Le rapport au sida, un observatoire social

La maladie constitue une épreuve difficile à circonscrire et à isoler de son contexte. Elle affecte la per¬ sonne dans beaucoup de ses facultés et notamment dans ses relations aux autres. Même son ombre, le risque ou la peur de la contracter modifient l’existence et la sociabilité. De telles répercussions s’ac¬ croissent encore lorsque la maladie est longue, grave ou transmissible. Ces trois propriétés caractérisent le sida. Celui-ci apparaît de plus comme une menace récente qui a pris au dépourvu les socié¬ tés dans lesquelles il s’est immiscé et y a suscité des adaptations et réactions multiples. Les découvrir revient à se pla¬ cer dans la lumière crue que le fléau pro¬ jette autour de lui, à en tirer un surcroît de connaissance sur nous-mêmes, à l’en¬ visager comme un observatoire social.

Les effets du sida sur le monde contemporain sont multiples. Aigus, ils nous contraignent à faire face à des pro¬ blèmes inédits et pathétiques. Diffus, ils imprègnent notre vie quotidienne et nos rapports à autrui. Leur variété et le manque de recul les rendent quelque peu difficiles à appréhender. Ils ont en tout cas créé une situation où se manifestent les réactions de notre société face à ce

qu’elle ne maîtrise pas. De ce point de vue, le sida peut être considéré à la fois comme un analyseur et comme un cata¬ lyseur social. Analyseur, il révèle des difficultés, lacunes, modes de fonction¬ nement ou de dysfonctionnement, méconnaissances, contradictions, qui restaient souvent inaperçues jusqu’alors. Catalyseur, il précipite et accentue des évolutions qui, pour beaucoup, étaient déjà engagées auparavant, mais qui se sont davantage affirmées depuis. Ainsi le sida accuse les différences de contexte sanitaire, les rivalités heuristiques, les disparités statistiques, il met en éviden¬ ce les logiques de l’information scienti¬ fique et du discours politique, le traitement opéré par les médias, il influe sur la relation thérapeutique, l’organisa¬ tion du système de soin, le rapport à l’autre, il fait évoluer la place de la mort, les relations entre les sexes, les représentations de la santé et de la mala¬ die, il montre l’influence de minorités et de groupes de pression, les positions des institutions et des églises, etc. Chacun de ces aspects mériterait d’être approfondi. Parmi tous les changements induits ou amplifiés par le sida, nous nous borne¬ rons ici à évoquer l’apparition de nou-

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