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Introduction

Bien qu’il semble difficile de définir ce qu’est la cohésion sociale, les notions d’égalité et de réduction des disparités sociales et économiques en font toujours partie. Dans une étude comparative internationale publiée en 2000 par le ministère du Patrimoine canadien, la définition de la cohésion sociale retenue par le Réseau sur la cohésion sociale[1] se lit comme suit : « La cohésion sociale est un processus dynamique qui consiste à développer, à travers le Canada, un ensemble de valeurs communes, de défis communs et d’égales opportunités, basé sur les sentiments de confiance, d’espoir et de réciprocité de tous les Canadiens » (Jeannotte, 2000 : 5).

L’auteur de ce rapport constate par ailleurs que tant l’Union européenne, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) que le Conseil européen considèrent que le non-emploi, la pauvreté, les inégalités de revenus constituent une menace à la cohésion sociale. Cette question a été explorée plus en profondeur au Canada où, comme ailleurs, le marché du travail a subi d’importants bouleversements au cours des dernières décennies : tertiarisation de l’emploi, féminisation, polarisation sociale et redéploiement géographique des emplois (Rose et Villeneuve, 1993). D’autres chercheurs ont constaté que la croissance économique soutenue ainsi que la création massive d’emplois des trente dernières années dissimulaient en réalité une crise profonde dans le marché de l’emploi canadien, crise centrée autour de la détérioration de la qualité des emplois disponibles, tant en ce qui a trait à la sécurité des emplois qu’à l’insuffisance des revenus (Burke et Shields, 2001). La marginalisation économique croissante, la polarisation et la vulnérabilité croissante du marché contribueraient ainsi à l’érosion de la cohésion sociale canadienne.

Par ailleurs, dans un article éclairant, Kearns et Forrest (2000) incluent, parmi les dimensions constituantes de la cohésion sociale, la solidarité sociale et la réduction des disparités sociales et économiques entre les régions et les groupes. La cohésion sociale impliquerait, entre autres choses, de meilleures possibilités pour des activités génératrices de revenus, la réduction de la pauvreté, de moins grandes disparités entre les revenus, l’emploi et la compétitivité, une meilleure qualité de vie ainsi qu’un meilleur accès aux avantages sociaux. De plus, la polarisation socio-spatiale intra-urbaine est l’une des dimensions de la cohésion sociale sur lesquelles une ville ou une région urbaine peut mieux intervenir que ne le ferait une instance supérieure sur la base d’hypothèses nationales sur l’exclusion sociale. Les politiques développées à l’échelle locale des villes permettent d’identifier des zones d’exclusion et de cibler de petits îlots de pauvreté, indépendamment de leur localisation dans les quartiers centraux ou périphériques d’une ville.

La réduction des disparités sociales et économiques inhérente à la cohésion sociale interpelle principalement le domaine de l’emploi, dont dépend essentiellement le revenu des personnes et des ménages (Burke et Shields, 2001). Nous proposons ici d’explorer cette dimension de la cohésion sociale dans la région urbaine de Québec par l’entremise des facteurs géographiques de mobilité quotidienne vers les lieux de travail et d’accessibilité aux lieux d’emplois. Dans le contexte du marché du travail en milieu urbain, l’accessibilité renvoie au nombre d’occasions d’emplois disponibles à l’intérieur d’une certaine distance ou durée de déplacement à partir du lieu de résidence, alors que la mobilité se définit par la capacité des personnes à se déplacer et à se prévaloir de ces occasions d’emplois. Plus la densité d’emplois et de résidences est faible, plus il est nécessaire d’accroître sa mobilité afin de maintenir son niveau d’accessibilité (Hanson et Schwab, 1995).

Accessibilité, mobilité et marché du travail : quels sont les liens?

Plusieurs auteurs ont analysé l’influence de l’accessibilité spatiale aux emplois sur la participation au marché du travail, particulièrement chez les groupes de personnes qui ne peuvent modifier facilement leur localisation résidentielle (Wachs et Kumagai, 1973; Black et Conroy, 1977). Ainsi, la participation des femmes au marché du travail ne dépendrait pas seulement de facteurs individuels ou relatifs au ménage, comme le statut matrimonial, la présence ou l’absence d’enfants, le niveau de scolarité et l’ethnie, mais aussi de l’accessibilité convenable à des emplois « appropriés » (Howe et O’Connor, 1982; Gordon et al., 1989a; Ward et Dale, 1992). Les emplois « appropriés » font généralement référence aux emplois à dominance féminine, tandis que la notion d’accessibilité convenable est plus difficile à définir. Deux hypothèses de recherche découlent de l’analyse de l’accès spatial aux emplois : la discordance spatiale (spatial mismatch) et le confinement spatial (spatial entrapment).

Proposée à la fin des années 1960 pour décrire un ensemble de barrières géographiques à l’emploi pour les résidents d’origine africaine résidant dans les quartiers centraux des villes nord-américaines, l’hypothèse de discordance spatiale de Kain (1968) continue d’être évoquée lorsqu’on tente d’expliquer la persistance de la pauvreté et du non-emploi dans certains quartiers centraux, alors que les lieux d’emploi se situent en banlieue (Wilson, 1996). Preston et McLafferty (1999) définissent la discordance spatiale comme un ensemble de barrières géographiques à l’emploi pour les résidants des quartiers centraux, mises en place à la suite de changements sociaux et économiques, ainsi que les impacts de ces barrières sur le marché du travail. Considérée comme un facteur contribuant au sous-emploi des jeunes hommes appartenant aux minorités visibles (Holzer, 1991; Fernandez, 1994; Ihlanfeldt et Sjoquist, 1990; Cooke, 1997), la discordance spatiale a été ensuite mise en cause dans le sous-emploi des femmes chefs de famille monoparentale ou appartenant à une minorité visible (McLafferty et Preston, 1992; Preston et al., 1993; Johnston-Anumonwo, 1995; Johnston-Anumonwo et al., 1995). Les travaux de McLafferty et Preston (1996, 1997) montrent que les durées de déplacement des femmes des groupes minoritaires sont toujours plus longues que les durées de déplacement des autres femmes, même compte tenu des variations de revenus. Ces longs déplacements leur permettent d’accéder à des emplois mieux payés tout en résidant en banlieue lointaine ou dans des logements peu dispendieux. Le problème de discordance spatiale s’expliquerait alors en partie par un accès limité à l’automobile et par la dépendance à l’égard du transport public (Preston et McLafferty, 1999).

Quant à l’hypothèse du confinement spatial, elle a été proposée par la recherche féministe sur la géographie de l’emploi et concerne plus particulièrement les femmes (Hanson et Pratt, 1988 et 1991). Cette hypothèse de recherche suggère que certaines entreprises se localisent à proximité des bassins de main-d’oeuvre féminine, la plupart du temps situés dans les banlieues des grandes villes. En effet, les femmes des couches moyennes qui demeurent en banlieue sont vues comme une main-d’oeuvre peu coûteuse, étant donné leurs responsabilités domestiques et familiales et le salaire d’appoint qu’elles apportent au ménage, tout en étant scolarisées et non syndiquées (Nelson, 1986). Ne disposant généralement pas d’un véhicule automobile, ces femmes sont prêtes à délaisser les emplois mieux payés mais distants en faveur d’emplois locaux sous-payés, qui leur permettent de remplir leur rôle familial. En résulte une aire de recherche d’emploi réduite compara-tivement à celle des hommes (Blumen et Kellerman, 1990; Gordon et al., 1989b; Hanson et Pratt, 1988). Notons qu’une perspective plus nuancée de la théorie du confinement spatial a été apportée par Hanson et Pratt (1995) dans leur analyse poussée du marché du travail à Worcester (Massachusetts), ainsi que par England (1995) dans ses travaux sur l’emploi clérical à Columbus (Ohio) : les femmes qui cherchent un emploi non spécialisé ou semi-spécialisé concentrent leurs efforts très localement, là où les réseaux sociaux sont les plus denses. S’appuyant souvent sur des réseaux informels d’information, les femmes recherchant un emploi non spécialisé ou semi-spécialisé trouvent des emplois plus près de leur résidence que les femmes hautement spécialisées. À Montréal, Chicoine (2001) a analysé les impacts de la relocalisation à la périphérie d’emplois de bureau auparavant localisés au centre de l’île sur l’accessibilité spatiale à l’emploi du personnel féminin montréalais. Bien qu’elle n’ait pas observé de discordance ni de confinement spatial dans leurs formes les plus pures, l’auteure en constate l’existence sous une forme atténuée : l’espace n’est pas toujours synonyme de contraintes et la relation entre espace et insertion professionnelle prend diverses formes, médiatisées par l’augmentation générale du degré de mobilité des femmes et par la capacité des acteurs (employées et employeurs) à faire preuve de stratégie.

L’amélioration de la mobilité des travailleurs et des travailleuses par la disponibilité et l’usage de divers moyens de transport (automobile et transport public) est une des façons de contrer la captivité spatiale. D’une part, la forte augmentation de la participation des femmes à la main-d’oeuvre est liée aux changements observés dans la mobilité des personnes et des ménages en milieu urbain nord-américain (Villeneuve et Vandersmissen, 2000). D’autre part, l’inefficacité temporelle et spatiale du transport public peut réduire l’accessibilité aux emplois, peu importe que la zone de résidence soit riche ou pauvre en emplois (Cooke, 1997). Par ailleurs, en examinant l’impact de la distance résidence-emploi et du mode de transport sur les revenus des travailleurs à Scarborough, en banlieue de Toronto, Rutherford et Wekerle (1988) montrent l’importance de l’accès à l’automobile : lorsque les coûts de déplacement sont comparés aux gains salariaux potentiels, les femmes, et plus particulièrement celles qui utilisent le transport public, ont moins à gagner que les hommes, lorsqu’elles couvrent de plus longues distances vers le travail. La ségrégation des emplois occupés par les hommes et les femmes et la concentration de ces dernières dans des emplois tertiaires peu qualifiés et à petit salaire expliquent en partie ce désavantage des femmes. La capacité de se mouvoir et d’avoir accès aux emplois offerts rendrait compte d’une partie non négligeable de la disparité des salaires entre les hommes et les femmes.

Enfin, nos récents travaux sur l’agglomération urbaine de Québec ont montré qu’une meilleure accessibilité aux emplois en automobile, un meilleur accès des femmes à l’automobile pour se rendre au travail et de plus longs déplacements vers le travail ont contribué à l’augmentation des taux d’activité féminins entre 1977 et 1996. De plus, la progression des femmes à l’intérieur du marché du travail, au cours de cette période, a également été favorisée par l’amélioration de l’accès des femmes à l’automobile ainsi que par l’allongement de la durée des déplacements féminins vers le travail (Vandersmissen et al., 2001).

Ces résultats nous permettent de formuler l’hypothèse qu’une plus grande mobilité des personnes (tant en automobile qu’en transport public) facilite l’accessibilité aux lieux d’emplois. L’accès à un plus large éventail d’emplois favoriserait ensuite la progression professionnelle, ce qui signifierait généralement l’amélioration du revenu individuel ou familial, et la réduction, éventuellement, de certaines disparités socio-économiques intraurbaines, le tout favorisant la cohésion sociale.

Sans aucun doute, cette hypothèse générale est difficile à vérifier de façon empirique. En effet, si la mobilité et l’accessibilité sont mesurables, on ne peut en dire autant de la cohésion sociale, bien qu’un certain nombre d’indicateurs puissent être utilisés, particulièrement en ce qui concerne le marché du travail (Burke et Shields, 2001). Nous proposons donc ici de faire état des résultats de nos plus récentes recherches sur l’évolution de l’accès à l’automobile et de l’accessibilité aux emplois dans la région urbaine de Québec au cours des dernières décennies et de vérifier l’existence de liens avec un indicateur de cohésion sociale : le taux d’emploi.

Données

L’analyse de la mobilité des personnes et de l’accessibilité des lieux d’emplois dans la région urbaine de Québec repose sur l’exploitation des données extraites des enquêtes origine-destination (OD) du Réseau de transport de la capitale (RTC) (anciennement la Société de transport de la Communauté urbaine de Québec), réalisée tous les cinq ans depuis 1977[2]. Les enquêtes OD permettent de déterminer les caractéristiques des déplacements quotidiens d’un échantillon représentatif de ménages demeurant dans la région urbaine de Québec (approximativement 11 %). Ces caractéristiques concernent, entre autres, le but du déplacement, le mode de transport, l’heure, le lieu d’origine, le lieu de destination. Les enquêtes définissent également les individus qui se déplacent (âge, sexe, occupation), les ménages qu’ils forment (nombre de personnes dans le foyer) ainsi que certaines ressources dont disposent ces ménages (nombre d’automobiles dans le foyer, possession d’un laissez-passer RTC, possession d’un permis de conduire). En raison d’une couverture spatiale non uniforme, les échantillons obtenus par les enquêtes OD sont corrigés par des facteurs d’expansion[3] établis à partir des données du recensement de Statistique Canada.

Évolution de l’accès à l’automobile, 1981-1996

Comme nous l’avons déjà mentionné, les enquêtes OD réalisées par le RTC contiennent de l’information sur la motorisation des ménages. Il est donc aisé d’estimer combien de ménages sont motorisés et combien ne le sont pas. Ainsi, en 1996, dans l’agglomération urbaine de Québec, 84 % des ménages étaient motorisés et 16 % ne l’étaient pas. Toutefois, nous savons peu de choses sur l’accès réel ou effectif à l’automobile parmi les membres des ménages motorisés, à l’exception du fait que les ressources liées à l’automobile ne sont pas toujours également partagées entre les membres des ménages motorisés. Nous avons donc, avec des chercheurs du Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD), mis au point une typologie qui permet de définir les formes d’accès à l’automobile sur la base des ressources disponibles au moment où le déplacement est effectué[4]. Ces ressources se rapportent au ménage (présence d’une automobile, présence d’un conducteur) ainsi qu’à la personne qui se déplace (possession d’un permis de conduire) (tableau 1). Cette typologie a ensuite été appliquée par programmation aux enquêtes OD de 1981 et de 1996, ce qui nous a permis d’analyser l’évolution des conditions dans lesquelles sont effectués les déplacements ayant le lieu de résidence pour origine : accès effectif à l’automobile[5] (type a1), accès non effectif à l’automobile du ménage (types a2, a3, b1, b2, b3) ou situation de ménage non motorisé (type c).

Tableau 1

Typologie des déplacements (à partir des lieux de résidence), selon la présence de ressources liées à l’utilisation de l’automobile

Typologie des déplacements (à partir des lieux de résidence), selon la présence de ressources liées à l’utilisation de l’automobile

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Sans grande surprise étant donné la motorisation croissante de la population urbaine de Québec[6], le poids des déplacements effectués dans des conditions d’accès effectif à l’automobile a nettement augmenté entre 1981 et 1996 (tableau 2). Toutefois, en 1996, près de 27 % des déplacements ont été effectués dans des conditions d’accès non effectif à l’automobile (types a2 à b3) et, si l’on considère les déplacements effectués en situation de non-accès « permanent » à l’automobile (type c), 34 % des déplacements provenant du lieu de résidence sont effectués sans accès réel ou effectif à une automobile. Ces proportions sont bien sûr inférieures à leur niveau de 1981. Un autre élément intéressant révélé par le tableau 2 porte sur les différences importantes de l’accès effectif à l’automobile entre les hommes et les femmes. Ainsi, malgré une proportion plus grande de déplacements effectués dans des conditions d’accès effectif à l’automobile en 1996 comparativement à 1981, l’accès effectif des femmes à l’automobile demeure significativement inférieur à celui des hommes.

Tableau 2

Fréquences des déplacements selon les conditions d’accès à l’automobile et selon le sexe

Fréquences des déplacements selon les conditions d’accès à l’automobile et selon le sexe

(échantillon pondéré)

*test unilatéral de différence des proportions

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Les conditions d’accès à l’automobile pour les déplacements entre le lieu de résidence et le lieu de travail varient considérablement selon la localisation résidentielle (tableau 3). En 1996, 70 % des déplacements résidence-travail en provenance de la zone centrale de l’agglomération étaient effectués dans des conditions d’accès effectif à l’automobile du ménage, comparativement à 97 % à partir des zones périphériques. En 1981, les pourcentages étaient respectivement de 64 % et de 95 %. Le poids des déplacements résidence-travail effectués en situation d‘accès non effectif à l’automobile du ménage est plus élevé à partir des zones centrales (7 %) que des zones périphériques (2,5 %), bien que les volumes de déplacements correspondants soient plus faibles. De façon plus précise, près d’un millier de déplacements résidence-travail en provenance de la zone centrale ont été effectués dans des conditions d’accès non effectif à l’automobile du ménage, environ 3000 à partir des anciennes banlieues, 5800 à partir des nouvelles banlieues et 1400 environ à partir des zones périphériques. Dans l’ensemble, c’est un peu plus de 11 000 déplacements qui ont été effectués par des membres de ménages motorisés, mais n’ayant pas accès à l’automobile du ménage au moment de se rendre au travail. Si l’on tient compte des déplacements résidence-travail effectués par les membres des ménages non motorisés (nettement plus nombreux à partir des zones centrales), on obtient un peu plus de 22 000 déplacements entre le lieu de résidence et le lieu de travail effectués sans accès réel ou effectif à l’automobile. Un certain nombre de ces déplacements sont effectués en automobile (à titre de passager), en autobus ou à pied. Toutefois, on peut s’interroger sur la capacité réelle des résidants de l’agglomération urbaine de Québec ne disposant pas d’un accès réel ou effectif à l’automobile à rejoindre des lieux d’emplois qui ont tendance à se relocaliser, plutôt de façon dispersée selon Villeneuve et Vandersmissen (2002), dans les nouvelles banlieues.

Tableau 3

Fréquence des déplacements résidence-travail selon les conditions d’accès à l’automobile et selon la localiation résidentielle, 1981 et 1996

Fréquence des déplacements résidence-travail selon les conditions d’accès à l’automobile et selon la localiation résidentielle, 1981 et 1996

(échantillon pondéré)

* test unilatéral de différence des proportions entre 1981 et 1996

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Évolution de l’accessibilité aux emplois en automobile, 1977-1996

La figure 1 illustre les changements de l’indice d’accessibilité aux emplois en automobile et en transport public (autobus) à partir des 214 zones de résidence dans l’agglomération urbaine de Québec, en 1977 et 1996. Les indices d’accessibilité, calculés séparément pour chacun des modes de transport et standardisés, reposent sur le modèle de gravité[7] et permettent une bonne mesure de l’équilibre entre les emplois et les résidences (Levinson, 1998). L’accessibilité est le produit d’une mesure de friction du temps – soit la fonction d’impédance du modèle de gravité appliquée au temps de déplacement entre deux points – et d’un élément reflétant la distribution spatiale de l’activité en question, dans ce cas-ci, les emplois. La mesure d’accessibilité pondère les destinations disponibles par une mesure du temps : plus le temps de déplacement est élevé, plus faible est le poids. Les équations sont les suivantes:

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Figure 1

Changement de l’indice d’accessibilité aux emplois entre 1977 et 1996 selon le mode de transport, agglomération urbaine de Québec

Changement de l’indice d’accessibilité aux emplois entre 1977 et 1996 selon le mode de transport, agglomération urbaine de Québec
Sources : Enquêtes origine-destination de la STCUQ 1977 et 1996; périmètres d’urbanisation tirés de Anken (2000).

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Les données sont tirées des enquêtes origine-destination réalisées en 1977 et 1996 par le RTC. Les durées de déplacement proviennent d’une modélisation des déplacements dans un système d’information géographique (SIG) et de gestion de données en transport. Le nombre d’emplois n’étant pas disponible à l’échelle des 214 zones du RTC, nous avons utilisé le nombre total de déplacements-travail pondéré par des facteurs d’expansion dérivés des données de recensement, peu importe le mode, ayant pour destination la zone j. Les équations suivantes précisent la fonction d’impédance des modèles de gravité dans lesquels la variable dépendante est la transformation logarithmique du nombre de déplacements vers le travail, tandis que la durée de ces déplacements et sa transformation en sont les variables indépendantes. Afin d’assurer un meilleur ajustement du modèle, les déplacements ont été regroupés en classes de cinq minutes, selon la procédure d’agrégation proposée par Levinson (1998). Les fonctions d’impédance ont produit les valeurs suivantes:

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L’analyse de la figure 1, où seule la partie occupée par les résidences est montrée, révèle la dispersion de l’habitat ainsi que les changements importants des indices d’accessibilité entre 1977 et 1996. Le critère retenu ici est le changement dans la situation d’un indice d’accessibilité par rapport à la moyenne, entre 1977 et 1996. Par exemple, l’indice d’accessibilité aux emplois en automobile d’une zone pouvait être inférieur à la moyenne en 1977, mais supérieur à la moyenne en 1996, ce qui constitue une amélioration de l’accessibilité, alors que l’inverse (indice supérieur à la moyenne en 1977 et inférieur à la moyenne en 1996) constitue une diminution de l’accessibilité. Un peu moins de la moitié des zones (96/214) ont connu de tels changements entre 1977 et 1996. La plupart des zones caractérisées par une amélioration de l’accessibilité aux emplois en autobus entre 1977 et 1996 sont situées dans les nouvelles banlieues de l’agglomération (Cap-Rouge, L’Ancienne-Lorette, Loretteville, Charlesbourg et Beauport), tandis que l’accessibilité aux emplois en automobile s’est améliorée au-delà de ces nouvelles banlieues, en zone périphérique (Val-Bélair, Lac-Saint-Charles, Saint-Jean-de-Boichâtel, etc.)[8]. Cette migration s’explique, entre autres, par l’évolution particulière de la structure urbaine de Québec entre 1977 et 1996, soit l’adaptation graduelle des emplois et des résidences au nouveau contexte créé par la construction d’un système autoroutier extensif autour de la fin des années 1970.

Quant à l’amélioration de l’accessibilité en autobus, elle s’explique en bonne partie par l’amélioration de la desserte en autobus dans les principaux noyaux urbains situés en banlieue, à l’aide des parcours express (parcours unidirectionnels aux heures de pointe desservant les banlieues par le réseau autoroutier) et également par l’amélioration du service sur les principaux axes d’activités, grâce à la mise en place d’un service d’autobus à haute fréquence appelé « Métrobus », caractérisé par une vitesse de parcours plus élevée en raison d’arrêts distants et de la circulation sur des voies réservées aux heures de pointe.

L’accessibilité aux emplois en autobus a toutefois diminué entre 1977 et 1996 dans plusieurs zones situées dans les anciennes banlieues (Sainte-Foy, Sillery) et encore plus dans quelques zones situées dans les nouvelles banlieues. Il est possible que cette moins bonne accessibilité aux emplois résulte de la réduction ou de l’abandon de service dans certaines parties de la ville, du fait de l’application de normes de performance et de l’amélioration du service dans d’autres secteurs, tout cela dans un contexte budgétaire serré (CTCUQ, 1991). Cette diminution de service peut se traduire par des temps de déplacement plus longs, ce qui entraînerait une diminution de l’accessibilité aux emplois.

La question qui se pose à présent est donc la suivante : existe-t-il dans l’agglomération urbaine de Québec des zones de résidence définies par une faible accessibilité aux emplois, particulièrement en transport public? En d’autres termes, des résidants de certaines zones de la ville, particulièrement ceux qui ne disposent pas d’un accès réel à l’automobile, éprouveraient-ils plus de difficulté que d’autres à rejoindre les lieux d’emplois? La figure 2 nous apporte la réponse tant pour 1977 que pour 1996. Le critère que nous avons retenu ici pour définir une faible accessibilité aux emplois est un indice sous la moyenne pour l’année considérée. Le premier constat est rassurant : le nombre de zones qui offrent à leur résidants une faible accessibilité aux emplois a diminué entre 1977 et 1996, passant de 50 à 41 (figure 2). Le deuxième constat l’est beaucoup moins : 71 zones sur 214, soit une zone sur trois, sont définies par une accessibilité aux emplois inférieure à la moyenne, à la fois en 1977 et en 1996. Ces zones sont dispersées tant dans les quartiers centraux (Vieux-Québec), les anciennes banlieues (Sainte-Foy, Charlesbourg) que les nouvelles banlieues (L’Ancienne-Lorette, Beauport) et les zones périphériques (Val-Bélair, Lac-Saint-Charles). S’ajoutent à ces zones, les zones offrant une accessibilité inférieure à la moyenne en 1996 seulement, qui, elles aussi, sont essentiellement situées en banlieue.

Connaissant les difficultés inhérentes au maintien d’un service de transport urbain équitable dans une agglomération urbaine dont la population est dispersée, il n’est pas surprenant de voir que plusieurs zones périphériques offrent une faible accessibilité aux emplois en autobus. Ces zones sont pourtant desservies par les parcours d’autobus, planifiés toutefois dans le but d’assurer un va-et-vient aisé des banlieues vers les zones centrales (comme une partie du réseau autoroutier). Or, les lieux d’emplois, comme les lieux de résidence, se sont considérablement dispersés dans l’agglomération urbaine de Québec au cours des dernières décennies, bien que la zone centrale de l’agglomération de Québec demeure un lieu d’emploi important dans la région (Colline parlementaire et édifices gouvernementaux). Ainsi selon les enquêtes OD de 1977 et 1996, pour un territoire comparable, seulement 23,2 % des déplacements-travail ont pour destination la zone centrale en 1996, comparativement à 32,8 % en 1977. Le transport public s’adapte difficilement à cette dispersion des lieux d’emplois et le transport entre les banlieues ou les zones périphériques n’est pas aisé, de sorte que ce sont les zones de résidence les plus centrales de l’agglomération qui offrent une accessibilité aux emplois supérieure à la moyenne, en autobus du moins.

Figure 2

Zones de résidence dont l’accessibilité aux emplois en autobus est inférieure à la moyenne, agglomération urbaine de Québec

Zones de résidence dont l’accessibilité aux emplois en autobus est inférieure à la moyenne, agglomération urbaine de Québec
Sources : Enquêtes origine-destination de la STCUQ 1977 et 1996; périmètres d’urbanisation tirés de Anken (2000).

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Accès à l’automobile dans les ménages motorisés, accessibilité aux emplois et cohésion sociale

Sans établir de relation directe de cause à effet entre l’accès à l’automobile, l’accessibilité aux emplois et la cohésion sociale, nous pouvons vérifier quelques liens découlant de l’hypothèse générale esquissée en introduction : une plus grande mobilité des personnes facilite l’accessibilité aux lieux d’emplois qui favorise ensuite la progression professionnelle, celle-ci ayant un effet positif sur le revenu individuel ou familial, ce qui réduirait, éventuellement, certaines disparités socio-économiques intra-urbaines, le tout favorisant la cohésion sociale.

L’amélioration de l’accès réel à l’automobile dans les ménages motorisés entre 1981 et 1996 est un élément positif, du point de vue de l’accessibilité aux emplois du moins, dans le contexte de la dispersion des lieux de résidence et d’emplois. Il ne serait pas surprenant de constater que les zones où l’accès effectif à l’automobile a augmenté correspondent aux zones où l’accessibilité aux emplois a également augmenté. En dépit du fait que les périodes ne sont pas exactement les mêmes, une analyse de corrélation a été réalisée, à l’échelle des zones, entre les pourcentages de déplacements effectués dans des conditions d’accès réel à l’automobile (1981 et 1996) et l’accessibilité aux emplois en automobile (1977 et 1996) (tableau 4). L’accessibilité aux emplois en automobile est positivement reliée à la proportion de déplacements effectués dans des conditions d’accès effectif à l’automobile en 1996, tandis que la relation est inverse pour 1977/1981. Cette relation inverse peut s’expliquer par le fait qu’en 1977, l’accessibilité aux emplois était faible à partir des nouvelles banlieues et des zones périphériques, là où précisément la proportion de déplacements effectués dans des conditions d’accès effectif à l’automobile était déjà plus élevée qu’ailleurs. En 1996, l’accessibilité aux emplois est élevée à partir des nouvelles banlieues et des zones périphériques, tout comme l’accès effectif à l’automobile.

Tableau 4

Corrélation entre accès effectif à l’automobile et accessibilité aux emplois en automobile*

Corrélation entre accès effectif à l’automobile et accessibilité aux emplois en automobile*

*- Coefficients de corrélation partielle, variable de contrôle : distance entre la zone de résidence et l’axe central de l’agglomération

- Accès effectif à l’automobile = proportion de déplacements effectués dans ces conditions, par zone

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Malgré l’amélioration de l’accès effectif à l’automobile, près de 22 000 dépla-cements quotidiens vers le travail dans l’agglomération urbaine de Québec sont effectués dans des conditions de non-accès réel (ménages non motorisés) ou effectif à l’automobile. Pour l’ensemble du territoire, 40 % de ces déplacements sont réalisés en autobus (43,6 % en 1981), 28 % à pied (26 % en 1981) et 17,8 % à titre de passager (23,6 % en 1981). Les données dont nous disposons ne nous permettent cependant pas de vérifier dans quelle mesure ce non-accès à l’automobile constitue une contrainte par rapport à l’accès au marché du travail ou s’il s’agit d’un choix exercé en fonction d’un lieu d’emploi stable et d’un service de transport public adéquat.

La relation entre accessibilité aux emplois et cohésion sociale, ou du moins certains de ses indicateurs, est probablement plus aisée à vérifier : les niveaux inférieurs d’accessibilité aux emplois offerts par certaines zones sont-ils associés à d’éventuels problèmes reliés à l’emploi ou au revenu, source de disparités socio-économiques et d’érosion de la cohésion sociale? Ici également, les banques de données issues des enquêtes OD nous limitent, puisque aucune variable liée au revenu des personnes interrogées n’est disponible. Les seules données sur le revenu disponibles proviennent du recensement de Statistique Canada, mais le découpage géographique utilisé par le recensement canadien ne correspond pas au découpage du territoire utilisé par le RTC. Cependant, les enquêtes OD définissent, entre autres, l’occupation principale de la personne interrogée (travail, études, domicile, retraite, autre), ce qui nous permet d’estimer des taux d’activité ou plus précisément des taux d’emplois, les personnes bénéficiant de l’assurance-chômage étant classées dans la catégorie « autre occupation », alors qu’elles font partie de la population active pour Statistique Canada. Le taux d’emploi ne donne qu’une image fort incomplète du bien-être économique d’une population (Burke et Shields, 2001) ; toutefois, c’est le seul indicateur économique dont nous disposons à l’échelle des zones du RTC. Le taux d’emploi dérivé des enquêtes OD se définit donc par la proportion de personnes dont l’occupation principale est le travail, dans le groupe des personnes âgées de 15 à 64 ans. La figure 3 illustre les zones de résidence dont les taux d’emploi sont inférieurs au taux moyen en 1977 seulement (61,19 %) ou au taux moyen en 1996 seulement (58,74 %), ainsi que les zones dont le taux d’emploi est inférieur au taux moyen à la fois en 1977 et en 1996. Le nombre de zones caractérisées par un taux d’emploi inférieur à la moyenne a diminué entre 1977 et 1996 (de 89 à 67 zones), tandis que 49 zones sont définies par un taux inférieur à la moyenne tant en 1977 qu’en 1996. Ces zones se retrouvent tant à Québec (Vanier, Limoilou) qu’en banlieue (Sainte-Foy, L’Ancienne-Lorette, Charlesbourg, Beauport).

Une analyse de corrélation a permis de tester plus en profondeur la relation entre accessibilité aux emplois et taux d’emploi en 1977 et 1996 (tableau 5). Afin de tenir compte d’un effet éventuel, la distance entre le lieu de résidence et l’axe central de l’agglomération (boulevard René-Lévesque entre la Colline parlementaire et la route de l’Église) a été ajoutée aux indices d’accessibilité et aux taux d’emploi. Une première analyse a permis de constater l’influence positive de la distance sur le taux d’emploi masculin de 1977 et son influence négative sur le taux d’emploi féminin de 1977, résultat qui reflète bien la division du travail traditionnelle au sein des familles de banlieusards de l’époque. En 1996, seul le taux d’emploi masculin est positivement associé à la distance entre la zone de résidence et l’axe central de l’agglomération, sans doute en raison de l’âge des hommes, plus jeunes en banlieue. Par ailleurs, les indices d’accessibilité en automobile et en autobus étant également associés l’un à l’autre, des coefficients de corrélation partielle entre l’accessibilité automobile/autobus et le taux d’emploi masculin/féminin ont été calculés, pour une distance à l’axe central, une accessibilité autobus/automobile et un taux d’emploi masculin/féminin maintenus constants[9]. Comme en témoignent les coefficients de corrélation partielle présentés au tableau 4, l’hypothèse d’une relation entre l’accessibilité aux emplois et les taux d’emplois n’est vérifiée qu’à moitié. En 1977, la relation est inversement proportionnelle : les zones qui offrent une bonne accessibilité aux emplois en automobile (et qui sont situées en banlieue) sont également des zones caractérisées par des taux d’emplois féminins peu élevés (typiques des banlieues dans les années 1970), après l’élimination de l’effet de la distance, de l’accessibilité aux emplois en autobus et de l’effet du taux d’emploi masculin. Par ailleurs, les zones qui offrent une bonne accessibilité aux emplois en autobus (plus centrales) se distinguent par de faibles taux d’emploi masculin. En 1996, une bonne accessibilité aux emplois en automobile et des taux d’emplois masculin et féminin élevés ont tendance à se retrouver dans les mêmes zones de résidence, c’est-à-dire dans les banlieues, à bonne distance de l’axe central de l’agglomération. À l’échelle des zones de résidence du RTC, il n’y a pas de relation significative entre l’accessibilité aux emplois en autobus et les taux d’emplois, en 1996.

Figure 3

Zones de résidence dont le taux d’emploi de la population âgée de 15 à 64 ans est inférieur à la moyenne, agglomération urbaine de Québec

Zones de résidence dont le taux d’emploi de la population âgée de 15 à 64 ans est inférieur à la moyenne, agglomération urbaine de Québec
Sources : Enquêtes origine-destination de la STCUQ 1977 et 1996; périmètres d’urbanisation tirés de Anken (2000).

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Tableau 5

Corrélations entre accessibilité et taux d’emploi, 1977 et 1996*

Corrélations entre accessibilité et taux d’emploi, 1977 et 1996*

* Coefficients de corrélation partielle, variable de contrôle : distance entre la zone de résidence et l’axe central de l’agglomération, indice d’accessibilité alternatif et taux d’activité alternatif

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Conclusion

L’atteinte d’une certaine cohésion sociale dans une région urbaine repose en bonne partie sur la réduction des disparités socio-économiques internes. En raison des transformations subies par le marché du travail au cours des dernières décennies, ces disparités socio-économiques ne sont pas étrangères aux problèmes liés à l’emploi et au revenu des ménages. Bien que de multiples facteurs soient à l’origine de ces problèmes (formation professionnelle, précarité des emplois, contexte économique général, etc.), nous avons voulu évoquer les questions de mobilité des personnes (capacité de se déplacer en fonction de l’accès à l’automobile) et plus particulièrement d’accessibilité aux emplois (facilité d’atteindre les lieux d’emplois) comme sources potentielles de disparités socio-économiques internes dans l’agglomération urbaine de Québec, qui peuvent contribuer à l’érosion de la cohésion sociale. Cependant, les données exploitées, issues des enquêtes OD, permettent d’obtenir un portrait représentatif des questions de mobilité et d’accessibilité, mais une image beaucoup plus floue de la problématique complexe de l’emploi, seule dimension de la cohésion sociale que nous pouvions analyser à l’aide de ces données. Une amélioration méthodologique importante devrait permettre de développer avantageusement l’analyse des liens entre cohésion sociale, mobilité quotidienne vers les lieux d’emploi et accessibilité aux lieux d’emplois, soit l’estimation par redistribution géographique des données socio-économiques tirées des recensements canadiens dans les zones de transport des enquêtes OD. Les constats présentés ici en témoignent.

En premier lieu, et d’après une typologie des différents types d’accès à l’automobile dans les ménages motorisés, nous avons fait ressortir que le nombre de déplacements effectués dans des conditions d’accès réel à l’automobile avait considérablement augmenté au cours des dernières décennies, facilitant ainsi les déplacements entre des lieux de résidence et d’emploi de plus en plus dispersés. Toutefois, le nombre de déplacements effectués dans des conditions d’accès non effectif à l’automobile du ménage est loin d’être négligeable, en particulier lorsqu’il s’agit de déplacements vers le travail. Lorsque ces déplacements sont ajoutés aux déplacements effectués par des ménages non motorisés, on constate que la capacité d’atteindre les différents lieux d’activité sans accès à l’automobile, et plus particulièrement les lieux d’emplois, est loin d’être garantie, surtout si ces derniers ont tendance à se relocaliser ou à se disperser dans les nouvelles banlieues.

En second lieu, à l’aide d’un indice d’accessibilité aux emplois bâti sur le modèle de gravité, nous avons fait ressortir quelques zones de résidence présentant des problèmes d’accessibilité aux emplois en autobus, en 1977 comme en 1996. Ces zones de résidences sont situées essentiellement dans les anciennes et nouvelles banlieues. Nous avons également inféré des enquêtes OD des taux d’emplois, dont les plus faibles en 1977 comme 1996 se retrouvent dans les anciennes banlieues. Ce problème d’accessibilité et de sous-emploi dans les anciennes banlieues pourrait transformer celles-ci en nouvelles zones d’exclusion sociale. Le vieillissement et le déclin de ce type de banlieues anciennes (à statut modeste) est un enjeu préoccupant pour les intervenants urbains. Enfin, à l’aide d’une analyse de corrélations, nous avons testé les relations sur lesquelles repose l’hypothèse générale de cette recherche, soit, d’une part, une relation positive entre une plus grande mobilité des personnes, estimée ici par l’accès effectif à l’automobile et une bonne accessibilité aux emplois et, d’autre part, une relation positive entre une bonne accessibilité aux emplois et un taux d’emploi élevé. Pour ce qui est de la première sous-hypothèse, elle n’a été vérifiée que partiellement : une bonne accessibilité aux emplois en automobile est reliée à une proportion élevée de déplacements effectués dans des conditions d’accès réel à l’automobile, mais en 1996 seulement. En ce qui concerne la deuxième sous-hypothèse, la relation n’est significative qu’en 1996 : des taux d’emplois élevés sont associés à une bonne accessibilité aux emplois, mais en automobile seulement. Il n’y a pas de relation significative entre des taux d’emplois peu élevés et une faible accessibilité aux emplois en autobus, ce qui peut s’expliquer par le fait que l’accessibilité aux emplois en autobus est faible dans les nouvelles banlieues et en périphérie, alors que les taux d’emplois y sont plus élevés, la population résidente étant jeune et active.

Le modèle théorique proposé était le suivant : une plus grande mobilité des personnes facilite l’accès à un plus large éventail d’emplois, ce qui favorise la progression professionnelle, l’amélioration du revenu individuel ou familial et la réduction de certaines disparités socio-économiques intra-urbaines, soit en fin de compte une meilleure cohésion sociale. Ce que nous avons été en mesure de vérifier à l’échelle des zones de résidence du RTC à l’aide des données issues des enquêtes OD ne s’applique que pour l’année 1996 et pour le mode automobile seulement : la mobilité des personnes est associée à une bonne accessibilité aux emplois, elle-même associée à des taux d’emplois élevés. La représentation cartographique de ces phénomènes nous ramène aux changements subis par l’agglomération de Québec au cours des dernières décennies et plus particulièrement à l’étalement urbain favorisé par une augmentation de la motorisation et donc de l’accès réel à l’automobile, par une densité autoroutière hors du commun entraînant une très bonne accessibilité aux emplois en automobile à partir des nouvelles banlieues et des zones périphériques et par un accès abordable à la propriété et à la vie familiale offert aux jeunes ménages qui constituent une bonne part de la population active. Ce modèle n’illustre qu’une partie de la réalité : la dispersion des emplois, le développement récent de mégacentres d’activité/entrepôts en périphérie de l’agglomération et la difficulté d’assurer un service de transport public équitable entre des lieux de résidences et d’emplois de plus en plus dispersés laissent entrevoir que ces questions d’accessibilité aux emplois risquent de devenir de plus en plus préoccupantes, particulièrement pour la main-d’oeuvre à statut précaire ou partiel, employée dans ces mégacentres et entrepôts. Ce développement d’activités en zones périphériques de l’agglomération, réalisé sans considération, semble-t-il, des liens entre aménagement du territoire et transport, associe et associera de plus en plus l’automobile à un accès efficace au marché du travail, en dépit malheureusement des conséquences environnementales.