Revue Belge de Philologie et d’Histoire / Belgisch Tijdschrift voor Filologie en Geschiedenis, 90, 2012, p. 315-346 Gérer la terre sans écrit, est-ce possible ?

Le grand domaine constitue l’épine dorsale de l’oeuvre de Yoshiki Morimoto et les problématiques formulées à l’occasion de cette rencontre sont naturellement fortement ancrées dans la documentation textuelle (1).

A priori, l’archéologie paraît incapable d’examiner l’organisation du patrimoine foncier. Elle ne pourra effectivement jamais déterminer si les élites aristocratiques tiraient leur subsistance d’un système tributaire, d’une rente voire d’un système à faire-valoir direct. Elle ne pourra pas non plus statuer sur l’état, libre ou non, des occupants des unités agricoles fouillées. Yoshiki Morimoto s’est cependant montré sensible à l’apport possible de l’archéologie, tout en constatant le pessimisme d’une partie de la communauté scientifique, en citant Élisabeth Zadora-Rio et Gérard Chouquer, que l’on peut opposer à l’attitude plus optimiste d’Helena Hamerow (2). La présente contribution tente d’examiner les indices possibles éclairant la gestion foncière, dans une approche comparative des vestiges archéologiques du Nord-Ouest européen. La croissance exponentielle des fouilles rurales dans le cadre de l’archéologie préventive, ainsi que des enquêtes archéologiques territoriales, amènent aussi à déceler des évolutions dans les habitats et leurs relations avec leur environnement, qui selon toute vraisemblance reflètent des adaptations à la conjoncture économique et sociale. Se pose la question de la manière d’exploiter cette analyse des vestiges matériels en respectant leurs limites, mais aussi en valorisant leur apport immense pour les connaissances sur le monde rural et son organisation. Comme les sources écrites sont rares et qu’elles ne couvrent que certaines aires géographiques et les plus grands domaines, une question se pose : comment les autres élites assuraient-elles leurs revenus fonciers, qu’il s’agisse de petits ou moyens propriétaires en Francie, ou des puissants d’Europe septentrionale, dans un monde dominé par l’oralité ? Une approche comparative des partitions spatiales observées dans les habitats et les territoires ruraux permet d’identifier, dans leur organisation, des tendances