mariage et d’une rupture d’union libre (Brown, 2010).

Rupture d’un mariage

La plupart des chercheurs analysent les effets du divorce à partir d’enquêtes transversales et comparent les enfants vivant en famille monoparentale ou recomposée à ceux des familles mariées intactes. L’utilisation des données transversales sous-entend que les enfants des deux premiers types de familles vivaient originellement dans une famille mariée, ce qui n’est pas toujours le cas. Cependant, aux États-Unis, lieu de la plupart des études recensées, la majorité des naissances dans les cohortes étudiées survient à l’intérieur du mariage et le décès d’un parent à un jeune âge est un événement assez rare. Par conséquent les résultats reflètent fort probablement davantage l’effet du divorce que celui d’une rupture d’union libre, d’un veuvage ou d’une naissance hors union. Amato (1993, 2000 et 2010) recense les principales études sur le divorce des dernières décennies et constate que l’avantage scolaire et cognitif des enfants vivant avec leurs deux parents biologiques mariés sur ceux vivant en famille monoparentale ou recomposée est resté pratiquement constant au cours de la période. L’auteur met l’accent sur les différences statistiquement significatives entre les types de familles, alors que d’autres chercheurs rappellent plutôt qu’en contrôlant les caractéristiques démographiques des enfants et des parents plusieurs écarts s’annulent ou sont de faible amplitude (Demo, 1993). Des travaux récents renforcent toutefois la thèse d’un effet négatif du divorce à partir des différences de rendement scolaire entre les types de familles (Teachman, 2008 ; Artis, 2007 ; Brown, 2004 ; Manning et Lamb, 2003 ; Carlson et Corcoran, 2001).

Une seconde façon d’analyser l’effet du divorce est de considérer le nombre et la nature des transitions familiales vécues par un enfant. Bulanda et Manning (2008), par exemple, trouvent que chaque transition familiale, y compris le divorce, est associée à une baisse de la probabilité d’obtenir un diplôme d’études secondaires pour les filles nées dans le mariage. De même, Frisco et ses collaborateurs (2007) rapportent que les adolescents qui vivent un divorce[2] connaissent au cours de la même année une baisse significative de leur moyenne scolaire et une hausse du nombre de cours échoués. En utilisant la même base de données que les auteurs précédents (Add Health), Brown (2006) conclut différemment, car elle trouve que la transition d’une famille mariée à une famille monoparentale n’est pas associée à une baisse du niveau d’engagement scolaire chez les adolescents durant la même année. Sun et Li (2001) confirment que la rupture d’un mariage affecte négativement les performances scolaires, mais ajoutent que les différences sont souvent déjà visibles dans les années précédant la rupture effective. En somme, que les études privilégient le type de famille ou les transitions familiales, elles concluent habituellement que les enfants ayant vécu la rupture conjugale de parents biologiques ou adoptifs mariés connaissent plus de problèmes scolaires que ceux vivant toujours avec leurs deux parents.

Rupture d’une union libre

À notre connaissance, une seule étude a abordé la question des effets distincts des ruptures d’union libre sur le rendement scolaire. Bulanda et Manning (2008) analysent l’effet du nombre de transitions familiales vécues par un groupe d’adolescentes sur leur probabilité d’obtenir un diplôme d’études secondaires. Puisque l’effet d’une transition chez les adolescentes nées en union libre n’est pas significativement différent de l’effet d’une transition chez celles nées dans le mariage, les auteurs concluent que les deux types de transitions ont un impact négatif équivalent. La rareté des études sur le rendement scolaire nous amène à élargir le champ des indicateurs de bien-être afin de mieux exposer les effets potentiels d’une rupture d’union libre. Dans le domaine de la santé, les résultats de Schmeer (2011) montrent que même si l’état de santé des enfants évalué par la mère est plus faible pour ceux nés en union libre, le fait d’avoir vécu la séparation d’une union libre n’a pas d’effet significatif. Par contre, les enfants ayant connu un divorce souffrent plus d’asthme que ceux dont les parents en union libre se sont séparés (Harknett, 2009). Finalement, Cavanagh et Huston (2006) constatent que les enfants nés en union libre ont plus de troubles extériorisés (tel que l’agressivité) que les enfants nés dans le mariage, mais la rupture d’une union libre a un effet positif alors que le divorce a un effet négatif. Force est de constater que les études sur l’impact d’une rupture d’union libre sont encore trop rares et leurs résultats trop inconsistants pour que nous puissions en tirer des conclusions claires.

Différence selon le genre

En Occident, le traditionnel avantage masculin en éducation s’est transformé au cours des dernières décennies en un avantage féminin, tant au niveau des performances scolaires obtenues que du plus haut niveau d’éducation atteint (voir Buchmann, Diprete et McDaniel, 2008, pour une revue de la littérature américaine sur le sujet). La majorité des études qui concernent le bien-être scolaire des enfants inclut d’ailleurs le genre comme variable de contrôle importante. Par contre, le rôle modérateur du genre dans la relation entre trajectoire familiale et rendement scolaire est rarement analysé. Les résultats montrent généralement que les garçons sont plus affectés que les filles par une séparation de leurs parents (Amato, 2000 ; Demo et Acock, 1988), mais certaines recherches révèlent une absence de différence entre les genres (Cooper et collab., 2011 ; Morrison et Cherlin, 1995 ; Sun et Li, 2001 et 2002), ou encore l’existence d’un désavantage partiel pour les filles (Allison et Furstenberg, 1989). Le désavantage observé chez les garçons pourrait provenir du fait que la garde des enfants revient plus souvent à la mère qu’au père suite à une séparation. Ils éprouveraient alors une plus grande difficulté que les filles à s’adapter à l’absence du père et à la perte de modèle masculin (Cooper et collab., 2011). Les garçons auraient aussi plus à perdre que les filles en temps et en attention paternels lors d’une séparation parce que les pères passent en moyenne plus de temps avec leurs fils (Krein et Beller, 1988). Ces recherches concernent cependant presque uniquement l’expérience d’un divorce. Nous ne connaissons aucune étude traitant spécifiquement des différences de genre dans la relation entre séparation de parents en union libre et rendement scolaire, ni dans la relation entre naissance en union libre et rendement scolaire.

Objectifs, données et méthodologie

Objectifs

Les objectifs de cette étude sont multiples. Nous voulons premièrement déterminer si l’état matrimonial des parents à la naissance d’un enfant (mariés ou en union libre) est associé au rendement scolaire de cet enfant au début du primaire. Deuxièmement, nous cherchons à savoir, à partir de données québécoises, si la séparation des parents agit sur le rendement scolaire des enfants. Troisièmement, nous portons une attention particulière aux conséquences différentielles d’une rupture conjugale des parents selon s’ils étaient mariés ou en union libre à la naissance de l’enfant. Finalement, nous souhaitons vérifier s’il existe des contrastes entre les filles et les garçons au niveau de chacun des trois effets précédents.

Données et méthodologie

L’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ) est une enquête toujours en cours coordonnée par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Elle suit un échantillon représentatif de 2 120 enfants nés au Québec en 1997-1998. Son objectif principal est d’identifier les facteurs jouant un rôle dans l’adaptation sociale et la réussite scolaire des jeunes Québécois (Jetté et Des Groseillers, 2000). L’ÉLDEQ couvre de nombreux sujets, notamment l’évolution des structures familiales dans lesquelles vivent les enfants. Chaque année, la composition du ménage est recensée et, tous les deux ans, l’histoire conjugale récente des deux parents est examinée en détail, avec la datation des mariages et des débuts de cohabitation, de même que celle des ruptures d’union.

Comme toute enquête longitudinale, l’ÉLDEQ est sujette à l’attrition de son échantillon. Au fil des ans, les familles participantes sont de moins en moins nombreuses à remplir les questionnaires. Au 8e passage, c’est-à-dire au moment où le rendement scolaire des enfants a été évalué, les répondants ne représentaient plus que 65 % de l’échantillon original. Puisque la désaffectation des répondants ne se fait généralement pas de façon aléatoire, elle peut nuire à la représentativité de l’échantillon. Afin de réduire l’ampleur de ce biais d’attrition, nous utilisons des poids échantillonnaux appropriés (Bérard-Chagnon, 2007 ; Plante et Courtemanche, 2006). Toutes les analyses présentées tiennent aussi compte du plan de sondage complexe de l’enquête pour l’estimation de la variance des estimateurs (procédure svy de STATA).

Puisque nous nous intéressons aux effets de la rupture du couple parental, deux types d’enfants sont exclus d’emblée de notre population cible : les enfants nés de mères seules et les enfants dont la famille a été rompue par le décès d’un parent. De plus, nous avons écarté quelques rares cas d’enfants considérés comme « inaptes », en raison par exemple d’autisme. Selon la variable dépendante considérée, entre 3 % et 6 % des enfants de l’échantillon correspondant à notre population cible n’ont pu être inclus dans nos modèles en raison de non-réponse à au moins une des variables. Au final, 1 347 enfants ont été retenus pour l’analyse, soit 709 filles et 638 garçons. En raison de ces effectifs relativement faibles, il est possible que, dans nos analyses, des résultats non significatifs relèvent davantage d’un manque de puissance statistique que d’une réelle absence d’association entre deux variables.

Variables dépendantes

Évaluations des enseignants

Nous utilisons sept indicateurs du rendement scolaire des enfants. Ceux-ci peuvent être regroupés en deux catégories : quatre évaluations effectuées par les enseignants et trois tests de connaissances issus d’outils psychométriques. Les enseignants ont évalué le rendement scolaire des enfants qui participent à l’ÉLDEQ grâce à quatre questions dont les choix de réponses prenaient la forme d’une échelle à cinq niveaux. Les trois premières questions portaient sur des matières précises (lecture, écriture et mathématiques) alors que la dernière, plus générale, concernait l’ensemble des matières couvertes par l’enseignant-répondant. Nous présentons ci-dessous la question telle qu’énoncée dans le questionnaire ainsi que la répartition des réponses en pourcentage :

Comment évalueriez-vous le degré de réussite scolaire actuel de cet enfant [en lecture/en écriture/en mathématiques/dans l’ensemble des matières enseignées] ?

  1. Parmi les premiers de la classe (26 % à 33 % des réponses selon la question)

  2. Au-dessus de la moyenne de la classe, mais pas parmi les premiers (20 % à 23 %)

  3. Dans la moyenne de la classe (25 % à 32 %)

  4. Au-dessous de la moyenne de la classe, mais pas parmi les derniers (8 % à 12 %)

  5. Parmi les derniers de la classe (5 % et 10 %)

Compte tenu de la formulation de la question, un nombre plus élevé d’enfants aurait théoriquement dû être classé par les enseignants dans les catégories de réponses centrales et un nombre moins élevé à chaque extrémité (parmi les premiers ou les derniers de classe). La distribution des réponses observées nous rappelle toutefois qu’il s’agit d’une évaluation subjective de la part de l’enseignant. Quelle que soit la matière, les deux catégories inférieures combinées (sous la moyenne et derniers de classe) ne comptent qu’environ 20 % des enfants, tandis que la catégorie supérieure (premiers de classe) en regroupe à elle seule environ 30 %. De deux choses l’une, soit l’échantillon de l’ÉLDEQ rassemble des élèves particulièrement doués, ce qui est possible, mais improbable à cette échelle[3], soit les enseignants sont réticents à classer leurs jeunes élèves sous la moyenne de la classe.

Les chercheurs ayant travaillé avec des variables quasiment identiques dans l’ÉLDEQ ou dans l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ) ont eu recours à diverses stratégies de modélisation statistique (Ertl, 2000 ; Forget-Dubois et collab., 2007 ; Lipps et Yiptong-Avila, 2000 ; Ryan et Adams, 1999). La forme fortement non normale (bimodale) de la distribution de ces quatre variables et l’effectif suffisamment élevé des enfants appartenant à la catégorie supérieure nous ont incités à faire le choix, comme d’autres (Julien et Ertl, 2000), de dichotomiser les variables en opposant les premiers de classe à l’ensemble des élèves des quatre autres catégories. Notre stratégie de modélisation pour cette première catégorie de variables dépendantes est donc d’utiliser des régressions logistiques afin d’estimer la probabilité qu’un enfant soit classé parmi les premiers de classe. Ce choix nous semble le plus approprié puisque les hypothèses d’autres types de modèles statistiques exploitant la nature continue ou ordinale de ces évaluations ne sont pas bien respectées[4]. De plus, des tests effectués avec d’autres catégorisations et des régressions logit multinomiales ont démontré la robustesse de nos résultats (non présentés)[5].

Tests de connaissances

Pour pallier certaines limites de ces quatre premiers indicateurs de rendement, nous ajoutons trois mesures des connaissances adaptées à l’évaluation des enfants de sept ans. En effet, même si le jugement exprimé par les enseignants sur le rendement de leurs élèves peut être corrélé modérément à fortement avec leur rendement effectif (Demaray et Elliot, 1998), les tests psychométriques ont l’avantage d’être moins sensibles que les évaluations des enseignants aux effets du contexte[6], aux préjugés ou à l’empathie. Les deux premiers indicateurs sont les sous-tests de « lecture et déchiffrement » (28 mots à lire à voix haute, α = 0,75) et de « lecture et compréhension » (24 phrases à mimer, α = 0,81) du Kaufman assessment battery for children (K-ABC) (Kaufman et Kaufman, 1983). Ces deux sous-tests du K-ABC sont considérés comme étant hautement corrélés avec la version révisée du Peabody individual achievement test (revised) (PIAT-R) (Costenbader et Adams, 1991), un test fréquemment utilisé dans les études américaines sur le bien-être des enfants. Le dernier indicateur est un test de connaissance des nombres (27 éléments, α = 0,79) constitué de mises en situation simples faisant intervenir les connaissances de base en calcul telles que la séquence des nombres, l’addition et la soustraction (Case, Griffin et Kelly, 1999). Ce test passé à l’entrée à l’école est considéré comme un bon indicateur de la réussite scolaire en 4e année (Pagani, Fitzpatrick, Belleau et Janosz, 2011). Les trois tests ont été validés en anglais et en français. Nous utilisons des régressions linéaires pour analyser leurs résultats.

Puisque les enseignants n’ont pas systématiquement répondu à chacune des quatre questions — dans le cas où ils n’enseignaient pas eux-mêmes toutes les matières visées — et que les enfants n’ont pas tous complété les trois tests, la taille de l’échantillon varie d’un indicateur à l’autre. Sur les 1 347 enfants retenus au total, entre 1 160 et 1 176 ont été évalués par leur enseignant dans les différentes matières et entre 1 293 et 1 338 ont répondu aux différents tests. Puisque la taille de l’échantillon des évaluations des enseignants est inférieure à celle des tests psychométriques, une pondération différente a été utilisée pour chacune de ces deux catégories d’indicateurs afin d’assurer la représentativité de chaque analyse. Notons toutefois que les pondérations utilisées n’affectent pas les conclusions des modèles.

Variables indépendantes

Trajectoire conjugale des parents

Mettre l’accent sur l’état matrimonial des parents à la naissance de l’enfant signifie que la catégorie des familles mariées comporte aussi bien des couples qui se sont mariés directement, sans cohabiter au préalable (38 %), que des couples ayant vécu en union libre avant de se marier (62 %). De même, la catégorie des familles en union libre compte des couples qui sont toujours restés en union libre (83 %), ainsi que d’autres qui se sont mariés dans les années suivant la naissance de l’enfant (17 %). Les deux sous-catégories de familles mariées se ressemblent davantage entre elles qu’elles ne ressemblent aux deux sous-catégories des familles en union libre (et vice-versa), tant au niveau des caractéristiques des enfants (rendement, rang de naissance, présence d’une demi-fratrie plus âgée) que des parents (scolarité et âge notamment). Nous supposons donc que notre classification distinguant les couples ayant eu un enfant à l’intérieur ou l’extérieur du mariage reflète assez bien la réalité sociale québécoise. D’ailleurs, après un important travail qualitatif, Belleau (2012) rapporte que le désir d’enfant amène souvent les couples à envisager plus sérieusement les aspects légaux de leur union et les protections offertes au futur enfant.

L’autre défi de définition qui se pose par rapport à la variable de séparation concerne la trentaine d’enfants qui vivaient avec leurs deux parents biologiques ou adoptifs au moment de l’évaluation de leur rendement, mais qui ont vécu la séparation puis la réunification de leurs parents entre leur naissance et le 8e passage de l’enquête[7]. Nous les avons classés dans la catégorie des familles séparées en postulant que les effets du climat familial tendu entourant cette période transitoire sont proches de ceux d’une séparation plus nettement définie. De nouvelles recherches longitudinales tendent d’ailleurs à démontrer que les effets d’une séparation ne se limitent pas au moment immédiat suivant celle-ci, mais débutent bien avant l’événement lui-même, pendant la période préalable d’instabilité et de conflits (Sun et Li, 2001 et 2002), une période qu’ont aussi traversée les enfants de couples s’étant remis en union.

Nous utilisons ces deux variables de trajectoires conjugales (l’état matrimonial des parents à la naissance de l’enfant et la survenue d’une séparation parentale entre la naissance et le moment de l’évaluation du rendement scolaire) de façon parallèle et en interaction. Sous leur forme croisée, quatre catégories d’enfants sont distinguées : les enfants nés dans un couple qui s’est marié avant leur naissance et qui ne s’est jamais séparé (catégorie de référence), ceux nés dans un couple en union libre jamais séparé, ceux nés d’un couple marié qui s’est par la suite séparé, et enfin ceux nés d’un couple en union libre s’étant séparé. Bien que la catégorie formée des enfants vivant dans une famille mariée et non séparée ne soit plus la catégorie la plus nombreuse dans le Québec contemporain, elle demeure la catégorie de référence de notre analyse parce qu’elle continue à jouir du qualificatif de « famille traditionnelle » et qu’elle représente le référent le plus courant dans les études sur le bien-être des enfants.

Variables de contrôle

Plusieurs autres facteurs que la trajectoire conjugale des parents peuvent influencer le rendement scolaire des enfants. Parmi ces facteurs, il importe surtout de considérer ceux qui affectent la probabilité qu’un couple soit en union libre ou dans le mariage au moment de la naissance de l’enfant ou qu’il se sépare par la suite (effet de sélection), mais aussi ceux qui sont de possibles médiateurs de la relation entre trajectoire familiale et rendement scolaire. Dans cette optique, nous incluons seize variables de contrôle dont la pertinence a déjà été démontrée dans d’autres études. Ces variables, dont plusieurs sont modelées sur celles utilisées précédemment par Neill et ses collaborateurs (2006) dans une analyse semblable, ont été regroupées en quatre groupes.

Nous différencions d’abord les enfants selon leurs caractéristiques démographiques (Halpern-Meekin et Tach, 2008) que sont l’âge (en mois), la langue (unilingues francophones versus autres[8]), le rang de naissance (premier-né du couple versus rangs supérieurs) et l’existence ou non d’une demi-fratrie issue d’une union antérieure d’un parent ou des deux. Ensuite, trois variables sont utilisées pour représenter la stimulation cognitive offerte aux enfants dans leur milieu familial (Desrosiers et Ducharme, 2006 ; Guo et Harris, 2000) : ce sont l’âge auquel un adulte a commencé à faire la lecture régulièrement à l’enfant (avant ou après 29 mois), le fait qu’une mère utilise beaucoup la communication orale dans ses relations avec son enfant (quartile supérieur de l’échelle de verbalisation à au moins un des trois premiers passages de l’enquête) et le nombre de livres pour enfants à la maison au 8e passage (moins de 40 ou 40 et plus). Le milieu de vie socioéconomique et relationnel de l’enfant est décrit par cinq variables supplémentaires (Baillargeon et collab., 2001 ; Desrosiers et Ducharme, 2006 ; Waldfogel et collab., 2010) : le nombre d’épisodes passés sous le seuil de faible revenu[9], le nombre d’épisodes passés dans un état de santé moins que très bon[10], un faible fonctionnement familial (quintile supérieur d’une échelle ordonnée du meilleur au pire ; au 1er, 2e ou 7e passage), la présence de symptômes dépressifs élevés chez la mère suite à la naissance (quintile supérieur au 1er ou au 2e passage) et le principal milieu de garde fréquenté par l’enfant lors du 4e passage de l’enquête[11] (non gardé, au domicile, en milieu familial ou en garderie). Finalement, les caractéristiques des parents à la naissance de l’enfant sont représentées par l’âge de la mère et du père (pour chacun, les parents d’âge moyen sont opposés au décile le plus jeune et au décile le plus âgé[12]), par le nombre d’années de scolarité de la mère et du père, de même que par le statut d’immigrant de la mère[13] (Baillargeon et collab., 2001 ; Brown, 2010 ; Desrosiers et Ducharme, 2006).

Résultats

Statistiques descriptives

Le tableau 1 est divisé en deux sections distinctes. Il présente les caractéristiques des enfants (garçons et filles confondus) d’abord selon l’état matrimonial des parents à la naissance, puis selon la survenue d’une rupture conjugale. Nous remarquons que l’écart de rendement scolaire entre les enfants nés en union libre et ceux nés dans le mariage est faible. Même si les premiers ont en moyenne des scores moins élevés que les seconds, l’écart n’est marginalement significatif que pour les évaluations de l’enseignant en lecture (30,6 % des enfants de couple en union libre sont parmi les premiers de classe contre 35,7 % des enfants de couples mariés) et dans l’ensemble des matières (24,7 % contre 29,5 %), de même que pour le test de lecture et déchiffrement (12,8 points contre 13,4 points). Les enfants nés en union libre semblent par contre avoir un très léger avantage au test de lecture et compréhension. En comparaison, la relation entre la rupture des parents et le rendement scolaire semble beaucoup plus tranchée : les enfants de couples séparés performent significativement moins bien que les enfants de couples toujours unis dans les quatre évaluations des enseignants et au test de lecture et déchiffrement. Ils sont par exemple seulement 22,6 % à être classés parmi les premiers de classe en lecture par leur enseignant contre 36,4 % chez les enfants dont les parents ne se sont pas séparés. Le fait que les enfants nés de parents en union libre soient proportionnellement beaucoup plus nombreux que ceux nés de parents mariés à avoir connu la séparation de leurs parents (respectivement 34,7 % et 14 %) laisse croire que les faibles écarts de performance entre les deux pourraient surtout être le reflet du bas rendement observé chez les enfants de familles séparées.

Tableau 1

Caractéristiques des enfants selon l’état matrimonial des parents à leur naissance et la survenue d’une séparation parentale depuis leur naissance (en % sauf indication contraire)

Caractéristiques des enfants selon l’état matrimonial des parents à leur naissance et la survenue d’une séparation parentale depuis leur naissance (en % sauf indication contraire)

p < 0,1 ; *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001

Source : Institut de la statistique du Québec, ÉLDEQ

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Les enfants issus d’un mariage ou d’une union libre diffèrent toutefois par rapport à plusieurs autres caractéristiques. Par exemple, plus de 91 % des enfants nés en union libre parlent uniquement le français, alors que ce pourcentage n’est que de 57 % chez les enfants nés dans le mariage. Les enfants nés en union libre sont aussi plus souvent des premiers nés de leurs parents (58 % contre 38,6 % chez les enfants de couples mariés). Par contre, dans un cas sur cinq, au moins un de leurs parents a déjà eu un enfant dans une union antérieure ; le même rapport est de moins d’un sur dix pour les enfants nés de parents mariés. Nous pouvons associer cette forte proportion d’aînés à un autre résultat du tableau montrant que les deux parents en union libre étaient plus jeunes à la naissance de l’enfant que ne l’étaient les parents mariés. Parmi les variables censées mesurer la stimulation cognitive, les deux groupes ne diffèrent significativement qu’au niveau de l’âge auquel les parents ont commencé à faire la lecture de manière régulière à leur enfant. Les parents en union libre amorcent moins fréquemment cette activité avant que leur enfant atteigne 29 mois (80,7 % contre 88,1 % pour les enfants de parents mariés). Du côté des caractéristiques socioéconomiques, les enfants nés en union libre ont vécu un plus grand nombre d’épisodes sous le seuil de faible revenu et en mauvaise santé, et leurs parents sont en moyenne moins scolarisés. Même si les deux groupes d’enfants sont proportionnellement aussi nombreux à se faire garder à 3 ans et demi, les parents en union libre ont plus souvent recours aux garderies en milieu familial que les parents mariés et moins souvent à la garde à leur propre domicile. Finalement, les mères en union libre sont beaucoup moins souvent des immigrantes (4,6 % contre 23 %) et sont plus susceptibles d’avoir manifesté des symptômes élevés de dépression dans les premières années de la vie de l’enfant.

Les caractéristiques qui distinguent les familles mariées des familles en union libre sont souvent les mêmes que celles différenciant les familles séparées des familles toujours unies. Les deux dernières colonnes du tableau 1 montrent par exemple que les enfants ayant vécu une rupture conjugale sont proportionnellement plus nombreux à être les premiers-nés du couple (54 % contre 47 %) et à avoir une demi-fratrie plus âgée (27,4 % contre 10,7 %). Ils ont aussi vécu de plus nombreux épisodes sous le seuil de faible revenu ou en mauvaise santé. Les mères et les pères séparés sont plus jeunes et moins scolarisés que leurs homologues toujours en union. Finalement, les mères séparées sont proportionnellement moins nombreuses à être immigrantes et plus nombreuses à avoir connu des symptômes élevés de dépression.

Cependant, il existe aussi des différences notables entre les familles séparées et non séparées là où nous ne retrouvons pas de distinction selon l’état matrimonial. Par exemple, alors qu’il n’y pas de différence de fonctionnement familial entre familles mariées et familles en union libre, les familles séparées montrent plus souvent un faible fonctionnement par rapport aux familles encore unies (53,6 % contre 37 %). De plus, d’après nos indicateurs, la stimulation cognitive reçue à la maison par les enfants de couples séparés est moins élevée : la lecture par un parent a débuté plus tardivement, le nombre de livres pour enfants dans la maison est plus faible et les mères ont moins souvent une forte verbalisation. Finalement, les enfants de couples séparés fréquentent plus souvent les milieux de garde, et particulièrement les garderies (36,4 % contre 29,3 %). Compte tenu des caractéristiques différentes des familles séparées par rapport aux non séparées, et des familles en union libre par rapport aux mariées, seule une analyse multivariée peut parvenir à départager l’influence de la trajectoire conjugale des parents sur le rendement scolaire de celle de toutes ces autres variables.

Analyses multivariées

Les tableaux 2 et 3 présentent les résultats de ces modèles de régressions logistiques et linéaires pour les filles et les garçons respectivement. Chaque tableau comprend une première section dans laquelle nous présentons les modèles qui ne contiennent aucune variable de contrôle (modèles 1) et une deuxième section où se trouvent les modèles avec toutes ces variables (modèles 2). Chaque section comporte deux types de modèles : nous y distinguons des modèles où nos deux variables d’intérêt sont en interaction et d’autres où elles ne le sont pas. Cette distinction est importante, car elle nous permet de répondre à des questions de recherche différentes. Dans la version sans interaction, les variables de l’état matrimonial des parents et de la séparation sont indépendantes l’une de l’autre ; nous pouvons ainsi estimer l’effet net de chacune des deux variables sur le rendement scolaire. Pour les modèles avec interaction, nous avons créé quatre catégories de familles au croisement des mêmes variables, et pouvons ainsi voir, plus subtilement, si la séparation joue différemment selon que les parents étaient mariés ou en union libre à la naissance de l’enfant.

Effets bruts et nets des variables de trajectoire conjugale chez les filles

La première partie du tableau 2 présente, sous forme de rapports de cotes pour les quatre évaluations des enseignants et de coefficients pour les trois tests de connaissances, les résultats des modèles initiaux par lesquels nous estimons l’association entre le rendement scolaire et la trajectoire familiale des filles, sans inclure de variable de contrôle. Dans la version sans interaction, nous constatons que les filles nées de parents en union libre plutôt que mariés (catégorie de référence) n’ont pas un rendement inférieur aux quatre évaluations des enseignants, ni aux trois tests de connaissance. L’association négative entre la séparation et le rendement semble par contre plus évidente : comparativement aux filles de couples non séparés, les filles de couples séparés ont près de deux fois moins de chance d’être parmi les meilleures de leur classe en lecture (rapport de cotes = 0,54), en écriture (0,61) et dans l’ensemble des matières enseignées (0,60).

Les modèles avec interaction nuancent ces constatations. Les filles nées dans le mariage et qui ont connu la séparation de leurs parents ont un rendement significativement moins élevé que celles dont les parents sont toujours unis, seulement pour l’évaluation faite par l’enseignant en lecture (0,46). Notons que le portrait de l’effet d’une séparation chez les unions libres dépend du point de comparaison choisi. Par rapport à la catégorie de référence constituée des filles nées de parents mariés qui sont toujours ensemble, nous remarquons que les filles nées de parents en union libre qui se sont séparés ont un rendement significativement plus faible sur quatre indicateurs. Par contre, si nous voulons isoler l’effet de la séparation des unions libres, nous devons les comparer aux filles nées de parents en union libre qui ne se sont pas séparés. Ainsi, en prenant cette référence (rapports de cotes et coefficients en italique), nous constatons que, parmi les filles nées en union libre, la séparation est associée à un moins bon rendement sur les trois indicateurs ayant trait à la lecture. Notons aussi que parmi les filles n’ayant pas connu la séparation de leurs parents, celles nées en union libre ont obtenu un score plus élevé que celles nées dans le mariage au test de lecture et compréhension (1,176 points supplémentaires). Il s’agit de la seule différence significative entre ces deux groupes.

Cependant, comme nous l’avons constaté précédemment, les caractéristiques des sous-populations à l’étude sont très inégales. Pour nous assurer que les résultats observés dans les modèles initiaux de la première partie du tableau 2 ne sont pas uniquement dus à ces différences de composition ou a un effet de sélection, nous introduisons dans les modèles de la seconde partie du tableau 2 toutes les variables de contrôle relatives aux caractéristiques démographiques des enfants, à la stimulation cognitive, au milieu de vie et aux caractéristiques des parents. Ces variables de contrôle et leurs coefficients sont présentés dans le tableau 4.

Dans la version sans interaction des modèles complets (deuxième partie du tableau 2), nous constatons que les effets « nets » de l’état matrimonial et de la séparation sont assez différents de leurs effets « bruts » de la première partie du tableau. Même si la significativité de l’écart est marginale, nous constatons que les filles nées de parents en union libre ont jusqu’à 50 % plus de chance d’être parmi les premières de leur classe en lecture (1,44) et en écriture (1,51) que les filles nées de parents mariés. Ce résultat, surprenant de prime abord, s’explique facilement en contexte de régression. En effet, malgré le profil socio-économique défavorable des filles nées en union libre (tableau 1 : épisodes de faible revenu et scolarité des parents notamment), leur rendement scolaire est très similaire à celui des filles nées dans le mariage (première partie du tableau 2). En introduisant les variables de contrôle dans les modèles de régressions, nous arrivons à la conclusion que si les filles nées en union libre vivaient dans un milieu identique à celui des filles nées dans le mariage, les premières auraient un rendement plus élevé dans ces deux matières. Les variables de contrôle semblent aussi expliquer une bonne part de l’association négative entre séparation et rendement scolaire que nous retrouvions dans les modèles 1 puisqu’un seul rapport de cotes, en lecture (0,66), demeure marginalement significatif pour la variable de séparation.

Dans la version avec interaction de ces modèles, nous remarquons que les filles de couples en union libre depuis la naissance ont 49 % plus de chances d’être parmi les meilleures en écriture que celles de parents mariés depuis la naissance (1,49). Les filles ayant connu la séparation de parents en union libre ont un rendement scolaire qui ne diffère pas de celui des filles du groupe de référence pour aucun des sept indicateurs. En effet, une fois prise en compte l’influence des variables de contrôle, seules celles nées de couples mariés semblent subir l’effet négatif de la séparation. Ces dernières ont environ deux fois moins de chances d’être parmi les meilleures de leur classe en lecture (0,42) et dans l’ensemble (0,51). Cependant, il est important de spécifier que l’écart entre séparés et non séparés chez les filles nées en union libre n’est jamais significativement plus ou moins large que le même écart chez les filles nées dans le mariage. Remarquons aussi que les écarts ne persistent que pour les évaluations des enseignants et non pour les tests de connaissance où aucun rapport de cotes ou coefficient des variables de trajectoire familiale n’est significatif, une fois incluses les variables de contrôle.

Tableau 2

Rapports de cotes (régressions logistiques) et coefficients non standardisés (régressions linéaires) des variables de trajectoire conjugale des parents pour sept indicateurs du rendement scolaire des filles à la fin de la première année du primaire

Rapports de cotes (régressions logistiques) et coefficients non standardisés (régressions linéaires) des variables de trajectoire conjugale des parents pour sept indicateurs du rendement scolaire des filles à la fin de la première année du primaire

p < 0,1 ; *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001

Un coefficient en italique et souligné dénote une différence significative (p < 0,05) entre séparés et non séparés chez les unions libres.

Source : Institut de la statistique du Québec, ÉLDEQ

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En somme, en introduisant les variables de contrôle dans les modèles, une faible association positive apparaît pour deux indicateurs entre le fait d’être née en union libre et le rendement scolaire. Pour les cinq autres indicateurs, l’association reste nulle comme elle l’était déjà dans les modèles sans variable de contrôle. L’effet négatif de la séparation est réduit de façon importante en passant des modèles 1 (sans variable de contrôle) aux modèles 2 (avec variables de contrôle) et seules les ruptures de mariage semblent parfois entraîner une baisse du rendement scolaire des filles.

Effets bruts et nets des variables de trajectoire conjugale chez les garçons

La situation observée chez les garçons diffère considérablement de celle observée chez les filles. L’association entre séparation et rendement scolaire semble aussi négative chez les garçons que chez les filles dans les modèles sans interaction de la première partie du tableau 3. Cependant, nous constatons un effet négatif marginalement significatif d’avoir des parents en union libre pour le rendement en lecture (0,70). En modérant l’effet de la séparation par l’état matrimonial des parents à la naissance, nous trouvons que les garçons ayant connu la séparation de parents mariés n’ont pas des rendements significativement plus faibles que ceux dont les parents sont restés unis. Notons toutefois qu’une absence de résultats significatifs pour cette catégorie d’enfants particulière n’est peut-être, au moins en partie, qu’une conséquence de son faible effectif, lequel est le plus faible des quatre catégories présentes. Par contraste, les garçons ayant connu la séparation de parents en union libre ont un rendement plus faible pour six des sept indicateurs lorsque le point de comparaison est celui des garçons nés de couples mariés qui sont toujours unis. Mais si la catégorie de comparaison est celle des garçons nés en union libre qui n’ont pas connu la séparation de leurs parents, le rendement est significativement plus faible pour un seul indicateur : ils ont 2,25 fois moins de chances (0,92/0,41) d’être parmi les premiers de classe dans l’ensemble des matières. Parmi les garçons dont les parents sont toujours ensemble, il n’y a pas d’écart de rendement significatif par rapport à l’état matrimonial.

En introduisant les variables de contrôle dans la seconde section du tableau 3, les écarts entre les groupes diminuent généralement. Par exemple, dans les modèles sans interaction, l’effet négatif d’une séparation ne demeure significatif que dans l’ensemble des matières (0,46). Dans les modèles avec interaction, l’impact négatif d’une séparation chez les garçons nés dans le mariage demeure toujours non significatif. Le désavantage des garçons de couples en union libre séparés par rapport à ceux du groupe de référence s’est considérablement rétréci, il n’est plus significatif que dans deux évaluations de l’enseignant (lecture : 0,49 et ensemble : 0,40). En fait, nous constatons désormais un écart significativement positif pour le test de lecture et compréhension (1,375 points). Par rapport aux garçons nés en union libre n’ayant pas connu de séparation (rapport de cotes en italique), ce même désavantage est toujours significatif seulement dans l’ensemble des matières ; les garçons de parents en union libre séparés y ont 2,3 fois moins de chance (0,92/0,40) d’être parmi les premiers de classe. Comme chez les filles toutefois, l’écart de rendement associé à la séparation ne diffère pas significativement entre les enfants de couples mariés ou en union libre, et ce quel que soit l’indicateur.

Tableau 3

Rapports de cotes (régressions logistiques) et coefficients non standardisés (régressions linéaires) des variables de trajectoire conjugale des parents pour sept indicateurs du rendement scolaire des garçons à la fin de la première année du primaire

Rapports de cotes (régressions logistiques) et coefficients non standardisés (régressions linéaires) des variables de trajectoire conjugale des parents pour sept indicateurs du rendement scolaire des garçons à la fin de la première année du primaire

p < 0,1 ; *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001

Un coefficient en italique et souligné dénote une différence significative (p < 0,05) entre séparés et non séparés chez les unions libres.

Source : Institut de la statistique du Québec, ÉLDEQ

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En somme, contrairement à ce que nous observions chez les filles, l’association entre l’état matrimonial des parents et le rendement scolaire des garçons apparaît nulle une fois les variables de contrôle prises en considération. Comme chez les filles cependant, les effets d’une séparation semblent peu importants dans les modèles 2. Le seul écart significatif entre le rendement scolaire des garçons de parents séparés et non séparés se trouve chez ceux nés en union libre. Rappelons que pour les filles, l’écart de rendement lié à la séparation n’existait que pour celles nées dans le mariage.

Influence des variables de contrôle

Parmi les variables de contrôle ayant un lien potentiel avec le rendement scolaire, celles qui ont un impact significatif, positif ou négatif, chez les filles (tableau 4) n’en ont pas nécessairement un chez les garçons (tableau 5), et vice-versa. Parmi les variables démographiques, l’âge en mois semble être un facteur explicatif important pour le rendement scolaire des filles, ce qui n’est pas le cas pour les garçons. De même, être l’aîné des enfants du couple ou avoir une demi-fratrie issue d’une union antérieure d’un parent sont, de façon générale, des caractéristiques associées à un plus fort et un plus faible rendement scolaire respectivement chez les garçons, alors qu’aucune différence n’apparaît chez les filles. En ce qui concerne la stimulation cognitive, la seule variable positivement associée à un meilleur rendement scolaire des garçons est la forte verbalisation de la mère. Chez les filles, l’influence des trois variables est présente, mais varie d’un indicateur à l’autre.

En ce qui concerne les variables décrivant le milieu socio-économique et relationnel, nous trouvons qu’un plus grand nombre d’épisodes passés en mauvaise santé est négativement associé au rendement scolaire des garçons dans les quatre matières évaluées par les enseignants, mais uniquement pour le test de connaissance des nombres chez les filles. Les résultats montrent le peu d’effet net, pour les deux genres, des symptômes élevés de dépression de la mère, de la qualité du fonctionnement familial, du principal mode de garde et du nombre d’épisodes passés sous le seuil de faible revenu. Le faible effet de cette dernière variable ne semble pas dû à la spécification de la variable puisque des formes alternatives ont été testées avec le même résultat[14].

Tableau 4

Rapports de cotes (régressions logistiques) et coefficients non standardisés (régressions linéaires) des variables de contrôle pour sept indicateurs du rendement scolaire des filles à la fin de la première année du primaire (modèles avec interaction)

Rapports de cotes (régressions logistiques) et coefficients non standardisés (régressions linéaires) des variables de contrôle pour sept indicateurs du rendement scolaire des filles à la fin de la première année du primaire (modèles avec interaction)

p < 0,1 ; *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001

Source : Institut de la statistique du Québec, ÉLDEQ

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Tableau 5

Rapports de cotes (régressions logistiques) et coefficients non standardisés (régressions linéaires) des variables de contrôle pour sept indicateurs du rendement scolaire des garçons à la fin de la première année du primaire (modèles avec interaction)

Rapports de cotes (régressions logistiques) et coefficients non standardisés (régressions linéaires) des variables de contrôle pour sept indicateurs du rendement scolaire des garçons à la fin de la première année du primaire (modèles avec interaction)

p < 0,1 ; *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001

Source : Institut de la statistique du Québec, ÉLDEQ

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Enfin, parmi les caractéristiques des parents, avoir une mère âgée de plus de 36 ans à la naissance a un effet positif en lecture et dans l’ensemble pour les garçons, mais un effet négatif sur le test de lecture et déchiffrement. Lorsque le père est âgé de plus de 39 ans, l’effet est généralement inverse. Chez les filles, l’âge de la mère ne semble pas être associé au rendement scolaire, alors qu’avoir un père jeune l’est négativement pour deux indicateurs sur sept. L’association positive nette entre une année supplémentaire de scolarité de la mère ou du père et le rendement scolaire des filles est pratiquement toujours significative ; mais chez les garçons, en particulier pour la scolarité du père, l’association positive apparaît moins importante. Puisqu’il existe une forte corrélation entre les deux variables de scolarité en raison de l’homogamie éducationnelle des couples (r = 0,55), l’influence nette de chacune est plus difficile à établir en contexte de régression. En testant l’effet conjoint de la scolarité de la mère et du père avec un test Wald[15] (avant-dernière ligne des tableaux 4 et 5), nous trouvons que la scolarité des parents est importante partout, quoiqu’elle semble effectivement l’être plus pour les filles que pour les garçons. Une des seules similitudes entre les deux genres est que les unilingues francophones obtiennent des scores nettement plus élevés que les autres aux deux tests de lecture du K-ABC. Cet écart linguistique reflète probablement surtout une différence entre les versions française et anglaise du test.

Conclusion

Trois résultats principaux apparaissent à l’issue de cette étude. Premièrement, l’association entre l’union libre et le rendement scolaire des enfants au début du primaire, une fois prise en compte une variété d’autres facteurs, est presque toujours nulle, sauf dans quelques cas isolés chez les filles (évaluations de l’enseignant en lecture et en écriture) où elle est légèrement positive. Le très faible écart de rendement scolaire entre les enfants nés en union libre et ceux nés dans le mariage, observé dans les analyses bivariées, est annulé ou rendu très légèrement positif lorsque nous prenons en compte le statut socio-économique plus faible des enfants nés en union libre. Contrairement à ce que les recherches aux États-Unis ont montré, le bien-être scolaire des enfants québécois ne semble donc pas souffrir d’une naissance en union libre. Ce résultat est probablement le reflet du fait que l’union libre au Québec a progressivement atteint un statut de substitut ou d’alternative au mariage dans les dernières décennies. Des comparaisons de l’effet de l’union libre entre des sociétés où elle n’a pas la même signification sociale sont recommandées pour vérifier cette hypothèse. De même, et bien qu’elle soit relativement faible, l’identification d’une association positive chez les filles ouvre la voie à plusieurs questionnements qui méritent d’être poursuivis : comment l’union libre peut-elle affecter positivement (ou même négativement) le rendement scolaire ? Pourquoi cet effet touche-t-il uniquement les filles ? Se pourrait-il que les valeurs des parents en union libre — particulièrement la plus grande importance accordée à l’égalité des genres et une plus forte indépendance économique des conjoints — se traduisent par une attention particulière donnée à la scolarisation des filles ?

Deuxièmement, même après avoir introduit en variables de contrôle plusieurs caractéristiques des familles, nous trouvons toujours un effet négatif de la séparation des parents sur le rendement scolaire des enfants. Cet effet est toutefois limité à deux des sept indicateurs employés (évaluation de l’enseignant en lecture et dans l’ensemble). L’association négative que nous avions trouvée dans les analyses bivariées entre la séparation et trois autres indicateurs (évaluations en écriture et en mathématiques, et test de lecture et déchiffrement) semble être essentiellement liée à des différences de composition. Enfin, les deux derniers indicateurs (tests de lecture et compréhension, et connaissance des nombres) n’ont jamais été associés négativement avec la séparation. Certes, le désavantage associé à la séparation d’une union libre n’est jamais significativement différent de celui associé à la séparation d’un mariage pour les filles et les garçons, mais les quelques effets significatifs identifiés varient selon l’état matrimonial et selon le genre. Par exemple, les deux seuls cas où nous constatons un effet négatif de la séparation pour les filles (évaluation de l’enseignant en lecture et dans l’ensemble) concernent celles qui sont nées dans le mariage. À l’opposé, l’unique autre cas, chez les garçons, concerne ceux nés de couples en union libre (évaluation de l’enseignant dans l’ensemble). Si nos résultats ne nous permettent pas de conclure que la rupture conjugale des parents affecte un genre davantage que l’autre ou que ses effets se font sentir plus fortement dans un type d’union plutôt que dans un autre, nous y voyons toutefois l’indice d’un effet différencié de la séparation selon l’état matrimonial des parents et le genre de l’enfant.

Cette variabilité de l’effet d’une séparation pose, entre autres, la question de l’effet moyen. Est-ce qu’une rupture de l’union parentale affecte tous les enfants de la même manière ? Ou ne serait-il pas plus juste de supposer que certains en souffrent beaucoup, que d’autres en profitent et que d’autres encore y sont indifférents ? Ces questions, qui devraient susciter un intérêt grandissant, n’ont pu être abordées dans la présente étude, car nous nous sommes intéressés non seulement à des enfants dont les parents se sont séparés, mais aussi à des enfants dont les parents sont restés unis. Ainsi, nous n’avons pas pu investiguer plus en profondeur le rôle modérateur de plusieurs facteurs qui ne s’appliquent qu’aux premiers, tels que le type de garde après la rupture, l’intensité des contacts avec le parent non gardien, l’âge à la séparation, la qualité de la relation conjugale avant et après la rupture, les trajectoires conjugales des parents suite à la séparation, etc. Une façon de peut-être mieux appréhender la relation entre la séparation et le rendement scolaire, ou le bien-être des enfants plus généralement, serait d’exploiter cette information en se concentrant uniquement sur un groupe d’enfants ayant connu la séparation de leurs parents.

Troisièmement, et c’est peut-être là le résultat le plus significatif de l’étude considérant l’importance qu’il prend dans les deux points précédents, le genre de l’enfant semble avoir un effet modérateur important dans la relation entre le rendement scolaire et les variables explicatives de nos modèles, que ce soient les trajectoires familiales ou les autres caractéristiques ajoutées en tant que variables de contrôle. Si filles et garçons réagissent différemment au fait d’avoir des parents en union libre ou de connaître une séparation, il existe peut-être une association entre les transformations récentes des trajectoires familiales et l’écart actuel entre les performances scolaires des filles et des garçons (Cooper et collab., 2011). Les recherches futures, autant en démographie de la famille qu’en sciences de l’éducation, devraient continuer à approfondir ces différences de genre pour tenter d’en expliquer la dynamique.

Finalement, compte tenu de l’évolution rapide du statut de l’union libre, de la banalisation statistique des ruptures conjugales et de l’inversion du rapport de force scolaire entre les genres dans les dernières décennies, il est peu probable que les relations mises à jour ici soient demeurées constantes au fil du temps. Il importe donc de réaliser ce genre d’analyse pour d’autres périodes de la vie de ces enfants ainsi que pour d’autres cohortes afin d’établir si ces effets se transforment entre les périodes et entre les générations. Il serait aussi préférable d’étendre la gamme des indicateurs de bien-être utilisés. Cela permettrait de vérifier s’il est anodin ou révélateur que l’association entre la trajectoire conjugale des parents et le rendement scolaire n’apparaisse qu’au niveau des indicateurs relevant du jugement des enseignants, et qu’elle ne soit pas aussi marquée dans les indicateurs psychométriques. Ces derniers, sans être totalement objectifs, sont moins tributaires des opinions et des sentiments de celui ou celle qui effectue la mesure. De même, il faut poursuivre la réflexion sur cette notion de « bien-être » des enfants (Kempenners et Dandurand, 2001), un concept fréquemment employé dans des situations où les effets redoutés sont finalement assez faibles, voire inexistants.