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2008

Les défis du « nouveau Népal » après les élections
de l’Assemblée constituante

Tristan Bruslé

Résumés

Les élections de l’Assemblée constituante népalaise viennent conclure une période de treize années particulièrement troublées. La fin de la rébellion maoïste et leur victoire  aux élections marquent leur entrée sur la scène politique légale, dans un contexte socio-économique des plus défavorables. Les défis que le futur gouvernement doit affronter sont à la mesure des attentes de la population dont un tiers vit sous le seuil de pauvreté. Le sous-développement marque la vie quotidienne de tous les Népalais, les inégalités sociales et spatiales sont plus élevées que jamais.

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Texte intégral

  • 1  Le roi et sa famille ont quitté leur palais du centre de Kathmandou, devenu propriété de l’État né (...)
  • 2  La guerre du peuple a été lancée après que le gouvernement a refusé de mettre en application un pr (...)

1Le dernier royaume hindou au monde, qui était devenu laïc en mai 2006, a perdu son roi le 28 mai 20081. L’Asie du Sud compte ainsi une nouvelle République fédérale. Elle est dirigée par le premier ministre Pushpa Kamal Dahal, leader du parti communiste maoïste qui a mené une guerre du peuple pendant 11 ans. Commencée en 1996 au centre du pays, cette guerre a pris fin avec les accords de paix de novembre 2006. Depuis les guérilléros ont rejoint, puis quitté, le gouvernement de coalition et ont finalement permis, après deux reports, la tenue des élections pour former une assemblée constituante. C’était une des principales revendications et une première victoire pour les Maoïstes dont le but était de renverser la monarchie népalaise, qui règne sur le Népal depuis 240 ans2.

  • 3  Le discours maoïste est volontiers teinté de paranoïa, en particulier concernant l’Inde, les États (...)
  • 4  L’Assemblée constituante est composée de 601 membres : 240 sont élus au scrutin majoritaire sur la (...)

2Pour de nombreux observateurs, les élections de l’Assemblée constituante du 10 avril 2008 ne devaient être que la confirmation de l’exaspération du peuple vis-à-vis des Maoïstes. Les onze années de guerre civile ont en effet laissé le pays exsangue. En plus des 13 000 personnes tuées par les forces de l’ordre ou par les maoïstes, des 600 personnes encore portées disparues, le développement des infrastructures a connu un coup d’arrêt général, quand il n’a pas reculé. La situation économique du pays s’est dégradée et le Népal n’a pas bénéficié des élans de croissance de ses deux grands voisins, l’Inde et la Chine. Les sondages et les personnalités médiatiques prévoyaient que le score des Maoïstes ne dépasserait pas 15 à 20 % des voix : les élections seraient un moyen de les mettre enfin sur la touche, d’autant plus qu’ils affirmaient ne pas vouloir recommencer la guerre, sauf si une « conspiration » leur faisait perdre les élections3. Autant dire que la surprise fut grande à la découverte des résultats, autant pour les observateurs que pour les partis politiques, Maoïstes compris. Le tournant est plus radical que prévu. Les Maoïstes s’accaparent 38 % des sièges tandis que le Nepali Congress et le Parti communiste népalais (Marxiste-léniniste unifié), les deux grands partis suivant, obtiennent respectivement 19 % et 18 % des parlementaires4. Le 28 mai 2008, l’Assemblée constituante s’est réunie pour la première et a voté la création de la République fédérale du Népal.

Figure1 - La diversité culturelle népalaise se rend aux urnes

Figure1 - La diversité culturelle népalaise se rend aux urnes

Source : www.nepalelectionportal.org

  • 5  Selon le recensement de 2001, 50 % de la population a moins de 19 ans ; 37,6 % entre 20 et 49 ans  (...)

3Depuis la mise à l’écart du roi en avril 2006 par un mouvement populaire, les attentes sont fortes vis-à-vis du « nouveau Népal ». Dans un pays marqué par le sous-développement économique et les inégalités sociales et géographiques, il faut redonner de l’espoir et des perspectives aux jeunes classes d’âge qui forment la majorité de la population5.

La victoire des Maoïstes à l’élection de l’Assemblée constituante

  • 6  Il n’est pas dans notre propos de retracer l’histoire de la rébellion maoïste. Se reporter à B. St (...)

4Les élections de l’Assemblée constituante viennent conclure une période d’incertitude marquée par un soulèvement armé qui aura remis en question les bases mêmes de l’État népalais. Les Maoïstes se sont tout d’abord imposés par la force puis par les urnes6. Les élections d’Avril 2008 ont été considérées comme libres et justes par les observateurs internationaux, sauf dans une minorité de bureaux de vote où elles ont été organisées à nouveau.

  • 7  La Young Communist League Nepal revendique 450 000 membres, dont 50 000 membres actifs répartis da (...)
  • 8  Le Népal peut être succinctement divisé en trois « régions naturelles » : les hautes montagnes, le (...)
  • 9  Ensemble, ces trois partis représentent 14,5 % des membres de l’Assemblée constituante. La populat (...)

5Les résultats du vote montrent une domination des Maoïstes, mais ils témoignent surtout du déclin des deux partis traditionnels. Le Nepali Congress (centre droit) et le Parti communiste népalais (Marxiste-léniniste unifié, gauche modérée) se sont en effet partagé le pouvoir depuis le retour de la démocratie en 1990 et leurs dirigeants sont accusés d’avoir confisqué la démocratie à leur profit personnel. Le désir de renouvellement du personnel politique traduit une volonté de changement forte de la part des plus jeunes, des classes défavorisées, intouchables en particulier, et des minorités ethniques. A contrario certains commentateurs ont analysé la victoire des révolutionnaires comme le résultat des pressions qu’ils auraient exercé avant et pendant la période électorale. Cette hypothèse ne peut être écartée, tant les Maoïstes ont fait la preuve de leur force de coercition, notamment par l’intermédiaire de leur branche jeunesse7. Le vote d’avril marque aussi l’affirmation des mouvements régionalistes qui ont pris de l’ampleur depuis 2006 et qui mettent à mal l’unité nationale népalaise. Parmi les multiples revendications auxquelles doit faire face l’État népalais, l’une d’elles a une dimension géographique très marquée. Alors que la moitié de la population népalaise vit aujourd’hui dans la plaine du Téraï, les populations originaires de cette région se sentent peu intégrées au reste du Népal et souffrent de la domination des montagnards8. Des mouvements autonomistes (Madeshi People’s Rights Forum, Tarai Madhes Loktantrik Party) ont rejoint la formation plus ancienne du Téraï, le parti Sadhvawana pour remettre en cause la domination des montagnards sur les structures politiques et économiques et bénéficier d’une plus grande autonomie au sein du pays9.

  • 10  La domination des hautes castes au sein de tous les partis politiques, maoïste y compris, reste en (...)

6Grâce à l’instauration de quotas pour représenter les groupes minoritaires, la nouvelle assemblée élue représente plus fidèlement un pays aux multiples groupes sociaux. La domination des hautes castes indo-népalaises sur la vie politique, toujours très importante, sera sans doute moins forte10. Après la formation d’un gouvernement de coalition dirigé par le leader maoïste, les travaux pour la rédaction de la Constitution doivent durer deux ans.

7Les dirigeants du parti maoïste, Pushpa Kamal Dahal et Baburam Bhattarai, font aujourd’hui tout pour rassurer la partie de l’opinion publique qui leur est défavorable et notamment les ambassades étrangères et autres institutions internationales qui pèsent d’un poids important dans la vie économique et politique du Népal. Les Etats-Unis n’ont pas retiré les Maoïstes de la liste des organisations terroristes. Une autre composante à séduire est l’armée népalaise, qui a soutenu le roi dans son coup d’Etat de février 2005, mais dont les représentants ont affirmé qu’ils se soumettraient au gouvernement démocratiquement élu. La question de l’intégration des 20 000 hommes de l’Armée de Libération du Peuple dans l’armée gouvernementale reste toutefois posée.

8Dans un contexte où les problèmes structurels du Népal sont importants, les Maoïstes, s’ils veulent rester au pouvoir dans un cadre démocratique, devront ne pas décevoir les attentes d’un peuple qui a placé en eux ses derniers espoirs.

Les défis structurels du Népal

  • 11  Ce seuil correspond à l’achat de la nourriture essentielle pour couvrir les besoins nutritionnels (...)

9Les défis auxquels le prochain gouvernement sera confronté sont colossaux. À bien des égards, le Népal ressemble à un pays d’Afrique sub-tropicale. En phase intermédiaire de la transition démographique, il doit faire face à une croissance démographique annuelle supérieure à 2 %. Le doublement de la population entre 1971 et 2001 n’a pas été accompagné par une croissance au même rythme des productions alimentaires. 30 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, défini comme un revenu individuel annuel inférieur à 77 $ en 200211. Le Népal reste parmi les pays les plus pauvres d’Asie (PIB de 240 $ par habitant), malgré des politiques de développement initiées dans les années 1950 et une aide internationale qui représente 75 % du budget népalais. Alors que la croissance économique annuelle dépassait 5 % dans la deuxième moitié des années 1990, la rébellion maoïste a entraîné une stagnation voire un recul économique. Le Népal est en outre parcouru de nombreuses fractures géographiques et sociales que les politiques de développement n’ont pas permis de résorber. Le retour de la stabilité politique,d’une paix durable et d’une démocratie intégrante porte les espoirs d’une croissance économique (Dixit, 2008).

Une population rurale, de plus en plus concentrée dans la plaine

  • 12  Selon une enquête nationale effectuée en 2002/2003, les revenus agricoles ne représentaient que 48 (...)

10Selon le recensement de 2001, 85 % de la population népalaise vit dans le monde rural où l’agriculture est la première occupation des actifs. L’adéquation entre monde « rural » et « agricole » serait donc à peu près parfaite au Népal, même si les revenus tirés de l’agriculture sont en baisse constante12. La croissance urbaine est forte. La part de la population vivant en ville est passée de 9,4 % en 1991 à 14,2 % en 2001 (Central Bureau of Statistics 2004). Depuis elle a continué à augmenter, en particulier à cause des réfugiés de la guerre civile qui se sont implantés dans les villes et ne sont pas forcément retournés dans leur village après les accords de paix. En outre, la répartition de la population a été affectée par les politiques de colonisation de la plaine du Téraï, auxquelles se sont ajoutées des migrations spontanées. Aujourd'hui plus de la moitié de la population vit en dessous de 300 mètres d’altitude, dans la partie népalaise de la plaine gangétique. Si le Népal est un pays montagnard, la majorité de la population ne l’est plus. L’arrivée des populations montagnardes dans la plaine a avivé le ressentiment des populations indigènes du Téraï, dont la culture est souvent plus proche de celle de l’Inde. Elles représentent encore tout de même environ 70 % de l’ensemble de la population des plaines.

Figure 2 - Une répartition inégale des densités de population

Figure 2 - Une répartition inégale des densités de population

11L’arrivée d’une partie des habitants des montagnes dans la plaine du Téraï et les fortes croissance démographiques font du Téraï un espace plein, où les densités de population sont les plus fortes du pays et les niveaux de développement les plus élevés, vallées de Kathmandou et de Pokhara exceptées.

Un sous développement généralisé

  • 13  Il existe aussi une tradition de mercenariat, celle des Gurkhas engagées dans les armées indiennes (...)

12En 2006, l’Indice de Développement Humain (IDH) du Népal le place à la 138e place mondiale sur 177 pays, entre le Soudan et le Cameroun (UNDP, 2007). Malgré des décennies de plans de développement et la présence de deux voisins champions de la croissance économique, le Népal a du mal à assurer à l’ensemble de sa population des conditions de vie décentes et un avenir meilleur. Depuis le milieu des années 1990, le Népal importe des céréales indiennes. Les problèmes de distribution de la nourriture et les famines au moment de la soudure agricole, dans l’Extrême-Ouest éloigné de la capitale notamment, sont fréquentes. Les faiblesses structurelles du pays se retrouvent à tous les niveaux, de l’éducation à l’encadrement médical, des infrastructures de transport à celles de l’adduction d’eau potable. Lorsque le pays s’ouvre au monde en 1950, il possède peu de routes (276 km) et pas d’industries (Whelpton, 2005). Le réseau électrique est limité à la vallée de Kathmandou et à quelques villes du Téraï. La population vit en presque totalité dans des villages où elle pratique une agriculture de subsistance, souvent complétée par des migrations saisonnières en Inde13. Les taux de mortalité et de natalité sont alors respectivement de 48,7 et 37,6 pour mille. L’éducation est réservée à une élite, 5 % seulement de la population, des hommes en majorité, étant alphabétisés.

13Depuis les années 1950, les politiques de développement se sont succédées et, malgré la corruption et leur concentration géographique au centre du Népal, sont parvenues à améliorer l’éducation, l’état sanitaire des populations, les réseaux de communication et le fonctionnement de l’État népalais. Elles se sont tout d’abord concentrées sur l’agriculture, alors que maintenant les objectifs de lutte contre la pauvreté sont au centre des préoccupations. La transition sectorielle est en cours : 20 % de la main-d'œuvre industrielle et des services créent 60 % de la richesse nationale. Le sous-emploi est très élevé. Le pays doit donc trouver de nouvelles voies. L’une d’entre elles, de plus en plus populaire parmi la jeunesse et largement encouragée par le gouvernement, est celle de l’expatriation temporaire. L’exportation de sa main-d'œuvre est devenue, grâce aux remises monétaires des migrants, le principal moyen d’augmenter les réserves de devises du pays. Chaque jour plus de 600 personnes s’envolent de l’aéroport de Kathmandou vers le Golfe persique ou la Malaisie. À ces chiffres doit être ajouté un nombre au moins double ou triple de Népalais travaillant en Inde. Au total, sur une population de 28 millions d’habitants, au minimum deux à trois millions d’hommes et femmes sont en exil temporaire et rapatrient un montant annuel équivalent à 15-20 % du PIB (Karna, 2007). Ces revenus ne sont pas distribués également dans tout le pays et la migration internationale de travail participe aussi de ce fait aux inégalités spatiales que connaît le Népal.

Figure 3 - Les inégalités de développement à l’échelle nationale

Figure 3 - Les inégalités de développement à l’échelle nationale

14En effet, comme le montre la carte de l’Indice de Développement Humain, les disparités de développement sont fortes. Naître dans les montagnes de l’Extrême-Ouest ou à Kathmandou change assurément les opportunités futures, même si le milieu social influe aussi sur la destinée individuelle. Le sous-développement continue à marquer la vie quotidienne de tous les Népalais, d’autant plus s’ils vivent dans des régions périphériques et mal reliées au centre du pays.

Une pauvreté endémique

15Entre 1996 et 2003, la proportion de personnes sous le seuil de pauvreté a diminué de 42 à 31 % mais, de 1981 à 2001, le nombre absolu de personnes sous le seuil de pauvreté a doublé, suivant ainsi le rythme de progression démographique. En 2004, 10 % des Népalais les plus riches consommaient 40 % de la richesse totale tandis que les 30 % les plus pauvres devaient se contenter de 8,6 % du PIB (Human Development Report Nepal 2006). Les inégalités s’accroissent dans un contexte où la pauvreté touche  différemment les groupes, notamment en fonction de leur appartenance de caste. Ainsi, le taux de pauvreté n’est que de 19 % chez les hautes castes hindoues des montagnes (Brahmanes et Chetri) mais il est de 47 % pour les Dalits (intouchables, hors du système des castes) et de 44 % pour les groupes tribaux (Central Bureau of Statistics, 2004).

Les solutions envisagées

16Le maître mot des hommes politiques, des hommes d’affaires mais aussi des simples paysans, le mantra en lequel tous les Népalais placent leur espoir est celui de bikas, développement. Pour l’atteindre et faire du Népal « la Suisse de l’Himalaya » les solutions envisagées sont de plusieurs ordres.

La révolution économique

  • 14  La structure du PIB est la suivante : l’agriculture représente 40 %, les services 40 % et l’indust (...)
  • 15  La dernière date de 1964 mais n’a pas eu les effets de redistribution espérés (Whelpton 2005).

17Dans un pays marqué par le sous-emploi, où l’agriculture est de moins en moins une activité lucrative, l’enjeu est de donner du travail aux 300 000 jeunes qui arrivent tous les ans sur le marché du travail14. Les Maoïstes qui seront à la tête du prochain gouvernement répètent à l’envi qu’après la révolution politique, la révolution économique est maintenant à l’ordre du jour. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas de nationalisation ni de collectivisation des terres. Les Maoïstes veulent rassurer les investisseurs privés et les bailleurs de fond internationaux et prônent un partenariat public-privé pour assurer le développement économique. Ils misent à la fois sur le développement de l’industrie (hydro-électricité en particulier) et du tourisme, sur une réforme agraire15 et sur l’exportation de la main-d'œuvre. Les investissements étrangers et ceux des Népalais de l’étranger seront favorisés. Concernant l’agriculture, alors que les mots d’ordre de la campagne électorale indiquaient que l’abolition du système féodal permettrait le retour de la terre à ceux qui les cultivent, il ne semble pas que les collectivisations soient à l’ordre du jour, bien qu’elles aient été mises en place dans certaines régions des montagnes sous contrôle maoïste depuis plusieurs années (Steinmann 2005). Les dirigeants se contentent de rappeler que les redistributions de terres concerneront surtout le Téraï où les inégalités sont les plus fortes.

L’intégration des minorités

18Depuis le rétablissement de la démocratie en 1990, la voix des peuples indigènes (janajati, 37 % de la population) s’est faite entendre. Leurs revendications se font en opposition à la domination des gens de caste (59 % de la population) et en particulier contre celle des hautes castes. Ils revendiquent une place plus importante, ou tout simplement proportionnelle à leur nombre, dans la vie publique et dans l’administration. Les élections à l’Assemblée Constituante, dans leur partie proportionnelle, ont appliqué les principes de la discrimination positive en les étendant à d’autres catégories de population elles-aussi considérées comme marginales (cf. supra). En affirmant qu’ils redonneront du pouvoir, politique et économique, aux exclus, les Maoïstes visent à satisfaire une grande partie de la population qui les a soutenus.

Un redécoupage administratif

19En février 2008, un accord entre les Madeshis  (habitants « originels » du Téraï) et le gouvernement affirme que le « Népal va devenir une République démocratique fédérale » dans laquelle « les États seront autonomes et porteurs du pouvoir » (Kathmandu Post, 29 février 2008). Le fédéralisme est une des solutions envisagées pour que le pouvoir, jusqu’alors très centralisé, se rapproche des régions et des minorités délaissées. Il s’agit de donner de la voix et de l’espace politique aux sans-voix. Les projets des principaux partis politiques népalais, qu’il s’agira de mettre en application, reposent sur une double dimension : ethnique et économique. Les difficultés résident dans un découpage conciliant à la fois les demandes de plus grande autonomie des groupes ethniques et les divisions géographiques et socio-économiques. Si le projet peut paraître séduisant, il plait notamment aux activistes ethniques, il semble très simplificateur. En effet, à l’échelle du village, il existe une très forte hétérogénéité des populations, de diverses origines ethniques, qui vivent et interagissent ensemble. Il n’y a pas de territoire ethnique homogène. Et pourtant, les activistes indigènes bâtissent des cartes linguistiques qui donnent une impression d’homogénéité linguistique qui en fait n’existe pas, tant les mouvements de population, des gens de caste notamment, ont été importants. Bâtir des unités territoriales sur des bases linguistiques et ethniques reviendrait à nier la profonde diversité du tissu social local et le risque de nouvelles tensions sociales est réel.

Conclusion

20Suite au premier mouvement du peuple (Jana Andolan) de 1990 qui restaura la démocratie, le deuxième mouvement populaire d’avril 2006, les élections d’avril 2008 et la rédaction de la nouvelle constitution sont porteurs d’énormément d’espoir. Pour les franges les plus marginalisées de la population comme pour tous ceux qui ont poursuivi des études supérieures et sont contraints de s’expatrier, le « nouveau Népal » se doit d’être inclusif.  L’arrivée des Maoïstes au pouvoir est l’ultime atout que les Népalais se sont donnés pour tenter de résoudre les difficultés politiques et économiques du pays. Le retour attendu de la croissance économique devra s’accompagner d’une meilleure distribution sociale et spatiale des revenus. À court et moyen terme, cela pourrait  sans doute se traduire par un accès plus uniforme des Népalais aux migrations internationales rémunératrices. Mais rien n’indique pour l’instant que des politiques centrées sur une justice spatiale soient à l’ordre du jour. Au contraire, les déséquilibres géographiques, entre villes et campagnes, régions centrales et périphériques, semblent s’accentuer. Reste à voir si les réformes de la carte administrative, qui vont être au centre des débats de l’Assemblée constituante, contribueront au développement économique du Népal.

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Bibliographie

K.M. Dixit, The Maobaadi triumph, Seeking explanations, Himal South Asia, May 2008

Central Bureau of Statistics,  2004, Nepal Living Standard Survey 2003/04. Statistical report. National Planning Commission. HMG Nepal, [page internet consultée le 18 avril 2005], disponible sur www.cbs.gov.np.

Karna SK, 2007, Remittance Economy of Nepal, Gorkhapatra, [page internet consultée le 25 décembre 2007], disponible sur http://www.gorkhapatra.org.np/content.php?nid=32891

Steinmann B. (dir.),  2005, Le maoïsme au Népal. Lectures d'une révolution. , Coll. Monde indien - Sciences sociales, Paris, CNRS Editions, 250 p.

UNDP, 2007, Human Development Report 2007/2008, New York, UNDP, 399 p.

Whelpton J., 2005, A History of Nepal, Cambridge, Cambridge University Press, 296 p.

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Notes

1  Le roi et sa famille ont quitté leur palais du centre de Kathmandou, devenu propriété de l’État népalais.

2  La guerre du peuple a été lancée après que le gouvernement a refusé de mettre en application un programme en 40 points exigé par les Maoïstes, en février 1996 (http://www.satp.org/satporgtp/countries/nepal/document/papers/40points.htm).

3  Le discours maoïste est volontiers teinté de paranoïa, en particulier concernant l’Inde, les États-Unis et les « forces régressives » tels les monarchistes.

4  L’Assemblée constituante est composée de 601 membres : 240 sont élus au scrutin majoritaire sur la base des circonscriptions électorales. 335 personnes sont élues à la proportionnelle, le Népal étant considéré comme une seule circonscription, en fonction du score des partis au niveau national (des quotas, de femmes, de minorités ethniques et de personnes appartenant à des régions pauvres et à des basses castes, sont appliqués ; Cf. figure 1). 26 personnes sont nommées par le gouvernement intérimaire.

5  Selon le recensement de 2001, 50 % de la population a moins de 19 ans ; 37,6 % entre 20 et 49 ans ; 12,4 % plus de 50 ans.

6  Il n’est pas dans notre propos de retracer l’histoire de la rébellion maoïste. Se reporter à B. Steinmann (dir.), 2006, Le maoïsme au Népal, Lectures d’une révolution, Paris, CNRS Editions, 250 p. Voir aussi M. Lecomte-Tilouine, De la guérilla à la démocratie au Népal, mai 2008, Le Monde Diplomatique.

7  La Young Communist League Nepal revendique 450 000 membres, dont 50 000 membres actifs répartis dans tous les districts. Sa dissolution est demandée par les partis d’opposition.

8  Le Népal peut être succinctement divisé en trois « régions naturelles » : les hautes montagnes, les moyennes montagnes et les plaines du sud, frontalières avec l’Inde. Ces dernières, qui représentent 23 % du territoire national, ont connu depuis les années 1950 un processus de colonisation et de peuplement par les montagnards et par des populations d’origine indienne.

9  Ensemble, ces trois partis représentent 14,5 % des membres de l’Assemblée constituante. La population « indigène » du Téraï forme 21 % de l’ensemble de la population népalaise.

10  La domination des hautes castes au sein de tous les partis politiques, maoïste y compris, reste encore aujourd’hui une réalité.

11  Ce seuil correspond à l’achat de la nourriture essentielle pour couvrir les besoins nutritionnels d’une année, plus les besoins essentiels non nutritifs.

12  Selon une enquête nationale effectuée en 2002/2003, les revenus agricoles ne représentaient que 48 % des revenus totaux des ménages. La part des revenus tirés de la migration (au Népal ou ailleurs) est de 35 %, alors qu’elle n’était que de 26 % dix ans auparavant.

13  Il existe aussi une tradition de mercenariat, celle des Gurkhas engagées dans les armées indiennes et britanniques.

14  La structure du PIB est la suivante : l’agriculture représente 40 %, les services 40 % et l’industrie 20 % (Central Bureau of Statistics, 2004).

15  La dernière date de 1964 mais n’a pas eu les effets de redistribution espérés (Whelpton 2005).

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Table des illustrations

Titre Figure1 - La diversité culturelle népalaise se rend aux urnes
Légende Source : www.nepalelectionportal.org
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Titre Figure 2 - Une répartition inégale des densités de population
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Titre Figure 3 - Les inégalités de développement à l’échelle nationale
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Pour citer cet article

Référence électronique

Tristan Bruslé, « Les défis du « nouveau Népal » après les élections
de l’Assemblée constituante »
EchoGéo [En ligne], Sur le Vif, mis en ligne le 21 août 2008, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/echogeo/6903 ; DOI : https://doi.org/10.4000/echogeo.6903

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Auteur

Tristan Bruslé

Tristan Bruslé (http://tristan.brusle.free.fr) est chercheur au CNRS (Laboratoire « Milieux, Sociétés et Cultures en Himalaya »). Il s’intéresse aux migrations internationales de travail et aux phénomènes diasporiques. Ses terrains d’étude sont le Népal, l’Inde et le Qatar. Il a récemment publié deux articles sur les migrants au Qatar : Visages des soutiers de la mondialisation (http://www.rue89.com/2008/07/07/au-qatar-visages-des-soutiers-de-la-croissance) ; The Nepali Qatari migrant world (http://www.himalmag.com/2008/may/report_quatar_nepal.htm). Deux publications sont à venir : Choosing a destination and work: migration strategies of Nepalese workers in northern India (Uttarakhand), dans Mountain Research and Development, vol. 28, n°3/4 ; Les âges de la migration. Cycle de vie, projets et rapports à l’espace des migrants népalais en Inde, dans Baby Colin V., Cortes G., Faret L., Guétat H. (coord.), Migrants des Suds. Acteurs et trajectoires de la mobilité internationale, IRD/PUM Toulouse/PULM Montpellier.

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